Les geôles oubliées de la République

Le 9 décembre 2011

Les recommandations du contrôleur général des prisons, publiées mardi au journal officiel, pointent des violations graves des droits fondamentaux dans la prison de Nouméa. En cause : la surpopulation carcérale.

Cet article fait partie de notre dossier sur les prisons à l’occasion de la sortie du numéro 10 de Snatch qui consacre un dossier de 60 pages au sujet. En partenariat avec WeDoData, OWNI a réalisé deux infographies, adaptées sous la forme d’applications, sur la France carcérale et l’état des prisonniers français pour le numéro 10 de Snatch, dans les kiosques samedi 10 décembre.

Des critiques au vitriol. Le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, a jeté une lumière crue sur les “violations graves des droits fondamentaux d’un nombre important de personnes” enfermées dans le centre pénitentiaire de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Publié le 6 décembre au journal officiel, le texte évoque des détenus “entassés”, dans “des cellules insalubres où [ils] subissent une sur-occupation frôlant les 200 % dans le centre de détention et le quartier de semi-liberté et atteignant 300% dans le quartier de la maison d’arrêt”.

Plus loin, le directeur de cette autorité administrative indépendante détaille :

113 personnes occupaient [le quartier ouvert du centre de détention] prévu pour 57 personnes (…),  60 personnes occupaient [le quartier fermé du centre de détention] déclaré pour avoir 32 places (…) 18 personnes occupaient [le quartier de semi-liberté] pour une capacité théorique de neuf places.

En juin 2011, la densité moyenne1 dans la prison était de 221 %, soit 232 détenus en surnombre.

Territoires oubliés

Nouméa n’est pas qu’un exemple, mais l’archétype de l’état de la surpopulation dans les prisons françaises de l’Outre-Mer, les territoires oubliés de la France carcérale. Sur les quatorze établissements que compte l’Outre-Mer, la densité est supérieure à 200% dans trois établissements, et la moitié est en état de surpeuplement. Les conséquences sur les conditions d’enfermement sont directes, rappelle Jean-Marie Delarue.

Dans la maison d’arrêt de la prison de Nouméa, 27 cellules sur 34 disposent d’un matelas “posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards”, écrit le contrôleur général des prisons. Son rapport fait un lien direct entre “l’épisode dramatique survenu pendant le déroulement de la mission” – un meurtre dans une cellule occupée par six personnes – et “les conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l’établissement sur les conditions de détention”.

Alexis Saurin, président de la Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice (FARAPEJ), explique cet état par des causes pratiques, la difficulté à effectuer des transferts, mais aussi des causes plus diffuses et plus inquiétantes :

Les prisons d’Outre-Mer sont moins visitées par les contrôleurs. On peut se demander si la situation dans ces établissements est plus acceptable parce qu’ils sont loin de métropole… La situation n’est pas nouvelle. Le centre pénitentiaire Nuutania, à Faa (Polynésie Française), était déjà largement surpeuplé en 2003. Si la situation perdure, c’est qu’elle est d’une certaine manière tolérée…

L’Outre-Mer est la terre des extrêmes. Aux îles Marquises, la maison d’arrêt de Taiomac est l’une des moins remplies avec un détenu pour cinq places, ou encore Mata-Utu où la prison de trois places était vide en juin. Ces écarts masquent des réalités plus complexes en métropole où les immenses établissements pénitentiaires regroupent le plus de détenus en surnombre.

Un tiers de la population carcérale

Quatre des cinq établissements avec le plus grand nombre de détenus en surnombre sont situés en région parisienne : Fresnes, avec 569 détenus en surnombre, suivi par Fleury-Mérogis avec 533 détenus, et plus loin Villepinte avec 316 détenus en surnombre. Ramené au nombre de places, les densités ne sont pas les plus élevées.

