OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Modem girl http://owni.fr/2012/07/12/modem-grrrl/ http://owni.fr/2012/07/12/modem-grrrl/#comments Thu, 12 Jul 2012 10:49:14 +0000 Rosie Cross (trad. Elodie Chatelais) http://owni.fr/?p=116116 Wired en 1995. "Les filles ont besoin de modem", telle était la solution de St. Jude, "hackeuse du futur", face aux problèmes que les femmes rencontraient avec la technologie. Pour cette féministe, le combat passait aussi par le numérique.]]>

Cet article est la traduction d’une interview de Jude Milhon, décédée depuis, parue en 1995 dans le magazine américain Wired.

Jude Milhon, hackeuse plus connue sous le nom de St. Jude, tripatouille le code depuis 1967, année durant laquelle elle apprit seule le langage Fortran, ainsi que le langage assembleur spécifique au Sharp PC-1440. Et en tant qu’ancienne programmeuse UNIX, elle “parle le C++ sans accent”. À partir de 1973, bien avant la naissance de CompuServe ou l’accès facile à l’Internet, Milhon était membre de la “communauté de programmeurs et révolutionnaires de gauche” de Berkeley, Californie, à l’origine du légendaire projet Community Memory, le premier système informatique public connecté au réseau. Et elle est l’un des membres fondateurs du groupe cypherpunks – terme qu’elle a par ailleurs inventé.

Rosie Cross a interviewé par e-mail, depuis son domicile en Australie, l’irréductible programmeuse, qui vit toujours à Berkeley, Californie.

Wired : Que penses-tu du féminisme et de la technologie ?

St. Jude : Je pense que la technologie va résoudre tous nos problèmes, qu’ils soient personnels ou d’ordre scientifique. Les filles ont besoin de modems.

“Maintenant que j’en parle, je suis un ado gay et arrogant”

Wired : Penses-tu que les salons de l’électronique réservés aux femmes – ceux qui leur permettent de “bâillonner” les fayots, les boulets et autres cyberplaies – sont importants ? Ou penses-tu que l’ambiance qui règne sur le Net – “la liberté d’expression” forcée – empêche de réguler les attaques les plus virulentes envers les femmes, les pédés, les gouines, et les personnes de culture différente ?

St. Jude : Traîner avec des gens sympas, c’est bien, mais je ne veux pas passer ma vie dans le ghetto  du politiquement correct. À partir du moment où ils peuvent m’apprendre des trucs, j’aime aussi traîner avec des ados sectaires et boutonneux qui aiment se la jouer. Je peux moi-même prétendre être un ado gay et arrogant – pourquoi pas ? Surtout si ça me permet d’influencer la position d’autrui en exprimant mon opinion subversive. (Maintenant que j’en parle, je suis un ado gay et arrogant.) Les coups blessent, mais les mots qui apparaissent sur un écran m’atteignent juste autant que je le veux.

Wired : On accuse le patriarcat d’avoir construit les espaces et le langage que nous utilisons et que nous occupons. Les chercheuses américaines transforment-elles ces espaces en ghettos, en consolidant leurs intérêts de classe et en s’improvisant fliquettes lors des fête de quartier de l’élite instruite ? Toujours à l’affût d’informations, surveillant ce qui se dit, à qui, et la manière dont c’est dit ?

St. Jude : Comme une censure indirecte ? On doit à John Gilmore, de l’Electronic Frontier Foundation, ce qui est peut-être bien la citation de l’année : “L’Internet traite la censure comme n’importe quel autre bug : il la contourne.” En jargon universitaire : le discours est motivé par le désir. L’amour force toutes les serrures. Donc on va parler de ce que nous aimons à ceux qui veulent bien nous écouter. Et si certaines personnes – les fliquettes – persistent à tenter de nous intimider, au bout d’un moment, on se trouvera un nouveau lieu de rendez-vous et on les abandonnera à leur triste sort.

Il faut constamment se défendre quand on circule sur l’autoroute de l’information. Que nous soyons assaillis par des fanatiques, des bigots ou des politicards excessivement corrects, nous devons apprendre à nous défendre. N’importe quel type d’attaque en ligne requiert une connaissance des arts martiaux – l’aïkido étant sans doute le meilleur d’entre eux. Utilisez la force de votre ennemi pour lui nuire sans lui faire de mal, mais faites-le toujours dans les règles de l’art – martial. Alors apprenez à vous battre !

Pour se bagarrer, le cyberspace est mieux que tout le tapioca chaud du monde. (On n’en ressort pas couvert d’ecchymoses.) C’est le meilleur terrain d’apprentissage qui soit pour les femmes ; on peut commencer un combat physique avec un handicap de 10, okay, cependant le clavier reste le meilleur des égalisateurs – mieux qu’un Glock .45 (pistolet semi-automatique, ndlr). Et le combat sur le Net, c’est un Entraînement de Base. La sauvageonne de 14 ans que j’étais aurait bien mieux appréhendé sa vie si elle était passée par un camp d’entraînement de ce genre.

“Que la gentillesse aille se faire foutre !”

Wired : Internet est-il un endroit sûr pour les femmes ? Le viol virtuel est-il une chose possible ? Qu’est-ce que les femmes peuvent faire à un violeur virtuel qu’elles auraient démasqué – quelles sont les punitions appropriées dans le data space ?

St. Jude : Souvenez-vous que dans le cyberspace, tout le monde peut vous entendre crier. Un jour, une femme est venue pleurnicher car elle avait subi un viol virtuel sur LambdaMOO (communauté en ligne, ndlr). C’est le jeu ma pauvre dame. Vous avez perdu. Vous auriez pu vous téléporter. Ou vous transformer en Vierge de Fer (cette chose avec tout plein de piques) pour lui broyauter la bite. Mais en jouant comme vous l’avez fait, vous avez vraiment perdu. Parce que MOO, c’est aussi un espace social, dans lequel vous pouvez rencontrer des gens réellement différents en termes de culture – comme des membres du Klan –, et faire en sorte qu’ils vous respectent en tant que femme, en tant que gouine, en tant que quoi que ce soit. En vous battant, vous pourrez leur faire abandonner leurs préjugés.

J’ai un pote gay qui m’a dit qu’il se bat ainsi depuis des années… c’est un guerrier de la civilisation connectée, s’il en est. Ignorer les gens jusqu’à ce qu’ils s’en aillent, ou les supplier d’être gentils, ne changera en rien leur comportement, et cela ne les fera certainement pas changer d’avis. Endurcissez-vous ! Vous avez affaire à des gens ici, et les primates se comportent mieux quand vous leur tenez tête et que vous leur donnez une raison de vous respecter. Je déteste tout ce ouin–ouin–je–suis–une–pauvre–et–faible–femme–sensible–protégez-moi, de la merde. C’est typiquement le genre de trucs qui fait que les femmes sont méprisées. Que la gentillesse aille se faire foutre !

“Comment feras-tu pour ne laisser entrer dans ton salon virtuel que des femelles XX authentiques ?”

Wired : Il semblerait que les hommes investissent en masse les espaces d’expression des femmes sur Internet. Beaucoup de gens y voient une volonté des hommes d’avoir une plus grande part de féminité, de comprendre la psyché féminine. Tu es d’accord ?

St. Jude : Comment sais-tu que ce sont des hommes ? Je ne suis pas une dame moi chérie. Comment sais-tu que je ne suis pas un homme ? Comment feras-tu pour ne laisser entrer dans ton salon virtuel que des femelles XX authentiques, porteuses du corpuscule de Barr de vraies femmes virtuelles ? Comme on dit dans ces jeux d’aventures, “je ne vois pas d’organes génitaux ici”. Si elles disent être des femmes, c’est qu’elles sont des femmes, et qu’elles doivent être considérées comme nous autres. Mal.

Quoi qu’il en soit, le fait que les hommes soient obligés de devenir des taupes  transsexuelles pour essayer de comprendre les femmes est pathétique à mes yeux. Peut-être est-ce la seule façon pour le sexe opposé de converser avec honnêteté – être un esprit sans matière, n’avoir rien à perdre, se cacher derrière un pseudonyme. Il m’est arrivé de dire au téléphone des choses que je n’aurais pas dites en face à face. Internet fait disparaître la voix humaine.

Quand vous n’avez rien, vous n’avez rien à perdre. Je peux jouer des tours incroyables, et je peux même faire un truc encore plus scandaleux : je peux être honnête. Dire des choses personnelles et vraies – et j’ai du mal à m’imaginer faire cela sur le champ. Ce pourrait être une avancée sur la manière dont l’humain apprend sur l’humain, et pas seulement sur la façon dont les hommes et les femmes apprennent à se comprendre. Et ça me semble bien.

Wired : Si tu devais choisir un mot pour décrire ce que tu fais quand tu utilises ce medium électronique, quel serait-il ?

St. Jude : Je suis une hackeuse du futur ; je fais tout pour avoir les droits root sur le futur. Je veux faire une razzia sur son système de pensée. Grrr.

Wired : Si tu pouvais concevoir une machine, que ressentirait-elle, quelle serait son apparence et comment agirait-elle ? Quelle puissance CPU (unité centrale, ndlr.) lui donnerais-tu ? Tu la laisserais porter ta veste de cuir noir ?

St. Jude : Les machines me déçoivent. Je n’arrive à aimer ni le soft ni le hardware. Je suis déjà nostalgique du futur. Il nous faut une résolution super élevée ! Donnez-nous de la bande passante ou tuez-nous ! Attardez-vous sur les fleurs à petit pois ultraviolets que seuls les colibris regardent, humez-les comme des abeilles. Et développez votre sensorium (référence à Mac Luhan, ndlr.) dans tous les domaines possibles.

Rosie Cross est une productrice de radio indépendante, auteure, vidéaste, et geekette autoproclamée qui vit à Sydney, Australie.


Traduction Élodie Chatelais, avec l’aimable autorisation de Rosie Cross (@rosiex)

Texte original ; à lire aussi, la nécrologie de Wired, “Hackers Lose a Patron Saint

Illustration par Surian Soosay [CC-by]

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Quelle sorte de cyborg voulez-vous être? http://owni.fr/2011/06/03/homme-machine-intelligence-sorte-cyborg-voulez-vous-etre/ http://owni.fr/2011/06/03/homme-machine-intelligence-sorte-cyborg-voulez-vous-etre/#comments Fri, 03 Jun 2011 10:51:42 +0000 Xavier de la Porte http://owni.fr/?p=65863 Xavier de la Porte, producteur et animateur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, effectue chaque semaine une lecture d’article dans le cadre de son émission. Cet article a été publié le 6 avril sur InternetActu.

La lecture de la semaine, encore une fois, sera une chronique de Clive Thompson dans le dernier numéro du magazine américain Wired, car, encore une fois, cette chronique est tout à fait passionnante. Son titre n’est pas ce qu’elle a de mieux, mais il est suffisamment intriguant pour donner envie de poursuivre : “Avantage aux Cyborgs : pourquoi l’accès à une intelligence supérieure passe par l’amélioration des relations avec vos assistants numériques.” Je vous rassure, la suite est plus claire.

Clive Thompson commence par poser une question obsédante et désormais classique:

Qui, de l’homme ou de la machine, est le plus intelligent?

En 1997, rappelle Thompson, Deep Blue, le superordinateur d’IBM, a fait nettement pencher la balance en faveur des robots en battant Garry Kasparov aux échecs. Deep Blue a gagné parce que les ordinateurs peuvent produire, à la vitesse de la lumière, des calculs presque infinis : ce dont les humains sont incapables. Ce fut le prima de la force brute, de la capacité à passer en revue des millions de mouvements possibles pour trouver les meilleurs. Ce n’est pas comme ça que les humains jouent aux échecs. Les Grands Maîtres, nous rappelle encore Thompson, s’appuient, pour choisir le bon mouvement, sur des stratégies et des intuitions fournies par des années d’expérience et d’étude. Les intelligences humaines et artificielles ne travaillent pas de la même manière, ce qui a donné à Kasparov une idée intrigante.

C’est là où le papier de Thompson commence à nous apprendre quelque chose (en tout cas à m’apprendre quelque chose). Quelle fut l’idée de Kasparov ? Et si, au lieu de faire s’affronter les humains et les machines, on les faisait travailler en équipe ? Kasparov a donc créé ce qu’il a appelé les advanced chess, les “échecs avancés”, dans lesquels les joueurs sont assistés par un logiciel. Chaque compétiteur entre la position de ses pièces dans l’ordinateur et utilise les mouvements proposés par le programme pour faire ses choix.

La revanche des esprits moyens

En 2005, dans un tournoi en ligne où tout le monde pouvait concourir, certaines paires humain-machine étaient tout à fait étonnantes. Mais celle qui remporta le tournoi ne comptait aucun Grand Maître, ni aucun des superordinateurs présents dans la compétition. Ce fut une équipe d’amateurs d’une vingtaine d’années, assistés par des PC ordinaires et des applications bon marché qui l’emporta. De quoi ont-ils tiré leur supériorité ? La réponse apportée par Thompson commence à nous éclairer sur le sens de son titre. Leur supériorité est venue de leur aptitude à tirer le meilleur parti de l’aide que leur apportait l’ordinateur. Ils savaient mieux que les autres entrer leurs mouvements dans la machine, ils savaient quand il fallait consulter le logiciel et quand il valait mieux ne pas suivre ses conseils. Comme Kasparov l’a dit ensuite, un être humain faible avec une machine peut se révéler meilleur qu’un être humain fort avec une machine si l’être humain faible a une meilleure méthode. En d’autres termes, selon Thompson, les entités les plus brillantes de notre planète ne sont ni les êtres humains les plus accomplis ni les machines les plus accomplies. Ce sont des gens à l’intelligence moyenne qui ont une aptitude particulière à mêler leur intelligence à celle de la machine.

Le grand-maître Ponomariov en 2005 face à la machine

Et pour Thompson, cela ressemble beaucoup à ce qui se passe dans nos vies. Aujourd’hui, nous sommes continuellement engagés dans des activités “cyborguiennes”. On utilise Google pour trouver une information, on va sur Twitter ou Facebook pour se tenir au courant de ce qui arrive aux gens qui nous intéressent, et d’autres choses encore.

Or, un grand débat oppose ceux qui adorent notre vie moderne et numérique à ceux qu’elle perturbe. D’après Thompson, l’exemple fourni par les échecs nous montre pourquoi il existe un tel fossé. Ceux qui sont excités par les technologies sont ceux qui ont optimisé leurs méthodes, ceux qui savent comment et quand on s’appuie sur l’intelligence de la machine. Ceux qui ont adapté leur profil Facebook, configuré leurs fils RSS, etc. Et même, plus important, ceux qui savent aussi quand il faut s’écarter de l’écran et ignorer le chant des distractions qui nous appellent en ligne. Le résultat, c’est qu’ils se sentent plus intelligents et plus concentrés. A l’inverse, ceux qui se sentent intimidés par la vie en ligne n’atteignent pas cet état délicieux. Ils ont l’impression qu’internet les trouble, qu’il les rend “bêtes” pour reprendre le mot de Nicholas Carr.

Or, et on ne peut que donner raison à Clive Thompson, on ne peut pas faire comme si l’âge des machines étaient en passe de s’achever. Il est certain que l’on va de plus en plus dépendre de l’assistance numérique pour penser et se socialiser. Et trouver le moyen d’intégrer l’intelligence de la machine à nos vies personnelles est le défi le plus important qui nous soit offert. Quand s’en remettre à la machine ? Quand se fier à soi-même ? Il n’y a pas, d’après Thompson, de réponse univoque, et il n’y en aura jamais. Il s’agit là, selon lui, d’une quête personnelle. Mais en aucun cas nous ne devons éluder la question tant les avantages cognitifs sont grands pour ceux qui savent le mieux penser avec la machine. Au final, dit Thompson, la vraie question est : “quelle sorte de cyborg voulez-vous être ?”

Cette chronique de Thompson est passionnante pour elle-même, mais elle l’est aussi, me semble-t-il, pour ce qu’elle ouvre comme pistes. Et notamment, pour une explication qu’elle peut apporter à la crainte d’une partie des élites, et des élites françaises en particulier, face à l’internet. Car si Thompson, à la suite de Kasparov, a raison, si une intelligence moyenne alliée à une bonne maîtrise de la machine renverse les hiérarchies au point de se révéler supérieure à des années de travail et d’accumulation de savoir ; si cette règle s’avère exacte dans d’autres disciplines que dans les échecs, alors quelle supériorité resterait à ceux qui savent, ceux que l’on considère comme très intelligents, mais qui vivent sans les machines, qui les craignent, les méprisent, et ne s’en servent pas ? Et s’il y avait, derrière les arguments des contempteurs d’internet, la manifestation de cette crainte, la crainte d’un monde dans lequel ils ne domineraient plus, d’un monde qui menacerait leur position. Ça n’est qu’une hypothèse, mais il faut avouer qu’elle est tentante.


Article initialement publié sur InternetActu

Photos FlickR CC : Paternité par thrig et Paternité par erral

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Aux origines de la cyberculture: LSD et HTML http://owni.fr/2011/05/04/origines-cyberculture-lsd-html/ http://owni.fr/2011/05/04/origines-cyberculture-lsd-html/#comments Wed, 04 May 2011 14:16:07 +0000 Quentin Noirfalisse http://owni.fr/?p=61024 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Juillet 1947. La revue américaine Foreign Affairs publie un rapport, rédigé par un certain M. X, qui modèlera la seconde moitié du vingtième siècle : « Les sources de la conduite soviétique ». Sur fond de réquisitoire contre la « poursuite d’une autorité interne illimitée » par le régime communiste, M. X, alias George Foster Kennan, alors directeur des affaires politiques du département d’État développa la stratégie du containment,ou endiguement en français. Kennan écrit :

Il est clair que le principal élément de toute politique des États-Unis à l’égard de la Russie soviétique doit être de contenir avec patience, fermeté et vigilance ses tendances à l’expansion.

