Qui sont les digital natives?

Le 14 novembre 2010

La culture de la Génération Y présente des caractéristiques qui causent bien des problèmes au sein de l’entreprise. Retour sur ce qui distingue cette génération de ses aînés.

Probablement dans le but de se rassurer, on parle souvent d’usages lorsque l’on évoque l’avènement du web. A mon sens, il s’agit d’un understatement important qui entretient une certaine incompréhension. La relation au web a développé une culture forte avec ses principes, des valeurs et des habitudes.

En cela, les Digital Natives disposent d’un ADN tout autant révolutionnaire, bien que moins spectaculaire, que la génération des baby-boomers.

Cette Génération Y présente des caractéristiques culturelles qui causent d’épineux problèmes au sein de l’entreprise en particulier au niveau de la propagan… erm… communication interne.

Nous avons ici à faire avec des travailleurs de la connaissance, post-idéologiques,  sur-éduqués, sur-informés et irrévocablement connectés. Bref : une génération à qui il va être difficile de faire ingurgiter le corporate BS.

Quelques pistes pour faciliter cette communication…

Travailleurs de la connaissance

Même si le terme de Peter Drucker date de 1959, les Digital Natives semblent être la première génération à l’avoir assimilé de manière aussi naturelle et radicale.

La conséquence, que n’a pas omis de préciser Drucker, et qui est complètement intégrée dans la psyché des Digital Natives : si comme le disait fort justement Marx les ouvriers sont aliénés dans leur relation au patronat parce qu’ils ne possèdent pas les outils de production, il n’en n’est pas du tout de même pour les travailleurs de la connaissance : leur outil de production est leur savoir.

Drucker continue en expliquant que c’est la raison pour laquelle l’entreprise ou l’organisation a bien plus besoin du travailleur de la connaissance que l’inverse. Il s’agit là d’un changement radical dans la nature de la relation entreprise-employé.

Solution pour la communication d’entreprise : éliminer le postulat de subordination dans la relation avec l’employé pour instaurer une relation d’échanges réciproques et équilibrés.

Post-idéologique

S’il est bien un point sur lequel la génération connectée diffère des précédentes c’est celui-là.

La génération des boomers restera celle de l’adolescence de l’homme moderne. Une génération dont on se rappellera plus pour avoir fait les idiots tous nus à consommer des substances illégales en proclamant du Debord de San Francisco à Paris que pour ce qu’ils sont devenus (publicitaires, patrons de média etc … bref : la tête de pont de la société du spectacle).

Par bonté d’âme on se gardera de porter un jugement sur le legs de la Génération suivante (GenX), dont je suis et qui n’aura su se dépêtrer de l’ombre envahissante de la précédente.

Bref : tout ce joli et salvateur bazar aux fondements très à gauche a donné naissance d’une part à la contre-culture, avec les conséquences que l’on sait. De l’autre, en réaction (ou dans la continuité cela dépend des perspectives) cela a nourri une idéologie libérale particulièrement aiguisée.

Les Digital Natives quittaient l’enfance lorsque le mur de Berlin est tombé et entraient dans l’age adulte lorsque les tours jumelles se sont effondrées. Ils assistent donc en direct, en l’espace de 10 ans aux fins du communisme et de la croyance démocratie + économie de marché = paix universelle.

Durant leur études ils voient la Chine Maoïste devenir l’allié objectif de l’oncle Sam dans une mondialisation effrénée. Enfin ils entrent sur le marché du travail avec la crise des Subprimes et assistent en direct là encore, au désaveu de l’oracle des marchés, stupéfait et incrédule devant l’insatiable avidité de financiers livrés à eux-même.

Voilà donc une génération qui est génétiquement immunisée contre les belles paroles, les grand élans lyriques et les vues de l’esprit.

En conséquence, les Digital Natives sont post-idéologiques et foncièrement pragmatiques. Ils ne croient qu’en ce qui marche. Et la seule réalisation remarquable et indiscutable que cette génération a vu en direct se mettre en place et grandir avec elle est le Web.  God Bless http.

Solution pour la communication d’entreprise : intégrité : accorder ses paroles avec ses actes. Et échanger des valeurs pompeuses contre des principes clairs et faciles à mettre en œuvre.

