OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bactéries du futur [3/3] http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/ http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/#comments Mon, 26 Mar 2012 13:57:16 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=103214


[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première et la deuxième partie]


Diplomatie et financement

Il pleut. À l’intérieur du bâtiment Necker du ministère de l’économie et des finances, à Bercy, le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies est installé au bout d’un long dédale de couloirs feutrés et incurvés.

Françoise Roure y préside la section Technologies et société :

En Chine, au Brésil, aux États-Unis la biologie de synthèse fait partie de programmes subventionnés par les pouvoirs publics. Chacun a un prisme particulier. En Chine c’est l’autosuffisance alimentaire de long terme, c’est-à-dire nourrir 1,3 milliard d’habitants sur 100 ans, au Brésil c’est le décollage économique par l’exploitation de ressources organiques et aux États-Unis les besoins énergétiques sont énormes. Pour toutes ces raisons la biologie de synthèse pour les biocarburants fait partie des options diplomatiques et de politiques intérieures extrêmement fortes. La continuité de l’approvisionnement énergétique conditionne énormément de choses, notamment l’approvisionnement durable en eau.

Bactéries du futur [1/3]

Bactéries du futur [1/3]

Dans leurs éprouvettes, des chercheurs préparent la biologie et la génétique de demain. Des "biologistes-ingénieurs" qui ...


Le ton est donné. Françoise Roure, qui a rencontré, au nom de la France, les spécialistes de la question dans le monde entier, de l’Allemagne aux États-Unis en passant par l’Autriche, poursuit : “A l’heure actuelle, on est sous la barre des 10 millions d’euros de financements publics en France pour les projets spécifiques liés à la biologie de synthèse. Au niveau européen, nous sommes à moins de 50 millions d’euros. Je regrette que ce soit le parent pauvre des programmes de recherche. La question pour moi, d’un point de vue de la puissance publique est ‘qui va financer l’acquisition des connaissances, et de quelles connaissances?’”

Elle ajoute :

Il y a encore beaucoup d’inconnus. La puissance publique peut aider à financer des recherches en amont sur l’impact écologique ou toxicologique qui ne sont pas prises en charge par l’économie de marché, et elle doit susciter des débats éthiques.

Culture scientifique

Retour à l’Assemblée nationale, rue de l’Université. Dans son petit bureau de députée, Geneviève Fioraso ouvre puis ferme la fenêtre. Ouverte, trop de bruit ; fermée, trop chaud.

Je pense que la biologie de synthèse est une technologie de rupture. C’est important de s’y intéresser tout de suite si on ne veut pas que son évolution soit complètement guidée par l’industrie et garder la maîtrise du sens de la science.

L’élue socialiste a à cœur de mener les discussions sur les enjeux de la biologie synthétique en amont, avant ses développements industriels. “Ce n’est pas un luxe, ça permet de sortir des débats idéologiques et de posture. Ça me paraît beaucoup plus efficace que les grands principes idéologiques, comme le principe de précaution, où finalement il n’y a aucune démarche d’évaluation au fur et à mesure. Parce que franchement les débats qu’on a eux dans l’hémicycle sur les OGM n’étaient pas passionnants”.


Elle poursuit : “Pour l’instant la biologie de synthèse c’est un peu un microcosme, je suis complètement favorable à un débat science-société. Mais je pense qu’il faut travailler à rehausser le niveau scientifique des citoyens : je ne crois pas à un grand débat public mais beaucoup plus à un processus de formation continu et permanent”.

En 2011, 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies. Les nanotubes, par exemple, qui en sont un des matériaux, des assemblages d’atomes de carbone en cylindres de quelques milliardièmes de mètres de diamètre, sont utilisés pour renforcer les raquettes de tennis ou les cadres de vélo, dans des circuits de moteurs automobiles et dans certains textiles. Leurs effets potentiels sur la santé sont encore assez méconnus, et même régulièrement montrés du doigt par certains scientifiques.

“La culture scientifique et technique des citoyens de la population française n’est pas préparée à ces débats, or la qualité de la décision publique en dépend. Aux États-Unis, la question de la biologie de synthèse a été étudiée par le comité d’éthique de la Maison Blanche. Les questions d’éthique ont le pouvoir de faire dire ‘non’ “, m’avait rappelé Françoise Roure à Bercy.

Métaphysique

Il y a une dimension métaphysique dans la biologie de synthèse. Cela touche des questions très précieuses, sacrées.

Philippe Marlière n’hésite pas : “Les premiers qui doivent être contre la biologie de synthèse sont ceux qui la font”.

Il ajoute : “On ne peut pas dire que comme la nature bricole elle-même, on peut y faire ce qu’on veut sans aucun risque. Notre savoir est assez frustre mais nous avons quand même tous les outils pour modifier une bactérie qui représente à peu près 30 % de la biomasse marine. Le temps de génération d’une bactérie est très court, une heure environ. Le risque de déplacer des équilibres, de faire changer la couleur de la mer par exemple, existe. Moi je ne le ferai pas, j’aurais des scrupules. Intrinsèquement, le risque biologique croît exponentiellement. Celui du nucléaire, lui, à l’inverse, décroît”.

Conscient que la création d’une vie artificielle prête à la controverse, le généticien assure : ” les bactéries que nous produisons sont amoindries, ce sont des loosers, elles n’ont strictement aucune chance de rentrer en compétition avec des formes sauvages, comme une souris de laboratoire ne passerait pas l’après-midi dans un égout de Paris “.

Le responsable des énergies nouvelles à Total, Vincent Schachter, avait, lui, doctement assuré d’une voix calme à l’Assemblée nationale : ” Nous manipulons des levures génétiquement modifiées de type 1, qui sont réglementées. Ensuite, -c’est la première chose-, nous travaillons en milieu confiné et nous faisons tout ce qu’il faut pour que les organismes modifiés ne sortent pas. Après, au cas où ils sortiraient, ils auront du mal à survivre en milieu naturel. Troisièmement, la manière dont ils sont modifiés n’a absolument aucun rapport avec quelque effet néfaste que ce soit. Et enfin, ‘ceinture et bretelle, toujours’, nous allons évidement tester activement l’impact environnemental de toutes les nouvelles souches bactériennes, nous nous devons de le faire “.

Bactéries du futur [2/3]

Bactéries du futur [2/3]

Tubes à essai, agitateurs, congélateurs et biologie de synthèse : bienvenue dans l'univers de Global Bioenergies. Cette ...


Philippe Marlière précise quand même: ” Bien sûr, il serait très péremptoire de ma part d’affirmer que le risque est nul. Mais les verrous peuvent être multipliés. Nous rendons nos bactéries dépendantes d’une alimentation qui n’existe pas dans la nature et que nous produisons pour elles. Lorsqu’elles n’en trouvent pas, elles meurent “.

Contradictions

L’argument ne convainc pas Dorothée Benoît-Broadweys, déléguée générale de Vivagora.

Assise devant une bière, cette biologiste de formation lâche : ” La question du partage de l’espace et de ressources limitées est importante. Même si ces micro-organismes sont alimentés par des molécules artificielles, elles-mêmes seront produites à partir de ressources qu’il faut partager. Et même si la ressource utilisée est la biomasse, les déchets agricoles, il faut veiller à la question de l’affectation des ressources biologiques. Que la production de ressources énergétiques ne remplace pas les ressources alimentaires “.

L’association entend, selon ses statuts, ” socialiser l’innovation, lui donner ‘du sens’, en plaçant l’homme et sa qualité de vie au cœur des préoccupations, c’est-à-dire permettre aux citoyens de s’emparer des enjeux technologiques, et de s’exprimer pour définir le ’souhaitable’ parmi tous les ‘possibles’ “. Elle procède en organisant des ateliers où scientifiques spécialisés et citoyens novices échangent, fidèle à son objectif : ” mettre en débat les orientations scientifiques et les innovations techniques afin de promouvoir une gouvernance plus démocratique “.

A l’initiative des premières conférences publiques sur la biologie de synthèse, en 2009, l’association a elle aussi été entendue par l’OPECST. Et elle est, à l’heure actuelle, le seul contradicteur en France dans le débat sur la biologie de synthèse.

Dorothée Benoît-Broadweys reprend : ” ce ne sont pas les risques que nous avons mis en avant lorsque nous avons été entendus par les représentants de l’autorité publique mais plutôt la question du rapport au vivant “. Elle cite un peu confusément Paul Ricoeur, Alain et d’autres philosophes dont elle a oublié le nom.

Quelle est la nouvelle donne pour nous, êtres humains qui sommes reliés à un écosystème, comment va-t-on cohabiter avec ces artefacts produits par l’Homme et dont il aura la responsabilité ? On ne peut pas continuer dans l’idée d’une technologie qui s’imaginerait qu’elle peut être toute puissante et prétendre maîtriser la nature, on le voit assez avec les pesticides, les perturbateurs endocriniens, et leurs effets sur la santé. Donc soyons un peu raisonnables, faut-il nécessairement en finir avec la finitude ?