Mal comprise, de l’aveu même de Kennan, cette idée de containment influença la Doctrine Truman et devint l’une des pierres angulaires de la politique des États-Unis envers l’URSS tout au long de la Guerre Froide.

Investir dans l’éducation au XXIe siècle

8 Avril 2011. En pleine bagarre budgétaire au Congrès américain, le Pentagone a discrètement sorti un rapport, le National Strategic Narrative, pondu par M. Y, en clin d’œil au texte de George Kennan. Derrière M. Y se profilent deux membres du Comité des chefs d’États-majors interarmées : le capitaine Wayne Porter et le Colonel Mark « Puck » Mykleby. Tout en rappelant qu’il ne reflète que le point de vue de ses deux auteurs et non pas celui du Pentagone (qui a néanmoins autorisé sa diffusion), ce document tente de jeter les bases d’une nouvelle stratégie américaine pour le 21e siècle. Porter et Mykleby conseillent aux États-Unis de cesser de concevoir leur rapport au monde sous l’angle de la défense et d’investir davantage « d’énergie, de talent et de dollars dans l’éducation et la formation des jeunes Américains » que dans les dépenses militaires.

Ainsi, le National Strategic Narrative explique qu’il est temps de passer, outre-Atlantique, d’une stratégie de containment (qui a prévalu « pour les Soviétiques, puis pour les terroristes ou la Chine ») vers un nouveau concept : le sustainment (durabilité). En clair, les États-Unis devraient mettre l’accent sur « l’influence » politique plutôt que sur le « contrôle » et se focaliser sur leur prospérité interne tout en regagnant « leur crédibilité » sur la scène internationale. En évitant, suggèrent Porter et Mykleby, de se mettre des communautés entières à dos en abusant du label « terroriste ».

L’un des paragraphes les plus intéressants de ce rapport est dédié à Internet et à sa reconnaissance comme facteur essentiel de ce « monde en changement perpétuel » décortiqué par les deux Monsieur Y. En une poignée de phrases, il résume la perception de la toile que peuvent développer des stratèges américains:

L’avènement de l’Internet et du world wide web, qui ont inauguré l’ère de l’information et vivement accéléré la mondialisation, a engendré des effets secondaires dont les conséquences doivent encore être identifiées ou comprises. Parmi ces effets, on constate : l’échange anonyme et quasi-instantané des idées et des idéologies, le partage et la manipulation de technologies sophistiquées et auparavant protégées, un « networking » social vaste et transparent qui a homogénéisé les cultures, les castes et les classes, la création de mondes virtuels complexes [...]. Le worldwide web a aussi facilité la diffusion de propagandes et d’extrémismes haineux et manipulateurs, le vol de la propriété intellectuelle et d’informations sensibles, [...] et suscité la perspective dangereuse et dévastatrice d’une cyberguerre [...]. Que cette révolution pour la communication et l’accès à l’information soit vue comme la démocratisation des idées ou comme le catalyseur technologique d’une apocalypse, rien n’a eu autant d’impact sur nos vie depuis cent ans. Nos perceptions de nous-mêmes, de la société, de la religion et de la vie ont été mises au défi.

Propagande, apocalypse, cyberguerre : la vision est volontiers anxiogène. Elle n’en est pas moins logique pour le prisme militaire américain et réaffirme quelque chose qui, pour beaucoup, sonne comme une évidence : Internet s’est, en une vingtaine d’années, installé comme un pilier essentiel du monde occidental. « Internet est notre société, notre société est Internet », établit un manifeste de blogueurs et journalistes allemands publié en 2009, précisant que Wikipédia et Youtube font autant partie du quotidien que la télévision.

Le grand bouleversement

Dès 1981, Dean Gengle, pionnier du net au bord de l’oublie (713 résultats Google, pas de page Wiki) et membre éminent de CommuniTree, l’une des premières « communautés virtuelles » à tendance hippie proposait la création d’un Electronic Bill of Rights (Déclaration des droits électroniques) . Envoyer et écrire des mails, tenir des « réunions électroniques », mener des transactions financières, accéder à des bibliothèques d’information, arranger ses voyages, « bouleverser, en général, la manière dont nous faisons les choses » : la révolution de la communication impliquait, pour Gengle, l’intensification de ces usages. Son Bill of Rights, réclamant en particulier le respect de la vie privée dans la sphère électronique, n’aboutira pas. La suggestion d’Al Gore, en 1998, de poursuivre une initiative similaire non plus.

Les cieux de ce nouveau cosmos électronique nécessitaient ainsi d’être protégés et les droits de l’homme devaient y être garantis comme dans l’univers tangible. De nombreux textes, manifestes, codes de principes ont également rappelé, ces trois dernières décennies, que l’Internet appartient au public (par exemple, le Bill of Rights on Cyberspace du journaliste américain Jeff Jarvis). Mieux : Internet n’est pas un simple média, mais bien un lieu public. Dans La démocratie Internet, le sociologue français Dominique Cardon réfute une idée répandue qui voudrait que l’armée américaine, plongée dans sa Guerre Froide, soit seule à l’origine d’Internet.

Cette dernière aurait effectivement contribué à son développement initial, en finançant l’équipe de recherche qui « a conçu les premiers protocoles de transmission du réseau ARPANET », l’ancêtre d’Internet. Mais le net et, surtout, la philosophie qui le sous-tend, explique Cardon, seraient avant tout issue du mariage entre le tourbillon de la « contre-culture américaine » des années 60 et du « monde de la recherche ». Pas étonnant que Timothy Leary, apôtre du psychédélisme, se soit exclamé que « le PC était le LSD des années 90 !».

L’une des plus vieilles communautés virtuelles encore en activité, the WELL (Whole Earth ‘Lectronic Link), sorte de proto-MySpace engendré « bien avant que l’Internet public ne soit lâché » , a été fondée en 1985 par Stewart Brand. Brand, plus connu pour avoir édité un monument de la contre-culture, le Whole Earth Catalog, demeure l’un des derniers vestiges de l’âge d’or de l’acide. Un maigrelet aux cheveux blonds qui portait un disque étincelant sur le front, arborant pour tout vêtement un collier de perles et un survêtement blanc de garçon boucher parsemé de médailles du Roi de Suède, comme le décrit Tom Wolfe en 68 dans The Electric Kool-Aid Acid Test. Son dernier trip, selon ses souvenirs pas si brumeux qu’il n’y paraît, il se le serait pris en 1969, tiens donc, aux côtés des hippies du Hog Farm et de Ken Kesey, l’auteur de Vol au dessus d’un nid de coucou.

Ovni éditorial, bible hippie

Le Whole Earth Magazine cumulait le statut d’ovni éditorial et de bible hippie. On y parlait autant, rappelle l’universitaire Fred Turner dans De la contreculture à la cyberculture, de flûtes en bambou, de construction de dômes futuristes pour habitat autonome que de musique générée par ordinateur . L’édition de mars 69 appelait Nixon à faire de la planète terre un parc national protégé. Imbibée des théories cybernétiques, la chair éditoriale du Whole Earth résidait dans une croyance aux antipodes d’Orwell : la technologie, loin d’être oppressive, pouvait se révéler libératrice, et ce serait, selon Fred Turner, le Whole Earth qui aurait « créé les conditions culturelles grâce auxquelles les micro-ordinateurs et les réseaux informatiques auraient été perçus comme les instruments » de cette « libération ».

Steve Jobs, le maître de la pomme himself, a salué le Whole Earth Magazine comme un embryon de « Google 35 ans avant Google » . Tout en dédiant de nombreuses pages à des programmes informatiques « révolutionnaires », Stewart Brand organise en 1984 la première conférence de hackers. Ce « Woodstock de l’élite informatique » , tenu dans une vieille base militaire de la baie de San Francisco, aurait été inspiré par la sortie, la même semaine, du livre de Stephen Levy Hackers – Les héros de la révolution informatique. Avec cet ouvrage, Levy tentait de décoder et d’établir les grandes lignes de l’éthique de ces géniaux programmeurs dopés aux lignes de code qui accouchèrent de l’ordinateur personnel.

Vingt-cinq ans plus tard, Levy revenait dans Wired sur les principes esquissés dans son livre :

Certaines des notions [de cette éthique] sont aujourd’hui à se cogner le front d’évidence mais étaient loin d’être acceptées à l’époque – comme l’idée que ‘Vous pouvez créer de l’art et de la beauté sur un ordinateur’. Un autre axiome identifiait les ordinateurs comme des instruments de l’insurrection, conférant du pouvoir à chaque individu doté d’une souris et de la jugeote suffisante – se méfier de l’autorité, promouvoir la décentralisation. Mais le précepte qui me semblait le plus central à la culture hacker s’avéra aussi être le plus controversé : toute l’information doit être gratuite.

Cette sentence est dérivée de la bouche visionnaire de Stewart Brand, qui résuma un des principaux antagonismes de la cyberculture :

D’un côté l’information veut être onéreuse, parce qu’elle est tellement précieuse. Une bonne information au bon endroit change votre vie. D’une autre côté, l’information veut être gratuite [free], parce que le coût de sa publication diminue sans cesse. Ces deux idées se combattent l’une l’autre.