Sur-éduquée

Nous inspirons le monde, nous expirons du sens (Salman Rushdie)

Si l’on regarde les courbes d’évolution des diplômes dans l’OCDE sur les 20 dernières années on constate que le nombre des diplômés du supérieur a doublé.

Cela a deux conséquences directes. D’une part une évolution permanente du savoir. En effet, plus de personnes formées et diplômées travaillent sur des domaines de connaissance donnés, et plus le territoire couvert par le savoir augmente. C’est mécanique. Ce qui implique le besoin de se former en permanence : il s’agit là d’une demande forte de la génération Y.

La seconde est que la clef de la survie dans le monde connecté réside dans la capacité à faire sens de l’océan d’information dont on dispose : dans la capacité de synthèse plutôt que dans l’appropriation d’un savoir.

Ce qui, a bien y réfléchir nous rapproche de l’étymologie du mot intelligence :

le latin intelligere : inter (entre) et legere (cueillir, choisir, lire). Qui dit intelligence implique la notion de choix (faculté d’analyse et de sélection). Il faut savoir trier, mais aussi rassembler.

Ainsi, si l’expertise (la maîtrise intégrale d’une partie de savoir) est le gage de la job security ou de la reconnaissance pour la Génération X, il ne s’agit là que d’efforts inutiles pour les Digital Natives. Le savoir est bien trop vaste et évolue bien trop vite  pour se l’approprier. Ce qui importe est de savoir y naviguer pour faire du sens. On retrouve ici une notion clef évoquée par David Weinberger dans son essai The Hyperlinked Organisation du Cluetrain Manifesto.

Solution pour la communication d’entreprise : Axer sa stratégie de communication sur une aptitude à gérer le changement plutôt que sur des grands plans quinquennaux dont tout le monde sait (et les GenY le diront ouvertement) qu’ils ne servent à rien si ce n’est rassurer le management.

Connectée et sur-informée

Digital Natives = indigènes du numérique. Qui ont grandi dans un environnement perpétuellement connectés au contact du plus formidable outil de partage de la connaissance qu’ait connu l’humanité : le web.

Et cet outil ils le maitrisent mieux que quiconque. Ils ont ainsi pris la sale manie de vérifier l’authenticité des informations qui leur sont communiquées.

Si pour la génération aux commandes (X, Baby boomers) la vérité réside au cœur de l’entreprise (intranet, mails officiels, radio moquette) et doit être contrôlée, pour cette génération la vérité est sur le web : immensément plus vaste et est bien évidemment incontrôlable.

Dans l’introduction de son livre sur le sujet, Andrew “M. Entreprise 2.0″ McAfee raconte cette anecdote au sujet de Wikipedia. Grandement dubitatif quant à notre propension à collaborer pacifiquement pour construire le savoir, McAfee est allé voir la définition du mot Skinhead, terrain propice s’il en est à l’application de la Godwin’s Law. Et là il a trouvé la description la plus objective, documentée et dépassionnée du mot et de ses connotations politiques, musicales, culturelles, etc …

Habituée à Wikipedia cette génération a développé un goût immodéré pour la vérité objective et, au delà, pour la conversation et les échanges qui y amènent.

Solution pour la communication d’entreprise : dire les choses telles qu’elles sont et affronter la réalité telle qu’elle est, même si cela doit heurter des susceptibilités.

Confiants, assertifs et malheureux

On ne peut parler de cette génération sans évoquer le remarquable essai de Jean Twenge : Generation Me qui explique Why today’s young americans are more confident, assertive, entitled and more miserable than ever.

Il s’agit là, en particulier aux États-Unis, d’une conséquence de l’importance accordée à l’estime de soi dans l’éducation, importance qui a provoqué de terribles dégâts. Nous nous retrouvons ainsi avec une génération à qui on a expliqué durant toute leur éducation qu’ils pourront faire ce qu’ils souhaitent de leur carrière professionnelle. Le choc lors de l’arrivée en entreprise est d’autant plus rude.

Article publié initialement sur #Hypertextual sous le titre: “Digital Natives vs. Corporate B.S”

Illustrations FlickR CC : Dolinski, Lizette Greco, Stéfan, digitalpimp

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés