La dictature du smiley, lol

Le 30 janvier 2011

Il parait que certaines personnes collent des smileys et des lol à tout bout de mail ou de tweet. À la soucoupe, on ne voit pas du tout de quoi VinZ parle :)

Avez-vous remarqué que la plupart de nos correspondances électroniques sont accompagnées d’un ;) :) ou encore d’un bon lol bien gras quand les grands défenseurs de Molière usent du MDR ? Entendons-nous bien que j’aborde ici les conversations personnelles. Car dans un cadre professionnel, si vous avez réussi à vous faire embaucher avec un :) dans votre CV, vous êtes soit clown de profession soit menteur.
Le smiley est devenu tellement courant que ça en devient naturel. Impossible d’envisager une blague au second degré sur les réseaux sociaux sans ajouter le ;) qui aura pour lourde tâche de faire comprendre qu’on déconne, le :) qu’on éprouve de la sympathie pour une personne et le :D qu’on est ptdr. Je passerai sur le #fail, puisque de nos jours, si tu ne tagues pas ta vie, tu es à la ramasse.
Et le lol, n’en parlons même pas. On le tape en fin de phrase sans y réfléchir davantage. Pour autant, on ne sourit pas nous-même lors de son écriture. Vous me direz, on aurait l’air con, à la limite du dangereux psychopathe (il ne doit y avoir que le joker de Batman qui sourit quand il tape “lol”).
On lol pour désamorcer une discussion, on lol pour un kitten, on lol pour un #fail, on lol tout court. et Bernard Pivot aime des airs. (Tu lol ?)

Mais comment faisait-on auparavant ? Je veux dire, avant les sms ? Alors certes, on s’envoyait beaucoup moins de correspondances écrites, mais prenons l’exemple de la carte postale. Ceux de mon âge et au-delà (des années 80, on se comprend), on a tous envoyé des dizaines de cartes postales étant jeunes. Je n’ai pas souvenir d’avoir mis du :) en signature pour démontrer que le soleil était bien au rendez-vous ! Probablement qu’étant donné que la correspondance était destinée à une personne connue, on était davantage en confiance et on risquait moins la mauvaise interprétation. Aujourd’hui, à l’heure du réseau one-to-million, un message humoristique mais sans lol peut faire basculer le monde entier, provoquer des faillites en bourse et que sais-je encore !
Imaginez le mémo de Steve Jobs : “je pars en congés maladie… lol” et le mémo “je pars en congés maladie…”. Si on écarte d’emblée le fait que Steve Jobs ne soit pas le genre de type à faire des blagues ailleurs que durant une Keynote un iPhone à la main en se foutant de la gueule de Nokia, on reconnaîtra l’importance du lol dans la compréhension du message. Peut-être que les “…” peuvent encourager une interprétation divergente mais ça laisserait la porte ouverte à tous les délires.

Ceux qui n’ont plus l’âge pour faire partie de la “lol generation” n’usent guère de ces excès de clavier, et pourtant ils sont quasiment tout autant connectés que nous, génération lol, Y ou Millennials (c’est selon la mode). Étaient-ils plus stricts à l’école au point qu’un traumatisme leur a interdit de dessiner des figures joyeuses sur leurs brouillons ? Ou sont-ils simplement mauvais en dessin ?

Attention, ce constat de la génération sérieuse n’est pas une généralité, je connais des personnes qui lolent et smilent chaque jour, et j’exclus la marionnette de Nikos aux Guignols. On le voit simplement en passant en revue certains comptes Twitter. Par exemple, à l’heure où j’écris ces mots (en esquivant tant bien que mal le ;) ), vous avez @ Vinvin qui :-) au 3ème tweet, @ pjournel au 8ème et @ guybirenbaum qui nous fait un ;-) au 7ème.
À l’inverse, j’ai l’impression que @ MRYemery tire la gueule, pas un smile ces vingt-quatre dernières heures et il n’y a rien de surprenant à ça, depuis le temps que je le lis, je sais que ce n’est pas dans ses habitudes. Mais du coup, sa timeline me paraît… comment dire… plus austère ? Moins joyeuse ?? Sourit-il vraiment dans la vie ?!? Bien sûr, ceux qui connaissent son écriture savent comment déceler l’ironie de ses paroles mais quand même, j’ai le sentiment que rien n’est plus significatif encore aujourd’hui dans un message qu’un :) franc et sympathique.
Tiens, d’ailleurs, je remarque que ces personnes citées faisant usage du : ) ne font pas l’économie du nez, je veux dire le “-” entre le “:” et le “)”. Faut-il en tirer une conclusion (bien hâtive) que les jeunes préfèrent aller encore plus directement au fait ? Je : ), pas besoin que je : – ), tu piges ! Sans évoquer le caractère supplémentaire pour un tweet (ou à l’époque du sms limité), il y a aujourd’hui de quoi se fatiguer le clavier.

De ces constats, il n’y a pas de conclusion à imposer. Je n’en ai pas la prétention. Héritage du sms, héritage du lolcat, héritage d’une culture et d’un champ lexical en berne (une excuse à la Finkelkraut), que sais-je encore ! Je préfère laisser les conclusions aux pros.

Mais pour loler, je me lance dès maintenant dans une petite expérience : faire disparaître de toutes mes conversations écrites les smileys, les lol et autres variantes du rofl. Je crains de me faire avoir tellement la pratique est devenue naturelle. Je peux également craindre que les gens pensent que je leur fasse la gueule, et je vais aussi probablement éviter certaines blagues ou des nuances casse-gueule. J’ai annoncé sur Twitter une semaine de lolfree. J’essaierai d’aller plus loin afin de tester l’étendue d’un monde sans cyber-sourire. Enfin, du moins jusqu’au prochain #fail !

Billet initialement publié sur Vinzblog

Image CC Flickr Visions photographiques et Rob Boudon

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