Les mots de Brand ont été amplement commentés. Free voulait-il dire gratuit ? Ou libre, comme dans logiciel libre, dont les codes sont ouverts à leurs utilisateurs ? Les deux, sans doute.

La génération numérique

Dès le début des années 80, cette opposition (information chère/information gratuite) s’était déjà matérialisée. Certains hackers partirent du côté des logiciels commerciaux, protégés contre la copie. D’autres, dont Richard Stallman, le père du mouvement du logiciel libre, choisirent la coopération plutôt que la compétition. En 1993, le magazine technologique Wired fut fondé. Ouvertement libertarien, il est donc allergique à l’action de l’État (et à son autorité) tout en défendant bec et ongles les libertés individuelles, dont celle d’entreprendre et d’innover. Parmi les collaborateurs du premier numéro, six venaient du Whole Earth Catalog, dont Stewart Brand. Selon Fred Turner, Wired estimait que cette « génération digitale » allait « ébranler les sociétés commerciales et les gouvernements », « démolir les hiérarchies » et installer à leur place « une société collaborative ».

Le rêve ne s’est pas encore réalisé. Internet « est notre société ». On y compte beaucoup. Dollars, euros, yuans. On y consomme allégrement. On y raconte parfois des mensonges qui se muent en réalités. On y voit agir une kyrielle de gouvernements, à coups de lois et de commissions. Sans compter les sociétés privées. Certaines, comme Facebook, créent presque un « Internet clos» dans l’Internet, tellement la plateforme est recroquevillée sur elle-même. Mais tout ne s’arrête pas là. Internet n’est pas qu’un labyrinthe a priori anarchique, c’est aussi une fabrique de contre-pouvoir, « un laboratoire, à l’échelle planétaire, des alternatives à la démocratie représentative », écrit Dominique Cardon.

Sur la face la plus exposée du Net, on y voit des révoltes amplifiées, à l’international, par les médias sociaux mais aussi des révolutions soit-disant Twitter qui n’en sont pas vraiment (en Moldavie ou en Iran). On y suit les péripéties d’un hacker qui se serait surnommé, à 16 ou 17 ans, Mendax (le menteur, en latin), avant de devenir l’icône médiatique du whistleblowing. En 2008, Julian Assange estimait que son projet, WikiLeaks avait changé les résultats des élections kényanes de 10% après avoir fait fuiter des documents accablants sur la corruption du régime de Daniel Arap Moi.

Sur d’autres versants de la Toile, souvent moins exposés, les questions s’agglutinent. Comment garantir la vie privée, facteur clé de la démocratie, et les libertés civiles sur Internet ? Quel sont les intentions de nos gouvernements face au réseau ? Comment aborder la question du copyright ? Comment utiliser cette « place publique » comme vecteur de transparence voire d’un changement social plus profond ? Comment y garantir la liberté d’information ? Ces questions, des citoyens, fins explorateurs de la toile et souvent hackers, s’en sont emparées, agissant même au-delà des aspects liés au réseau. On les range, avec excès, dans la catégorie « activisme », « alors que non, ce qu’ils font, c’est de la politique », estime Jean-Marc Manach, journaliste à OWNI et Internetactu.net, plongé dans le net depuis 1999.

Pendant quelques mois, Geek Politics va se creuser le front, rencontrer du monde, de Berlin à l’Islande (on peut toujours croiser les doigts) en passant par la Belgique, tenter de plonger dans le débat, ramener des images et du son, du texte, et, avec vous, essayer d’un peu mieux comprendre en quoi Internet change nos démocraties et l’espace public.


Article initialement publié sur Geek Politics sous le titre : “Du LSD aux lignes de codes : genèse fragmentaire d’une cyberculture”

Vidéo réalisée par Dancing Dog Productions (quentin noirfalisse/adrien kaempf/maximilien charlier/antoine sanchez)

Crédits Photo FlickR by-nc-nd 7E55E-BRN / by-nc Intersection Consulting / by-nc-sa 350.org

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“The Daily”, premier quotidien uniquement sur iPad http://owni.fr/2010/11/22/%e2%80%9cthe-daily%e2%80%9d-premier-quotidien-uniquement-sur-ipad/ http://owni.fr/2010/11/22/%e2%80%9cthe-daily%e2%80%9d-premier-quotidien-uniquement-sur-ipad/#comments Mon, 22 Nov 2010 12:17:27 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=36608 Après avoir placé certains de ses journaux derrière un paywall, Ruppert Murdoch tente une nouvelle expérience : “The Daily” sera un quotidien national payant, que l’on ne pourra consulter que sur iPad pour 99c par semaine. La rédaction sera composée de 100 journalistes, ce qui est peu par rapport à la taille des rédactions anglo-saxonnes, mais énorme dans l’univers du digital. Newscorp a investi 30M de $ dans l’opération et obtenu le soutien de Steve Jobs. Les utilisateurs pourront acheter leur édition directement dans l’application sans qu’elle ne soit chargée sur leur compte iTunes (ce qui fait économiser à Newscorp les 30% de commission pris par Apple), note David Carr, du New York Times, plutôt dubitatif sur l’opération.

Murdoch a-t-il raison de se lancer dans cette aventure radicale ?

Tout d’abord, oui, il a raison d’expérimenter. Il en a les moyens. On pourrait imaginer par exemple une opération similaire en France, avec France Soir, qui n’a plus rien à perdre.

L’iPad est un support moderne qui permet une lecture traditionnelle des médias. Et ouvre de nouvelles perspectives économiques pour l’info digitale : on y retrouve la notion de “packaging”, de hiérarchisation et de produit fini, chère à l’industrie de la presse papier. Même si les mécanismes sont différents : l’intégration des médias sociaux et de l’expérience utilisateur sera décisive.

Les dernières études sur les utilisateurs de l’iPad montrent qu’ils lisent beaucoup plus que sur n’importe quel autre support. Plus d’une heure contre 3 à 4 minutes sur le web, estime Chris Anderson, le patron de Wired. Il y consacrerait même plus de temps que sur le papier, selon une étude de CondeNast (106mn par magazine, contre 46mn). Des résultats à croiser avec une étude française, basée sur l’eyetracking,   qui révèle que les lecteurs de tablettes lisent plus superficiellement que ceux des quotidiens papier.

Elles montrent également qu’ils dépensent 27€/mois sur leurs tablettes. Ce qui est beaucoup. Mais aussi lié au fait que l’iPad touche encore aujourd’hui une population de early adopters plutôt fortunés (entre 80.000 et 100.000$/ an de revenus).

Quelques bémols cependant

100 journalistes, c’est beaucoup, mais c’est peu. Tout dépend comment est organisée la rédaction. J’ai montré à plusieurs reprises comment l’on pouvait optimiser la qualité et la productivité des rédactions en les faisant fonctionner en réseau. J’ai le sentiment que la vision éditoriale de Murdoch est encore très “old fashion”. The Daily fera du journalisme traditionnel avec du rich media (vidéos et infographies) et des photos. Un certain nombre de contenus seront fournis par les autres médias de NewsCorp. Mais avec sans doute, pour compenser, avec beaucoup de ton. Ce qui a fait le succès de la Fox News aux Etats-Unis et de The Sun en Grande-Bretagne.

Les premiers chiffres de The Times ne sont guère encourageants. Comme le calcule Clay Shirky, on est passé de 6 millions d’utilisateurs, certes gratuits, à une dizaine de milliers d’abonnés mensuels (The Times faisait état de 50.000 transactions en 4 mois, pas d’abonnements). Ce qui fait passer le Times online d’un média en ligne à un marketing de newsletter. Et là encore, il s’agit de conversion de lecteurs papier vers un modèle digital payant.

Lancer un nouveau quotidien entièrement payant sur iPad, sans être passé par la case web, se heurte donc à un nombre important de barrières qu’il faudra briser. Il faudra du temps, et de l’argent. Et de la souplesse… beaucoup de souplesse.

Murdoch est optimiste : il espère convaincre 500.000 lecteurs d’ici 5 ans. Soit 5% des utilisateurs actuels de tablettes, estime David Carr (ce nombre devrait monter à 100 millions d’utilisateurs dans 5 ans).

Reste que les usages changent à toute vitesse. La génération Y n’est pas encore arrivée sur iPad. Et, en dehors de Flipboard (un agrégateur s’appuyant sur les médias sociaux) les vrais concurrents digitaux des médias ne sont pas encore nés sur tablette. On devine cependant que les applications ne seront pas aussi fermées dans quelques années qu’elles ne le sont aujourd’hui. Google, qui maîtrise Android (le système N°1 d’ici un à deux ans), y travaille…

>> Article initialement publié sur la Social Newsroom

>> Illustrations FlickR CC : World Economic Forum, Johan Larsson

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Pourquoi OWNISciences ? http://owni.fr/2010/10/25/pourquoi-ownisciences-3/ http://owni.fr/2010/10/25/pourquoi-ownisciences-3/#comments Mon, 25 Oct 2010 11:59:09 +0000 Admin http://owni.fr/?p=189 Début septembre, le Guardian a intégré sur la Une de son site quatre blogueurs scientifiques. La semaine précédente, PLoS (Public Library of Science), un éditeur non-profit de revues scientifiques en accès libre, lançait son réseaux de onze blogs. Ils rejoignent Wired Science, Scientopia et bien d’autres.