Contre l’intelligence collective

Dans le cercle restreint des spécialistes de biologie synthétique, Vivagora a mauvaise réputation. ” C’est très bien qu’il y ait des lanceurs d’alerte sur le sujet, mais qu’ils fassent correctement leur travail. Ils ne connaissent pas les dossiers “, lâche la chargée de presse de Global Bioenergies.
Philippe Marlière ne mâche pas ses mots : ” Leur espèce de comité citoyen est une pure folie d’un point de vue scientifique, la science ne s’est jamais faite à l’applaudimètre, c’est le contraire.
La science s’est toujours construite contre l’intelligence collective, c’est la grandeur du truc. C’est aristocratique, ça veut dire le gouvernement par les meilleurs. Ça ne veut pas dire que les scientifiques gouvernent le monde mais que la société scientifique est gouvernée de manière aristocratique “
.

Il enfonce le clou : ” La position de Vivagora, qui vit de subventions publiques, est que tout est merveilleusement dangereux, tout peut dégénérer dans la pire des apocalypses, donc tout est interdit. Ce n’est pas opérationnel comme position, ce n’est pas une attitude pragmatique. Moi, je gagne de l’argent en convaincant des investisseurs, pas en tendant ma sébile auprès du contribuable “.

A l’assemblée nationale, Geneviève Fioraso grince des dents : ” Le problème, c’est que ce sont en même temps des consultants qui font payer leurs consultations. Et ils ont du mal à toucher les citoyens, ce sont plutôt des happy-few “.

Bioéconomie

La député a rencontré, outre-Atlantique, l’ONG canadienne ETC, pour Action Group on Erosion, Technology and Concentration

Elle indique : ” Leurs propos sont beaucoup plus modérés que ce qu’ils disent dans leurs rapports “.

Le dernier en date, intitulé ” Les maîtres de la biomasse ” est une somme de 90 pages. Sous-titré ” La biologie de synthèse menace la biodiversité et les modes de subsistance “, il reproduit dès son introduction les propos du père de la biologie de synthèse, Craig Venter, datés du 20 avril 2009 :

Quiconque produit des biocarburants en abondance pourrait bien finir par faire plus que des gros sous – il écrira l’histoire… Les entreprises et les pays qui y parviendront seront les vainqueurs économiques de la prochaine ère, au même titre que le sont actuellement les pays bien pourvus en ressources pétrolières.

L’ONG publie régulièrement des dossiers très documentés sur l’impact des nouvelles technologies sur les questions socio-économiques et écologiques, notamment dans les pays les plus pauvres. Elle reproduit dans celui-ci les propos du directeur général d’Amyris Biotechnologies, une start-up américaine spécialisée dans le développement de biocarburants : ” En scrutant le monde et en cherchant où se trouvait la biomasse la moins coûteuse et la plus abondante, nous avons découvert que le Brésil était vraiment l’Arabie Saoudite des énergies renouvelables. “

Total, qui a déjà investit 200 millions de dollars dans le capital d’Amyris, dont il détient plus de 20 %, pénètre le marché brésilien par l’intermédiaire de ce partenaire américain, et projette, d’ici à 2020 de posséder 5 à 10% de la production de canne à sucre brésilienne.

Des investissements qu’ETC appelle la nouvelle ” bioéconomie “, dirigée par ” les nouveaux maîtres du vivant “. Elle dénonce notamment une appropriation par une poignée d’industriels de ce monde vivant, dont la biomasse, ressource de la biologie de synthèse, est issue. L’ONG passe également au crible la conversion de terres à vocation alimentaire en terres à vocation énergétique et l’émergence de nouveaux risques biologiques incontrôlés.

Dénonçant l’arrogance des promoteurs de la biologie de synthèse, comparable à celle des tenants de l’énergie nucléaire, longtemps présentée comme sans risque et peu coûteuse, l’ONG appelle à une mobilisation de la société civile : agriculteurs, populations autochtones, et ” tous ceux qui se sentent concernés par la conservation des forêts, les aspects éthiques qui entourent les changements climatiques, les produits chimiques toxiques, la conservation des océans, la protection des déserts, les droits relatifs à l’eau “.

Elle préconise enfin que les fonds publics soient investis dans l’évaluation des coûts sociétaux et environnementaux de la biologie synthétique.