Selon l’Observatoire des prisons et autres lieux d’enfermement, 11 282 détenus étaient en surnombre le 1er novembre 2011. Une estimation minimale de l’effet de la surpopulation : un détenu en surnombre dans un cellule a des conséquences sur le quotidien de son co-détenu. Pour Alexis Saurin, le nombre de personnes affectées par la surpopulation carcérale est au minimum le double, voire plus. Ce qui représente entre un tiers et la moitié du nombre total de détenus.

Depuis 2002, la population carcérale a sensiblement augmenté. Lors de l’arrivée de la droite au gouvernement en 2002, la population carcérale était d’environ 45 000 détenus. Le 1er novembre 2011, 64 711 personnes étaient détenues en France. Une augmentation de plus de 40%. Mais le tournant a lieu dès 2001 avant l’élection de Jacques Chirac, rappelle Alexis Saurin :

Ces trente dernières années, la population carcérale a connu des variations à la hausse et à la baisse. Les pouvoirs exécutif et législatif influent directement ou indirectement sur les décisions de justice. Les discours récents sur la “justice laxiste” tendent à faire allonger la durée des peines.

L’augmentation du nombre détenus sous écrou ces douze derniers mois est en partie liée à l’affaire dite de Pornic2 explique Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS et auteur d’un rapport mensuel, publié par l’Observatoire des prisons et autres lieux d’enfermement (OPALE).

Deux phénomènes sont à l’œuvre. Il y a d’abord une augmentation du nombre des entrées sous écrou au premier trimestre 2011. Le climat créé par l’affaire dite de Pornic a pu favoriser un recours à la détention. Au deuxième trimestre, la durée moyenne du temps passé sous écrou croît et entraîne une augmentation de la population carcérale.

Sur la vie des détenus, les conséquences sont nombreuses. Pour Alexis Saurin, l’accès au soin est restreint, de même que l’accès aux parloirs, aux douches, aux activités, au travail. Les surveillants sont surmenés. Des remarques en échos avec les recommandations du contrôleur général des prisons. Dans le texte paru mardi au Journal Officiel, il décrit un personnel pénitentiaire “remarquable de dévouement et d’investissement.”

“Construire de nouvelles prisons ne résoudra rien !” se désole Alexis Saurin :

Il faut d’abord mettre en place des dispositifs de prévention de la surpopulation carcérale à deux niveaux : avant la décision de justice en informant les magistrats sur les possibilités d’accompagnement en milieu ouvert, avant le placement en détention en créant des cotes d’alerte sur les places disponibles dans un établissement. Les dispositifs alternatifs à la privation de liberté doivent aussi être développés, que ce soit les travaux d’intérêt général et le sursis avec mise à l’épreuve, dont le recours a été limité depuis les lois sur la récidive de 2005. Enfin, les aménagements de peine doivent être plus utilisés.

Il pointe aussi le coût des projets de construction de nouvelles prisons dans un contexte de crise économique. Des ressources qui pourraient être mieux employées, plaide-t-il, notamment en améliorant la qualité du suivi :

Les difficultés économiques frappent de plein fouet les plus précaires qui sont les plus nombreux en prisons et qui rencontrent aussi le plus de difficultés pour se réinsérer.


Retrouvez notre Une sur les prisons en partenariat avec Snatch :

Photographie de Une © Aimée Thirion. Infographies CC WeDoData

OWNI avait consacré un dossier sur les alternatives à la prison en novembre 2010.

  1. Comme nous l’a fait remarquer Pierre Tournier, chercheur au CNRS, l’expression “taux d’occupation” est ambigüe car elle pourrait concerner les activités des détenus. Densité est plus précis []
  2. En janvier, une jeune femme est tuée. Tony Meilhon est mis en cause alors qu’il aurait dû faire l’objet d’une mise à l’épreuve au moment des faits. Faute de moyens disponibles, il n’a pas été considéré comme prioritaire. Nicolas Sarkozy avait réclamé des sanctions contre les magistrats, les services pénitentiaires et les services de police. []

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