Dans les media français, la place des blogs science est réduite à une petite portion. Ceux des journalistes scientifiques sont peu mis en avant (à quelques exceptions près comme le blog du journaliste scientifique de Libération Sylvestre Huet, Sciences2, régulièrement repris sur le site du quotidien ou le blog Santé de Jean Daniel Flaysakier, spécialiste des questions de santé à la rédaction de France 2) et les media s’intéressent encore moins aux blogueurs scientifiques.

Avec C@fé des sciences et Umaps (éditeur de Knowtex), nous créons OWNISciences, un media web de discussion autour des sciences et techniques, pour porter la discussion citoyenne autour de ces sujets en mettant en valeur des contenus déjà publiés sur des blogs de sciences, des traductions et des contenus inédits.

En réunissant les écrits de blogueurs, chercheurs, journalistes et “médiateurs” (les animateurs des centres de sciences, associations et missions de culture scientifique), nous souhaitons créer une conversation à plus grande échelle et donner à ces points de vue, souvent absents des grands médias, l’audience qu’ils méritent.

Ouvrir la discussion

Par nature, le discours scientifique est plutôt descendant, inculquant une parole d’expert qui doit être reçue telle quelle et n’engage aucune discussion. Sur OWNISciences comme sur les blogs et autres espaces d’expression offerts par le web, nous serons ouverts à la contestation et à la discussion. Cela peut prendre de nombreuses formes, de la controverse (argumentée) au simple signalement en passant par l’approbation, la demande de précisions, l’interrogation, la réfutation, le complément… Cette conversation reflétera la diversité des sujets et des points de vue qui sont échangés, avec en ligne de mire la curiosité et le plaisir.

Parler des sciences autrement

Dans le paysage de l’actualité et de l’analyse scientifique (certains parlent de “critique de sciences”), il y a clairement de la place pour parler plus de sciences, et surtout pour en parler autrement, en variant le contenu et en explorant des voies de traverse. À ce titre, l’idée d’utiliser le journalisme de données pour éclairer autrement les enjeux science-société est un défi que notre média se propose de relever. Mais plus largement, c’est pour offrir une autre parole et d’autres analyses, qui ne sont pas forcément celles des mandarins patentés ou des journalistes institués et qui rompent avec un journalisme scientifique “à la papa”, que nous construirons une communauté d’auteurs, de professionnels et d’internautes actifs.

Faire participer les scientifiques

En décembre 2007, un sondage Eurobaromètre spécial (PDF) avançait que 52 % des sondés préfèrent que les chercheurs eux-mêmes, plutôt que des journalistes, leur présentent les informations scientifiques. OWNISciences espère offrir aux chercheurs et scientifiques en tous genres la possibilité d’accéder à cet outil de communication directe et de toucher un large public.

Les exemples du C@fé des sciences, de Knowtex, de Plume!, de Sciences et Démocratie, et d’autres initiatives communautaires en matière de sciences montrent qu’il est possible de construire une vision large et rationnelle du monde en agrégeant des points de vue et discussions atomisées. C’est en capitalisant sur cette expérience que nous espérons offrir avec OWNISciences  un espace d’expression pour tous sur les sciences.

>> Illustrations FlickR CC Kaptain Kobold. Illustrations et Une pour OWNI par Elsa Secco en Creative Commons

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Pourquoi Internet n’a pas gagné le prix Nobel de la paix http://owni.fr/2010/10/12/pourquoi-internet-na-pas-gagne-le-prix-nobel-de-la-paix/ http://owni.fr/2010/10/12/pourquoi-internet-na-pas-gagne-le-prix-nobel-de-la-paix/#comments Tue, 12 Oct 2010 11:00:36 +0000 Federica Cocco http://owni.fr/?p=30964 Le manifeste avait été présenté au mois de novembre 2009, et Riccardo Luna – le rédacteur en chef de Wired Italie – avait été inspiré par la soi-disant “révolution Twitter” en Iran, quand des centaines d’opposants sont descendus dans les rues de Téhéran après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en mai 2009.

La proposition a été saluée par de nombreuses personnalités, parmi lesquelles on retrouve des “technôlatres” tels que Nicholas Negroponte, professeur et chercheur au MIT, ou Shirin Ebadi, lauréate iranienne du prix Nobel de la paix, mais aussi des soutiens plus inattendus, comme Giorgio Armani, Vodafone, Citroën et Microsoft.

Pourquoi tenaient-ils tant à prendre part dans cette initiative?

Je ne doute pas complètement de la sincérité des politiques de responsabilité sociale des entreprises, mais la rhétorique employée ressemblait à s’y méprendre à une stratégie marketing et PAS à une campagne sérieuse visant à récompenser des initiatives pour la paix.

Le show avait été présenté au Piccolo Teatro de Milan. Sous les projecteurs, agrippant fermement son micro, Riccardo Luna, ponctuellement épaulé par David Rowan, le rédacteur en chef de Wired Royaume-Uni, déclamait une version en anglais du manifeste, qui racontait en substance:

Nous avons finalement réalisé qu’Internet est bien plus qu’un réseau d’ordinateurs. C’est une toile infinie de personnes. Des hommes et des femmes des quatre coins de la planète se connectent entre eux, grâce à la plus grande interface sociale dans l’Histoire de l’humanité. La culture digitale a jeté les bases d’une nouvelle forme de société. Et cette société prône le dialogue, le débat et le consensus au travers de la communication. Parce que la démocratie a toujours prospéré là où il y a de l’ouverture, de l’acceptation, de la discussion et de la participation. Et le contact avec les autres a toujours été le meilleur antidote à la haine et au conflit.
Voilà pourquoi Internet est un outil pour la paix.
Voilà pourquoi tous ceux qui l’utilisent peuvent semer les graines de la non-violence.
Et voilà pourquoi le prix Nobel de la paix devrait aller au web.
Un Nobel pour chacun d’entre nous.

Il y avait un autre invité d’honneur, Mauricio Costanzo, que peu d’entre vous connaissent mais qui, pour résumé, est un hybride italien entre Jerry Springer et Jean-Luc Delarue. Et on ne peut pas vraiment dire qu’il respire la crédibilité lorsqu’il s’agit de défendre la paix, l’innovation et l’information désintéressée.

Plus tard, même le show-biz est entré dans la danse, avec des célébrités comme Jude Law publiant des vidéos louant Internet4Peace – pour le compte de l’ONG Peace One Day.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La campagne a été ratifiée par 160 parlementairs italiens – et en tant qu’Italienne, je le confesse, une question me vient à l’esprit: ce sont les mêmes politiques que ceux qui ont approuvé cette loi inique qui impose la censure aux blogs? N’est-ce pas ironique que la proposition de Nobel soit mise en avant par un pays qui a vu se réduire comme peau de chagrin son budget pour la recherche et l’éducation? Rappelez-vous, un petit groupe de copains obséquieux a proposé que l’inénarrable “Silvio” soit récompensé de tous ses efforts pour la paix.

Bien sûr, nous essayons de changer la donne – malgré une fuite des cerveaux que rien ne semble pouvoir enrayer – mais une campagne pour un Nobel dictée par une arrière-pensée commerciale est-elle le bon point de départ? Plus particulièrement quand elle défendue par des entreprises dont l’intérêt ne réside pas toujours dans la liberté de l’information, et encore moins dans la paix. Il faut par exemple penser aux premières initiatives d’Armani sur le web. Son premier fait d’armes a été de poursuivre un blogueur éponyme afin de mettre la main sur le nom de domaine Armani.it et de l’utiliser à des fins commerciales. Pas le meilleure exemple de nétiquette, vous en conviendrez.

Nombreux sont ceux qui invoquent la pornographie, la pédopornographie ou les sites qui encouragent la violence pour justifier leur désaccord sur cette nomination. Récemment, un article intéressant de Julian Baggini sur le site de la BBC cherchait à déterminer si nous considérons Internet comme une influence systémique sur notre façon de penser et de communiquer, puisque “les bons systèmes peuvent réellement promouvoir un meilleur comportement”, alors que dans le même temps, la fameuse expérience de Milgram a démontré que les individus sont bien plus enclins à infliger une douleur à une autre personne si ils ne la voient pas, et ce malgré des signes audibles de protestation.

“Arme de construction massive”

Pensez un instant à la belligérance assez remarquable qui s’étale sur les fils de commentaires (l’expression proverbiale reductio ad hitlerum, plus connue sous le nom de point Godwin, vient à l’esprit). A en croire le chercheur Evgeny Morozov, “qu’il s’agisse de traquer les blogueurs dissidents, de diffuser leur propre propagande en ligne ou de lancer des cyberattaques, les régimes autoritaires se sont imposés comme des utilisateurs très actifs du web”.