DIYBio

En France l’information est peut-être dans la zone industrielle de Nanterre. C’est là que l’association la Paillasse, la première communauté de biologistes-amateurs s’installe, au rez-de-chaussée d’un bâtiment de bureaux. Constituée il y a quelques mois elle rejoint l’Electrolab, des geeks, qui détournent les processus électroniques et informatiques pour les adapter à leurs goûts et leurs besoins, dans le plus pur esprit Do It Yourself, DIY.

Né aux États-Unis entre 2007 et 2008 le mouvement DIYBio, pour Do It Yourself biology, a depuis essaimé à Londres, à Madrid, à Vienne, à Boston, à Nanterre…

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Electrolab : la révolution à propulsion silencieuse

Le tout jeune Electrolab est un hackerspace basé à Nanterre. Comme son nom le suggère, sa marotte, c'est l'électronique. ...

Dans le demi sous-sol où elle emménage, la Paillasse a déjà accumulé une machine PCR, qui permet de répliquer à l’infini une séquence génétique, un bain-marie, des agitateurs, une centrifugeuse, des micro-pipettes. Tout le matériel, encore dans les cartons, tient sur deux tables. A côté, deux frigos, dont un pour les bactéries. Tout, ou presque, vient de Génopole. Un donateur institutionnel et généreux dont la directrice de la recherche, Françoise Russo-Marie, salue la ” démarche citoyenne “ de la Paillasse.

Leur crédo pourrait être ” pirater est bon, mais le mot a mauvaise réputation “. Car les pirates sont dociles. Une bande de jeunes très diplômés aux compétences vastes et aux centres d’intérêt variés. Ils fédèrent autour d’une poignée d’énergies motrices une dizaine d’ingénieurs, de biologistes, d’informaticiens, d’artistes et d’électrons libres.

Thomas Landrain, 26 ans, ancien étudiant à Normale Sup bio et thésard en biologie de synthèse à l’Institut de biologie systémique et synthétique d’Evry, co-fondateur de la Paillasse, m’explique :

l’idée est que la biologie est en train de devenir une technologie au même rang que l’électronique ou l’informatique, en terme de miniaturisation technologique on n’a pas encore fait mieux que les cellules vivantes ! Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.

Il prévient : ” Il faut des autorisations pour faire des mutations génétiques actives. Nous ne voulons pas nous mettre en confrontation avec les règlements “. S’il est simple de manipuler le vivant c’est aussi plus risqué qu’en électronique ou en mécanique, puisque une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement.

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

Les bio-bidouilleurs s’enracinent

La première communauté de biologistes hackers a vu le jour il y a quelques mois en France. Greffés au /tmp/lab, entre la ...

La Paillasse a donc opté pour une approche plutôt ” passive ” de la biologie de synthèse et, plus largement, de la génétique. ” Nous voulons être un laboratoire de biotechnologie ouvert, citoyen et transparent. L’idée est de rendre le pouvoir de la recherche accessible à n’importe qui. Aujourd’hui la techno-biologie est de plus en plus importante, c’est devenu une technologie routinière : on établit des diagnostiques médicaux à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout mais paradoxalement personne ne peut y accéder.”

Le collectif souhaite, pour ses premières réalisations, fabriquer des kits de détection d’OGM, dans la nourriture ou dans l’environnement. Également à l’ordre du jour, des ateliers de sensibilisation à la génétique, comme ceux qui ont déjà été menés au MAC/VAL, le musée d’art moderne de Vitry, dans la banlieue parisienne.

Interrogé sur la signification politique de cet engagement, le biologiste réfléchit, hésite, et énonce clairement : ” C’est forcément une démarche politique puisque nous nous déclarons libres de détourner la technologie par rapport à l’usage que prévoient les règlements. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver. Et nous sommes là pour réclamer une liberté par rapport aux informations génétiques, pour qu’elles ne soient pas la propriété d’entreprises privées ou de l’État.
D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Ces informations peuvent être dangereuses à partir du moment où elles sont complètes et qu’elles nous sont propres. Il faut démystifier la génétique “.

Et de conclure :

La société du XXIe siècle va être envahie par les biotechnologies, il semble évident de former les gens à ce qui arrive. L’éducation à la science et à la technique est un véritable contre-pouvoir. Le DIYBio, c’est un peu la science au peuple.

Dont acte.


Illustrations sous licences Creative Commons par Lynn, Anua22a et Kevin Dooley

]]>
http://owni.fr/2012/03/26/bacteries-du-futur-33/feed/ 4
Bactéries du futur [1/3] http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/ http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/#comments Wed, 21 Mar 2012 10:57:23 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=102645

A l’heure actuelle la demande en énergie croît plus vite que l’offre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2030 les besoins de la planète seront difficiles à satisfaire, tous types d’énergies confondus. Il faudra beaucoup de créativité pour satisfaire la demande.

Vincent Schachter, directeur de la recherche et du développement pour les énergies nouvelles à Total commence son exposé sur la biologie de synthèse. “C’est important de préciser dans quel cadre nous travaillons”. Ses chercheurs redessinent le vivant. Ils s’échinent à mettre au point des organismes microscopiques, des bactéries, capables de produire de l’énergie.

En combinant ingénierie, chimie, informatique et biologie moléculaire, les scientifiques recréent la vie.

Ambition démiurgique

Aucune avancée scientifique n’a incarné tant de promesses : détourner des bactéries en usines biologiques capables de produire des thérapeutiques contre le cancer, des biocarburants ou des molécules capables de dégrader des substances toxiques.

Dans la salle Lamartine de l’Assemblée nationale ce 15 février, le parterre de spécialistes invités par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et techniques (OPECST) est silencieux. L’audition publique intitulée Les enjeux de la biologie de synthèse s’attaque à cette discipline jeune, enjeu déjà stratégique. Geneviève Fioraso, députée de l’Isère, qui l’a organisée, confesse : “J’ai des collègues parlementaires à l’Office qui sont biologistes. Ils me disent qu’ils sont parfois dépassés par ce qui est présenté. Ce sont des questions très complexes d’un point de vue scientifique”.

L’Office, dont la mission est “d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions” est composé de parlementaires, députés et sénateurs. Dix-huit élus de chaque assemblée qui représentent proportionnellement l’équilibre politique du Parlement. Assistés d’un conseil scientifique ad hoc ils sont saisis des sujets scientifiques contemporains : la sûreté nucléaire en France, les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens, les leçons à tirer de l’éruption du volcan Eyjafjöll…

Marc Delcourt, le PDG de la start-up Global Bioenergies, basée à Evry, prend la parole :

La biologie de synthèse, c’est créer des objets biologiques. Nous nous attachons à transformer le métabolisme de bactéries pour leur faire produire à partir de sucres une molécule jusqu’à maintenant uniquement issue du pétrole, et dont les applications industrielles sont énormes.

Rencontré quelques jours plus tard, Philippe Marlière, le cofondateur de l’entreprise, “s’excuse”. Il donne, lui, une définition “assez philosophique” de la biologie de synthèse : ” Pour moi c’est la discipline qui vise à faire des espèces biologiques, ou tout objet biologique, que la nature n’aurait pas pu faire. Ce n’est pas ‘qu’elle n’a pas fait’, c’est ‘qu’elle n’aurait pas pu faire. Il faut que ce soit notre gamberge qui change ce qui se passe dans le vivant”.

Ce bio-chimiste, formé à l’École Normale Supérieure, assume sans fard une ambition de démiurge, il s’agit de créer la vie de manière synthétique pour supplanter la nature. Il ajoute :

Je ne suis pas naturaliste, je ne fais pas partie des gens qui pensent que la nature est harmonieuse et bonne. Au contraire, la biologie de synthèse pose la nature comme imparfaite et propose de l’améliorer .

Aussi provoquant que cela puisse paraître c’est l’objectif affiché et en partie atteint par la centaine de chercheurs qui s’adonne à la discipline depuis 10 ans en France. Il reprend : “Aussi vaste que soit la diversité des gènes à la surface de la terre, les industriels se sont déjà persuadés que la biodiversité naturelle ne suffira pas à procurer l’ensemble des procédés dont ils auront besoin pour produire de manière plus efficace des médicaments ou des biocarburants. Il va falloir que nous nous retroussions les manches et que nous nous occupions de créer de la bio-diversité radicalement nouvelle, nous-mêmes.”

Biologiste-ingénieur

L’évolution sur terre depuis 3 milliard et demi d’années telle que décrite par Darwin est strictement contingente. La sélection naturelle, écrit le prix Nobel de médecine François Jacob dans Le jeu des possibles “opère à la manière d’un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu’il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux […] D’une vieille roue de voiture il fait un ventilateur ; d’une table cassée un parasol. Ce genre d’opération ne diffère guère de ce qu’accomplit l’évolution quand elle produit une aile à partir d’une patte, ou un morceau d’oreille avec un fragment de mâchoire”.