C’est un risque que nous courons en Europe à ce moment précis, avec des lois comme Hadopi en France, la Lodo Alfano en Italie, ou encore la Digital Economy Bill au Royaume-Uni. Morozov ajoute même ceci: “Donnerions-nous le prix Nobel à un fusil-mitrailleur parce qu’il est susceptible d’être utilisé par des Casques Bleus de l’ONU?”. Peut-être. Les autres options ouvrent la voie à une autre arme de construction massive:

Les contempteurs ont ajouté: “Pourquoi ne pas le donner aux pigeons voyageurs?” Et en effet, ils ont rendu un fier service à l’amélioration de la communication entre les hommes, en leur temps!

A écouter ceux qui l’ont nominé, Internet devrait gagner le Nobel de la paix parce qu’il s’agit d’un outil important pour promouvoir la participation, la démocratie et une compréhension mutuelle entre les cultures. En effet, la formule magique utilisée dans ce contexte est qu’ ”Internet est une arme de construction massive” – un slogan qui, selon une source, a été mis au point par la seule employée féminine et sous-payée de la rédaction de Wired Italie.

Ne vous méprenez pas, je sais que les motivations autour de cette candidature sont nobles. Pour résumer, je dirais que le point faible de cette campagne réside dans le fait qu’elle est relayée par la même corporation qui érige la liberté individuelle en priorité – ce qui rend la tentative pharisaïque et lourdement grevée. Fondamentalement, il ne s’agit que d’une manœuvre rondement menée , rien d’autre. Je devrais le savoir, j’ai travaillé pour Wired.

En dehors de ces considérations, je trouve digne d’intérêt que chaque geek-potentiel-lecteur-de-Wired avec qui j’ai parlé soit opposé à l’initiative. Pourquoi?

Le site d’Internet4Peace pourrait apporter un premier élément de réponse technique. Mais ce qui me vient en premier lieu à l’esprit, c’est un épisode de IT Crowd dans lequel les personnages principaux tendent une boîte à leur manager “technonaïve”, en affirmant que “les anciens d’Internet” l’ont autorisée à utiliser le web pour une conférence.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Même si, selon le Vancouver Sun, Internet figurait dans la liste finale, il y avait, parmi les 237 candidats des profils bien plus légitimes, surtout si vous considérez celles de Democratic Voice of Burma, de la Cour Spéciale pour la Paix du Sierra Leone, de l’activiste des droits de l’homme afghane Sima Simar, et celle du vainqueur, bien entendu, le dissident chinois Liu Xiaobo.

Cet article a initialement été initialement publié sur Owni.eu

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Why the Internet did NOT win the Nobel Peace Prize http://owni.fr/2010/10/08/why-the-internet-did-not-win-the-nobel-peace-prize/ http://owni.fr/2010/10/08/why-the-internet-did-not-win-the-nobel-peace-prize/#comments Fri, 08 Oct 2010 09:52:23 +0000 Federica Cocco http://owni.fr/?p=30790 Its manifesto was initially presented in November last year, and Riccardo Luna – editor of Wired Italy – was inspired by the so-called Twitter revolution in Iran, when thousands of protesters took to the streets of Tehran following elections of 2009, and informed others on their whereabouts via the microblogging website.

The proposal has been endorsed by a number of distinguished personalities, such as ”techno-utopian” Nicolas Negroponte and Iranian nobel laureate Shirin Ebadi, though they have been joined by a number of unlikely elements, such as Giorgio Armani, Vodafone, Citroen and Microsoft.

Now, why would they want to take part in such an initiative?

I don’t completely doubt the sincerity of corporate social responsibility, but the rhetoric was suspiciously similar to a marketing strategy and not, I repeat NOT, a serious campaign committed to rewarding peace-making  efforts.

The show was presented at the Piccolo Teatro Studio of Milan. Under the spotlight, and with a firm grip on the microphone, Riccardo Luna, was occasionally accompanied by David Rowan, editor of Wired UK, delivering the English-version of the manifesto, which read something along the lines of:

We have finally realized that the Internet is much more than a network of computers.
It is an endless web of people. Men and women from every corner of the globe are connecting to one another, thanks to the biggest social interface ever known to humanity.
Digital culture has laid the foundations for a new kind of society.
And this society is advancing dialogue, debate and consensus through communication.
Because democracy has always flourished where there is openness, acceptance, discussion and participation. And contact with others has always been the most effective antidote against hatred and conflict.
That’s why the Internet is a tool for peace.
That’s why anyone who uses it can sow the seeds of non-violence.
And that’s why the next Nobel Peace Prize should go to the Net.
A Nobel for each and every one of us.

There was another guest of honour, Maurizio Costanzo, whom most of you don’t know but suffice is to say, is a special Italian mixture of Jerry Springer and Jean-Luc Delarue, is hardly a credible advocate of peace, innovation and disinterested information.

Lately, even show biz joined this playful bandwagon, with the likes of Jude Law releasing a video endorsing Internet4Peace- on behalf of NGO Peace One Day.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


The campaign was ratified by 160 Italian parlamentarias – and as an Italian, I must confess, the question pops to mind: are these the same MPs who approved the infamous gag law, imposing numerous censoring barricades on blogs? Isn’t it somewhat ironic that the proposal is being put forward by a country that has seen severe cuts to research and education? Mind you, a little group of sycophanthic cronies put forward the one and only ‘Silvio’ for the same award.

Sure, we are trying to change things – despite a tragic brain drain – but is a commercially driven Nobel campaign really the place to start? Especially when it’s upheld by businesses whose interest is not necessarily to favour freedom of information, let alone peace. Armani’s first initiative on the web platform comes to mind. His debut was to sue an eponymous blogger in order to sieze the domain Armani.it and use it for his own commercial needs. Not the best case of netiquette I would add.

Many use the presence of pornography, pedopornography and websites endorsing violence as a reason for not supporting the nomination. Lately an interesting piece by Julian Baggini on the BBC website argued that if we consider internet as having a systemic influence on the way we think and communicate, then it has been proven that “good systems really can promote better behaviour”, though on the other hand Stanley Milgram’s famous obedience experiments found that people were much more willing to inflict pain on another person if they couldn’t actually see them, even if their howls of anguish were still audible“. Think of the exemplary belligerence displayed on most comment threads (the proverbial reductio ad hitlerum comes to mind). According to writer Evgeny Morozov, “Whether it is to track down unruly bloggers, spread their own online propaganda, or launch cyber-attacks, authoritarian governments have emerged as very active users of the web”. This is a risk we’re running in Europe at this very moment, with laws like the Hadopi, the Lodo Alfano in Italy, and the Digital Economy Bill in the UK.

Morozov also adds: “Would we ever give the Nobel award to the machine gun just because it could be used by UN peacekeepers?”. Maybe. Other options include another weapon of mass construction:


Critics have added: “Why not give it to carrier pigeons as well?” and indeed they did make an unrewarded effort to improve communications, back in the day!

According to its nominators, internet should win the peace prize due to its importance in promoting participation, democracy and mutual understanding between different cultures. Indeed, the catch phrase used in this context is that “internet is the first weapon of mass contruction” – a slogan that, according to a source, was actually devised by the underpaid, overworked, only female staff member of the Wired Italy newsroom.

Don’t get me wrong, I am aware that the motivations are noble. Overall, I would argue that the weakest point of this campaign is that it is promoted by the same corporations that hardly have individual freedom as a priority – this makes the attempt self-righteous and heavily misguided. It is fundamentally, nothing but a gimmick. I should know, I used to work for Wired.

Aside from these considerations, I find worthy of notice that every single Wired-target-audience geek I have discussed this with has been against the initiative. Why is this?

Well, for one the I4P website is in itself  technically questionable. But what comes to mind is mostly an episode of the IT crowd where the main characters hand a box to their luddite manager claiming “the elders of the internet” have allowed her to use the internet for a conference.


IT Crowd – The Internet
envoyé par
combine. – Plus de vidéos fun.

Though according to the Vancouver Sun the internet was shortlisted, of course, among the 237 candidates it was hardly the best candidate, especially if you consider favourites Democratic Voice of Burma, the special Sierra Leone Peace Court, Afghan human rights activist Sima Simar and the winner, of course, Chinese dissident Lui Xiabao.

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http://owni.fr/2010/10/08/why-the-internet-did-not-win-the-nobel-peace-prize/feed/ 5
Le web est mort deux fois http://owni.fr/2010/09/21/le-web-est-mort-deux-fois/ http://owni.fr/2010/09/21/le-web-est-mort-deux-fois/#comments Tue, 21 Sep 2010 11:36:50 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=28765 J’ai tardé à réagir à l’article de Chris Ander­son dans Wired, parce que, depuis plus d’un an, j’ai annoncé cette mort du Web, et qu’il me sem­blait inutile de me répé­ter, et puis parce que la posi­tion capitalo-libéraliste d’Anderson com­mence à me cou­rir sur le hari­cot. Il oscille au gré des modes, sur­fant la vague idéo­lo­gique du moment, pour mieux la reje­ter quand il entre­voit une nou­velle pos­si­bi­lité de busi­ness. La plu­part des auteurs de son espèce ne pensent que gros sous. Ils croient que tout se règlera par des contrats (et par les séries TV qui consti­tuent le sum­mum de leur culture).