Le hasard de l’évolution naturelle, combiné avec la nécessité de l’adaptation a sculpté un monde “qui n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout”. Philippe Marlière ajoute, laconique : “A posteriori on a toujours l’impression que les choses n’auraient pas pu être autrement, mais c’est faux, le monde aurait très bien pu exister sans Beethoven”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comprendre que l’évolution n’a ni but, ni projet. Et la science est sur le point de pouvoir mettre un terme au bricolage inopérant de l’évolution. Le biologiste, ici, est aussi ingénieur. A partir d’un cahier des charges il définit la structure d’un organisme pour lui faire produire la molécule dont il a besoin. Si la biologie de synthèse en est à ses balbutiements, elle est aussi une révolution culturelle.

Il s’agit désormais de créer de nouvelles espèces dont l’existence même est tournée vers les besoins de l’humanité. “La limite à ne pas toucher pour moi c’est la nature humaine. Je suis un opposant acharné au transhumanisme“, met tout de suite en garde le généticien.

A, T, G, C

Depuis que Francis Crick, James Watson et Rosalind Franklin ont identifié l’existence de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique, en 1953, une succession de découvertes ont permis de modifier cet l’alphabet du vivant.

On sait désormais lire, répliquer, mais surtout créer un génome et ses gènes, soit en remplaçant certaines de ses parties, soit en le synthétisant entièrement d’après un modèle informatique. Les gènes, quatre bases azotées, A, T, G et C qui se succèdent le long de chacun des deux brins d’ADN pour former la fameuse double hélice, illustre représentation du vivant. Quatre molécules chimiques qui codent la vie : A, pour adénine, T pour thymine, G pour guanine, et C pour cytosine. Leur agencement détermine l’activité du gène, la ou les protéines pour lesquelles il code, qu’il crée. Les protéines, ensuite, déterminent l’action des cellules au sein des organismes vivants : produire des cheveux blonds, des globules blancs, ou des bio-carburants.

On peut à l’heure actuelle, en quelques clics, acheter sur Internet une base azotée pour 30 cents. Un gène de taille moyenne, chez la bactérie, coûte entre 300 et 500 €, il est livré aux laboratoires dans de petits tubes en plastique translucide. Là il est intégré à un génome qui va générer de nouvelles protéines, en adéquation avec les besoins de l’industrie et de l’environnement.

L’être humain est devenu ingénieur du vivant, il peut transformer de simples êtres unicellulaires, levures ou bactéries en de petites usines qu’il contrôle. C’est le bio-entrepreneur américain Craig Venter qui sort la discipline des laboratoires en annonçant en juin 2010 avoir crée Mycoplasma mycoides, une bactérie totalement artificielle “fabriquée à partir de quatre bouteilles de produits chimiques dans un synthétiseur chimique, d’après des informations stockées dans un ordinateur”.

Si la création a été saluée par ses pairs et les médias, certains s’attachent toutefois à souligner que sa Mycoplasma mycoides n’a pas été crée ex nihilo, puisque le génome modifié a été inséré dans l’enveloppe d’une bactérie naturelle. Mais la manipulation est une grande première.

Tour de Babel génétique

Philippe Marlière a posé devant lui un petit cahier, format A5, où après avoir laissé dériver son regard il prend quelques notes. “Il y a longtemps qu’on essaye de changer le vivant en profondeur. Moi c’est l’aspect chimique du truc qui m’intéresse : où faut-il aller piocher dans la table de Mandeleiev pour faire des organismes vivants ? Jusqu’où sont-ils déformables ? Jusqu’à quel point peut-on les lancer dans des mondes parallèles sur terre ?”. Il jette un coup d’œil à son Schweppes :

Prenez l’exemple de l’eau lourde. C’est une molécule d’eau qui se comporte pratiquement comme de l’eau, et on peut forcer des organismes vivants à y vivre et évoluer. Or il n’y a d’eau lourde nulle part dans l’univers, il n’y a que les humains qui savent la concentrer. On peut créer un microcosme complètement artificiel et être sûr que l’évolution qui a lieu là-dedans n’a pas eu lieu dans l’univers. C’est l’évolution dans des conditions qui n’auraient pas pu se dérouler sur terre, c’est intéressant. La biologie de synthèse est une forme radicale d’alter-mondialisme, elle consiste à dire que d’autres vies sont vraiment possibles, en les changeant de fond en comble.