Le gra­phique publié dans Wired paraît défi­ni­tif. La messe est dite. Mais, à y regar­der mieux, il ne s’agit que d’un com­pa­ra­tif en parts de mar­ché. Ce n’est pas parce que le Web perd des parts qu’il meurt. Aujourd’hui par exemple, on publie plus de livres que jamais même si les gens passent pro­por­tion­nel­le­ment moins de temps qu’avant à les lire. Le dis­cours d’Anderson est biaisé, collé au seul plan com­mer­cial. Il se vautre sur le cultu­rel et le poli­tique. Dans l’absolu, en termes de tra­fic et de quan­tité d’information dis­po­nible, le Web n’a jamais cessé de progresser.

Ne croyez pas que je sois devenu un défen­seur du Web. Je dénonce juste une cer­taine rhétorique.

C’est le chemin naturel de l’industrialisation: invention, propagation, adaptation, contrôle, explique Anderson.

Qu’est-il en train de faire sans le dire ? De mettre en pièce sa théo­rie de la longue traine. Michael Wolf écrit en parallèle :

Selon Compete, une agence d’analyse web, les 10 sites les plus importants ont drainé 31% des pages vues aux Etats-Unis, contre 40% en 2006 et près de 75% en 2010. ‘Les gros captent le trafic des petits’, explique Milner. ‘En théorie, une petite frange d’individus à la réussite insolente peuvent contrôler des centaines de millions d’individus. Vous pouvez grandir rapidement, et cela favorise la domination des personnes fortes.’

On dirait qu’ils viennent de décou­vrir une loi uni­ver­selle, et de se mettre à genoux devant elle. On com­prend mieux ce qu’entendait Ander­son par longue traîne, et que j’ai par­fois dénoncé. Pour lui, des ven­deurs mono­po­lis­tiques créent la longue traîne en leur sein pour accroître leur part de marché.

Armes d’interconnexion

De mon côté, je défends l’idée d’une longue traîne exo­gène, externe à toute entre­prise, qui s’observe dans l’ensemble de l’écosystème. Comme je l’explique dans L’alternative nomade, nous devons nous battre pour déve­lop­per cette traîne si nous vou­lons défendre nos liber­tés. La longue traîne sur le cata­logue d’Amazon est une bonne chose, mais insuf­fi­sante à mes yeux. Nous devons lut­ter avec nos nou­velles armes d’interconnexion contre cet ave­nir qui serait déjà écrit.

En fait, avec Ander­son, toute l’industrie média­tique se féli­cite de la mort du Web, c’est-à-dire de la mort des sys­tèmes ouverts et de la décen­tra­li­sa­tion incon­trô­lée. De nou­veaux opé­ra­teurs mono­po­lis­tiques émergent, avec comme Apple leurs plates-formes pro­prié­taires, et leurs sys­tèmes de micro paye­ment, ce qui injecte de nou­veaux reve­nus dans la boucle. Et comme par hasard, Wired qui a frôlé l’asphyxie en début d’année, voit peu à peu le retour des publicités.

Toute per­sonne qui veut faire for­tune sur Inter­net ne peut que prô­ner une forme ou une autre de cen­tra­li­sa­tion, c’est-à-dire une forme de contrôle. Nous devons en être conscients et lire leurs décla­ra­tions sui­vant cette perspective.

Nous ne sommes plus à l’époque où un busi­ness décen­tra­lisé sédui­sait par le seul nombre de ses usa­gers. Il s’agit aujourd’hui de les fli­quer pour les faire payer. Alors oui, l’idéal du Web est bien mort, mais rien ne nous empêche de nous battre contre les barons de la finance, contre tous ces gens qui ont remisé leurs rêves, contre tous ceux qui veulent que rien ne change, sinon nos jouets technologiques.

Deux tendances qui s’opposent

J’en reviens main­te­nant aux causes de la mort du Web. J’en vois deux.

L’émergence des appli­ca­tions pro­prié­taires. Avec les Apps­tores qui les accom­pagnent, elles n’utilisent ni HTML, ni les URL, deux des trois inno­va­tions de Tim Ber­ners Lee. Elles nous font bas­cu­ler vers des solu­tions pro­prié­taires, avec la pro­messe d’une plus grande ergo­no­mie et la tarte à la crème d’une plus grande sécu­rité. Au pas­sage, nous ban­quons. Il devient dif­fi­cile de créer des liens vers ces écosys­tèmes qui se veulent auto­nomes (com­ment est-ce que je lie depuis mon blog vers la météo affi­chée dans une appli iPhone ?).

Le pas­sage au flux. Nous nous retrou­vons avec des objets mou­vants, des fichiers ePub par exemple, qui ne sont plus sta­tiques dans le cybers­pace comme l’étaient les sites. Tout le monde va bien­tôt com­prendre leur impor­tance. Plus besoin de s’embêter avec un ser­veur ou un héber­geur pour exis­ter en ligne.

Ces deux ten­dances s’opposent. La pre­mière veut nous rame­ner avant le Web (mini­tel, AOL, Com­pu­Serve…), la seconde après le Web. Je vois mal com­ment il pour­rait sur­vivre dans ces conditions.

Le retour des appli­ca­tions pro­prié­taires, c’est la vic­toire des mar­chands. Plu­tôt que de déve­lop­per un espace ouvert avec des sites dif­fi­ciles à mon­nayer, on referme les inter­faces, les asso­cie à des appa­reils par­ti­cu­liers. Apple a ini­tié ce mou­ve­ment rétrograde.

Aucun langage universel

Il ne fau­drait tou­te­fois pas oublier l’enseignement phi­lo­so­phique du ving­tième siècle. Il n’existe aucun lan­gage uni­ver­sel. HTML est insuf­fi­sant et sera tou­jours insuf­fi­sant. Il est pré­fé­rable d’entretenir un écosys­tème divers, ce qui implique des dif­fi­cul­tés d’interfaçage. Nous devons en pas­ser par là si nous vou­lons, après une phase appa­rente de régres­sion, connaître un nou­veau boom créa­tif. L’innovation suit une res­pi­ra­tion entre les hip­pies idéa­listes et les mar­chands réactionnaires.

Si la pre­mière ten­dance est néces­saire, elle ne m’en déplait pas moins, et je pré­fère me consa­crer à la seconde, qui plu­tôt que cen­tra­li­ser le Web l’éclate plus que jamais.

Les ePub, et j’espère pour bien­tôt les ePub sociaux, cir­cu­le­ront par­tout, aussi bien dans les mondes fer­més que les mondes ouverts. Ils reprennent tout ce qui fai­sait le Web : HTML ou plu­tôt XML, les objets inclus, les scripts… Il ne leur manque que la pos­si­bi­lité de se par­ler entre eux. Leur force, c’est leur liberté plus grande que jamais, leur capa­cité à être ava­lés par une mul­ti­tude d’applications ouvertes ou non, d’être mon­nayables ou non.

Il nous reste à inven­ter un nou­veau pro­to­cole de com­mu­ni­ca­tion entre ces fichiers libres et riches, sans doute sur une base P2P. Le Web est bien en train de mou­rir, il res­tera une immense gale­rie mar­chande et un point de pro­pul­sion pour nos conte­nus qui vivront ensuite libre­ment dans le flux, voire atter­ri­ront dans des applications.

Billet initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet

Crédits Flickr CC toprankonlinemarketing, nicolasnova

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Web isn’t dead, it’s the economy, stupid ! http://owni.fr/2010/08/19/web-isn%e2%80%99t-dead-it%e2%80%99s-the-economy-stupid/ http://owni.fr/2010/08/19/web-isn%e2%80%99t-dead-it%e2%80%99s-the-economy-stupid/#comments Thu, 19 Aug 2010 11:24:07 +0000 Alexis MONS http://owni.fr/?p=25353 Le web est mort, c’est la discussion du moment. Elle était préméditée, est arrivée à l’heure et déclenche le débat. Mais de quel débat on parle ? Tout ceci me paraît un peu artificiel, en tout état de cause plus proche de considérations de légistes que de projections sur l’avenir ? Le web n’est pas mort, il est juste devenu moins intéressant dans le business. Faire un site web quand on veut développer du business est devenu une mauvaise réponse, tout au moins une partie secondaire de la réponse.

Qu’est-ce qu’on nous apprend que nous ne savions pas déjà ? La réponse est RIEN

  • Que le mobile tend à devenir la plateforme d’usages majoritaire dans l’avenir proche ? C’est déjà dans le tuyau, on attend juste que ça arrive.
  • Qu’il y a un déplacement manifeste du web « classique », donc du marché du search, vers [ce qu'on appelle à tort] les médias sociaux ? Ça aussi c’est en train de se faire.

Alors ok, c’est Chris Anderson qui dit que la page s’est tournée et il faut sans doute ce genre d’autorité pour que le message soit bien reçu et que cela nous aide, travailleur de l’ombre, à enfoncer le clou auprès de clients qui continuent à penser que leur stratégie se résume à refaire un site corp. (non, je ne parlerai pas de France.fr) ou un jeu-concours sur Facebook, comme les copains. C’est très bien que ce soit dit. Rendons grâce, il le fallait.