Ce n’est pas une provocation feinte, ce n’est même pas une provocation. L’homme a à cœur d’être bien compris. Il s’agit de venir à bout de l’évolution darwinienne, pathétiquement coincée à un stade qui n’assure plus les besoins en énergie des 10 milliards d’humains à venir. Il faut pour ça réécrire la vie, son code. Innover dans l’alphabet de quatre lettres, A, C, G et T. Créer une nouvelle biodiversité. Condition sine qua non : ces mondes, le nôtre, le naturel, et le nouveau, l’artificiel, devraient cohabiter sans pouvoir jamais échanger d’informations. Il appelle ça la tour de Babel génétique, où les croisements entre espèces seraient impossibles.

“Les écologistes exagèrent souvent, mais ils mettent en garde contre les risques de dissémination génétique et ils ont raison. Les croisements entre espèces vont très loin. J’ai lu récemment que le chat et le serval sont inter-féconds”. Il estime de la main la hauteur du serval, un félin tacheté, proche du guépard, qui vit en Afrique. Un mètre de haut environ.

Par ailleurs il fallait être superstitieux pour imaginer que le pollen des OGM n’allait pas se disséminer. Le pollen sert à la dissémination génétique ! D’où notre projet, il s’agit de faire apparaître des lignées vivantes pour lesquelles la probabilité de transmettre de l’information génétique est nulle.

Le concept tient en une phrase :

“The farther, the safer : plus la vie artificielle est éloignée de celle que nous connaissons, plus les risques d’échanges génétiques entre espèces diminuent. C’est là qu’il y a le plus de brevets et d’hégémonie technologique à prendre.”

Il s’agit de modifier notre alphabet de 4 lettres, A, C, G et T, pour créer un nouvel ADN, le XNA, clé de la “xénobiologie”:

X pour Xeno, étranger, et biologie. Le sens de cet alphabet ne serait pas lisible par les organismes vivants, c’est ça le monde qu’on veut faire. C’est comme lancer un Spoutnik, c’est difficile. Mais comme disait Kennedy, ‘On ne va pas sur la lune parce que c’est facile, on y va parce que c’est difficile.’

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Retrouvez la suite de cet article en deux parties ici et .


Cette enquête sera publiée en trois parties tout au long de la semaine.
Illustrations par Daniel*1977 (ccbyncssa)/Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/03/21/bacteries-du-futur-partie-1/feed/ 8
Monsanto pousse ses OGM en France http://owni.fr/2012/02/22/monsanto-sous-le-feu-des-decrets/ http://owni.fr/2012/02/22/monsanto-sous-le-feu-des-decrets/#comments Wed, 22 Feb 2012 10:40:04 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=99268

Le 28 novembre dernier, le Conseil d’État donnait raison au groupe Monsanto et affirmait que la France avait violé le droit européen en empêchant l’industriel d’utiliser ses OGM. La haute juridiction annulait ainsi la décision du ministère de l’Agriculture interdisant le maïs génétiquement modifié répondant au nom de code MON 810, du groupe Monsanto.

Mais sur un sujet aussi sensible, difficile de demeurer inactif pour le gouvernement, surtout en période électorale. Le 20 février, l’État français a donc adressé une note à la Commission européenne pour réclamer une mesure d’urgence [pdf] qui permettrait de faire cesser l’utilisation et la distribution du MON 810. Faute de quoi, celui-ci pourra être massivement utilisé en France au printemps prochain.

Risque pour la santé humaine

Ce bras de fer entre l’administration et Monsanto a débuté il y a trois ans. Le 7 février 2008, l’État assène un coup aux OGM en invoquant la “clause de sauvegarde”. Cet article de la directive 2001/18 [pdf] de la Commission européenne permet en effet à un État de l’Union de suspendre l’utilisation d’un OGM alors même qu’il est autorisé sur le territoire de l’Union.

Le Conseil d’État ratiboise Monsanto

Le Conseil d’État ratiboise Monsanto

Dans les semaines à venir, le Conseil d'État devrait remettre en cause le RoundUp Express, le pesticide vedette du groupe ...


Il faut qu’existent des “raisons précises de considérer qu’un OGM [...] présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement” .

L’avis de la Haute autorité a été rendu [pdf] et permet alors à la France d’interdire la culture du maïs transgénique MON810. D’un point de vue économique, les principaux concernés sont peu ravis. Ils déposent devant le Conseil d’État les fameuses requêtes étudiées par les magistrats en novembre 2011. Lequel rappelle :

La société productrice de maïs génétiquement modifié Monsanto et d’autres requérants attaquaient deux arrêtés du ministre de l’agriculture et de la pêche : celui du 7 décembre 2007, suspendant la cession et l’utilisation des semences de maïs génétiquement modifié MON 810 et celui du 7 février 2008, modifié par l’arrêté du 13 février 2008, interdisant la mise en culture de ces variétés de semences.