Capture d’écran 2010-08-19 à 10.41.24

J’aime bien le petit tableau avant/après d’Anderson. Il me rappelle les Web 1.0 vs Web 2.0 du bon vieux temps. Comme ceux-là, je ne l’aime pas car il nous enferme dans des idées grossières et dangereuses, il nous enferme surtout dans des outils. Il me semblait qu’on avait tous compris que le futur du web 2.0 ce n’était pas le web 3.0, mais changer le monde. Raté.

Les apps sont un grand succès, mais le navigateur n’est pas mort. Il a déjà vaincu les widgets et gadgets de bureau, qui sont elles les grandes victimes des apps de console de commodités portable et configurables que sont devenus nos téléphones. Les apps sont des commodités, des choses que l’on adopte. Le vrai changement n’est pas le navigateur, c’est l’ordinateur. D’autres que moi ont fort bien dis que smartphones et autres tablettes sont la mort de l’informatique personnelle et domestique, que l’ordinateur est (re)devenu un outil de travail, une machine complexe pour gens compétents. Les apps, c’est simple et ça ma grand-mère s’en sert et sait à quoi ça lui sert.

Parler d’abonnement, installation ou souscription en lieu et place de syndication n’est que de la sémantique. Du moment que c’est l’utilisateur qui prend la décision de s’approprier le service, peu importe la nature de cette appropriation. Les gens ne portent pas de valeur à la technologie. Ils s’en servent, elles les sert, et s’il y a mieux ou que ça ne marche pas autant qu’ils le souhaitent, ils en changent. Les geeks, c’est fini, place à des masses qui n’ont aucun mysticisme de la technologie.

Que l’on soit passé du free au freemium est un défonçage de porte ouverte. Chris Anderson ne fait même pas sa propre pub, il ne fait que constater que le freemium est le modèle gagnant de l’après-crise. Ceux qui découvrent l’information ont certainement du rester déconnectés dans les dix-huit derniers mois. L’innovation, elle est maintenant dans l’après-freemium !

Non, la seule vraie chose pertinente, c’est du passage des !! à ?? derrière Google. Pourquoi ? parce que ça parle marché, économie, la seule chose qui compte !

On le sait bien, Google a perdu la bataille du web social. Les grands réseaux l’ont gagné et celui du monde occidental s’appelle Facebook.

Google a failli perdre celle de la mobilité, mais il a réussi à se placer avec Android. Il est donc toujours là dans le mobile, avec quand même une question sur les apps et la monétisation de son économie du lien, car le search reste une simple commodité parmi d’autres sur cette plateforme.

Il faut donc souhaiter à Google que le web ne soit pas mort, car c’est après-tout son coeur de business. Si on se dit que le web a perdu la position en terme de fidélisation et de commodité (apps) et que les plateformes sociales ne sont plus du web mais une surcouche et des environnements cross-platforms, le web n’est presque plus que du search vers du contenu ou des plateformes. Normal que les comptes de Google soient bons, malgré la crise. Normal que les Ads se portent bien.

Google est révélateur du changement car il est bousculé sur ses fondamentaux. Le web n’est pas mort, mais il n’est plus l’alpha et l’omega des usages de l’internet. Chris Anderson a bien choisi son titre. Nous assistons à une nouvelle relecture de la nouvelle économie, où c’est la modification du terrain de jeu par l’extérieur qui remet en cause les positions. Google était indétronable sur le web, mais si le web est remis en perspective, ce n’est plus le même jeu.

Le seul vrai marché est celui des usages, il vit d’innovation pure, sans distinction de hard, de soft ou de plateforme. Comme je le disais en introduction, c’est une erreur de raisonner en outil, en système ou en ce que vous voulez, la seule chose qui est sûre, ce sont les usages et à travers eux le sens que les gens donnent aux choses.

Le web n’est pas mort, il est juste ramené à ce qu’il est : un moyen parmi d’autres, dans une palette toujours plus riche et étendue de modalités pour faire des choses pour nous les hommes. C’est ça l’histoire de l’internet, l’extension du champ des modalités. Vive l’internet et à travers lui un nouvel art de vivre et un vivre ensemble que nous construisons chaque jour loin d’institutions qui n’ont pas compris et d’une économie qui a encore du mal à l’entendre.

Le vrai débat, il est sur les valeurs et la manière de créer de la confiance et un environnement fructueux de business et de relation entre les clients/usagers et les marques/entreprises/acteurs qui veulent avoir de la relation/business/engagement avec eux.

Article initialement publié sur ‘Paroles d’Expets”, un blog du Groupe Reflect

Illustrations CC FlickR par Laughing Squid, anitakhart, mischiru

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“Le web est mort”, c’est Chris Anderson qui le dit http://owni.fr/2010/08/18/%e2%80%9cle-web-est-mort%e2%80%9d-c%e2%80%99est-chris-anderson-qui-le-dit/ http://owni.fr/2010/08/18/%e2%80%9cle-web-est-mort%e2%80%9d-c%e2%80%99est-chris-anderson-qui-le-dit/#comments Wed, 18 Aug 2010 07:58:30 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=25078 Je posais la question il y a deux semaines : Chris Anderson, le patron de Wired et auteur visionnaire de “The Long Tail”, s’apprêtait à publier un édito consacrant “La Mort du Web”.

Finalement, Wired a bien publié son “avis de décès”. Dans un article à quatre mains appuyé par un graphique qui semble tout dire. Il montre la part déclinante du web dans l’ensemble des activités Internet :

Un graphique impressionnant, aussitôt relativisé par “Boing Boing”. Après avoir replacé les chiffres dans le bon sens, c’est à dire en tenant de compte de l’évolution du trafic, le célèbre blog nous propose le graphique suivant :

Ce qui veut dire la même chose, à une différence près : le web n’est pas déclinant. Il augmente moins vite que le reste. Et encore, ajoute Boing Boing, le reste (vidéo streaming, file sharing…) est “souvent inclus dans le web également”.

Et Techcrunch de préciser que les vidéos de Youtube n’ont pas été incluses dans la partie web, mais mêlées aux vidéos avec les communications Skype. Ce qui prête effectivement à confusion, même si l’on peut imaginer que les vidéos YouTube seront de plus en plus visionnées sur mobile.

Au delà de la polémique des chiffres, si Chris Anderson veut sonner la mort du web, c’est pour mieux parler d’Internet: “Web is dead, long life to the Internet”, c’est le titre de sa tribune.  Si le Web est mort, l’Internet est bien vivant.

C’est une mort symbolique qu’il prône, dans une vision tribale. Comparant le web à une adolescence utopiste, il veut voir émerger un monde mature où la clef est la communication entre les interfaces (vive le XML) et/ou les machines, où l’écran vient à l’utilisateur (vive le mobile..) et où la technologie s’efface devant le contenu et la qualité du service (vive Apple!).

Un monde où l’on passe de l’univers ouvert mais fragile économiquement à un univers fermé où les modèles économiques sont plus solides : celui des applications mobiles notamment.

“A chaque fois que vous utilisez une application au lieu d’aller sur le web, vous votez avec votre doigt”, sentence-t-il.
Un changement qu’il illustre avec le tableau suivant :

Et l’auteur de “Free” de prôner le “freemium”, ce en quoi il n’a pas tort. Et la souscription face à la syndication RSS. Dans la foulée, il “tue” la publicité déclinante, noyée par le User Generated Content. Sur ce point, il avance un peu vite. La publicité souffre parce qu’elle est mal déployée sur le Net. Elle devrait relever de la relation du consommateur à la marque, et pas du simple affichage. Et s’il l’UGC chaotique “noie” la qualité, il suffit de trier pour lui redonner de la valeur. Bref. Il y a encore du boulot pour les créatifs.

Cependant, l’évolution va effectivement dans le sens d’un Internet connecté, et repackagé en permanence, plus que vers l’open web que nous connaissons. C’est un peu Apple contre Google, même si Google avance à vitesse grand V sur le mobile (et aussi sur l’Internet fermé…)… Mais attention aux décisions hâtives, car le Net évolue vite.

Il faut s’équiper pour s’adapter, pas pour changer de support !

Je ne prônais pas autre chose il y a 15 jours, anticipant l’argumentaire d’Anderson : “Le web est mort, peu importe”:

“La question n’est finalement pas de savoir s’il faut investir dans une application ou dans un site web. Mais d’être capable d’organiser un média en un flux organisé qui accompagne l’utilisateur partout où il se trouve. Et sans rupture.

“C’est le principal enjeu de ces prochaines années. L’avenir est aux médias capables de structurer leurs données, mais aussi l’interactivité entre les utilisateurs et leurs données. Aux médias capable de faire vivre leurs données sur les différents espaces de navigation (mobile, application mobile, les navigateurs des tablettes, des ordinateurs, mais aussi sur Facebook…). C’est à dire faire interagir données et utilisateurs sur un réseau qui sera de plus en plus indépendants de ses supports.”

Crédit photos CC FlickR: mikeleeorg
Article précédemment publié sur le blog benoitraphael.com

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