La décision du Conseil d’État rendue fin novembre dernier chamboule les certitudes du gouvernement français sur le sujet : les magistrats se prononcent en faveur de la demande de Monsanto font annuler la suspension de l’utilisation du maïs MON 810 par le ministère de l’agriculture. En cause, la demande du ministère va contre la/les directive(s) européenne(s). Et surtout le ministère est déclaré non compétent pour se prononcer sur le sujet. Pas de preuve, pas d’interdiction du maïs transgénique :

Le ministre en charge de l’agriculture avait justifié sa décision de suspension de la cession et de l’utilisation du maïs MON 810 par l’attente de l’avis du comité de préfiguration de la haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés. Il avait ensuite justifié sa décision d’interdiction de la mise en culture de ces variétés de semences par le contenu de cet avis. Cet avis relevait certains acquis scientifiques nouveaux relatifs aux OGM et dressait une liste de questions méritant, selon lui, d’être étudiées. Mais il se bornait à faire état « d’interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques possibles de la culture et de la commercialisation de MON 810 ». En fondant exclusivement ses décisions sur l’attente de cet avis, puis sur ce document, le ministre n’a donc pas apporté la preuve, que lui imposait l’interprétation de la réglementation applicable donnée par la CJUE, de l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.

Un spécialiste du sujet estime que les ministères sont là surtout pour “favoriser les lobbies et les grosses boites. Pour poser le moratoire du MON 810 il aurait suffit de financer des études pour prouver que ça se diffuse partout y compris dans le miel.” Un représentant du ministère de l’Écologie, préférant parler de manière anonyme, nous explique :

La position du gouvernement a été globalement constante. Ce qu’on dit sur les OGM, c’est qu’il faut une autorisation au cas par cas. La technologie n’est ni bonne ni mauvaise mais l’analyse doit être menée sur la base d’un rapport coût/bénéfice pour chaque dossier. En l’occurrence sur le MON 810, il y a des risques environnementaux qui existent. L’apparition de résistances par exemple. La toxine n’élimine pas uniquement l’espèce visée mais a un impact sur la biodiversité. S’il y a des risques environnement, on peut pas mettre en culture le MON 810. La clause a été annulée par le Conseil d’Etat parce que les documents dataient de 2008. Mais aujourd’hui d’autres documents le montrent, dont celui de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments [pdf/en] datant du 8 décembre 2011.

Du côté du ministère de l’Agriculture, un porte-parole du ministre explique que “si la commission n’agit pas, le ministère prendra une mesure de sauvegarde avant les semis – mi-mars – et une interdiction nationale.”

Fixer un seuil

Mais la note du 20 février adressée à la Commission européenne n’est pas la seule demande de règlementation concernant les OGM circulant sur le territoire français. Pendant ce temps-là, dans les couloirs de Bruxelles traine un projet de décret abaissant le seuil minimal de présence fortuite d’organismes génétiquement modifiés. Non fixé jusqu’à ce jour au sein de l’Union européenne, la France anticipe et demande pour l’obtention d’une mention “sans OGM” sur les lots de semences de maïs que soit défini à 0,1% le seuil maximal des traces d’OGM.

Ce projet de décret ajoute en réalité une contrainte stipulée dans l’article 12 du décret du 18 mai 1981 (Décret n° 2002-495 du 8 avril 2002, article 6) :

Pour les semences et les plants génétiquement modifiés, une étiquette indique clairement que la variété a été génétiquement modifiée.

Dans le texte, l’article 2 précise que “les lots de semences contenant des semences génétiquement modifiées sont clairement étiquetés. Ils portent la mention : “contient des organismes génétiquement modifiés”". Le seuil est à fixer par type de semences. Et au-delà des frontières françaises, surtout pour les importations depuis l’étranger.

Le décret en substance est actuellement dans les mains des ministères – ou équivalent – des autres pays européens pour éventuellement être modifié. Statu quo valable jusqu’à 14 mai, date à partir de laquelle la France, par la signature de son premier ministre, pourra fixer ce seuil, encore inexistant pour les semences. Pour le représentant du ministère de l’écologie, “l’idée c’est d’avoir la possibilité de semences pures, donc en définissant le seuil le plus faible possible.” Mais en pratique, Arnaud Apoteker, conseiller de l’eurodéputée EELV Michèle Rivasi, explique :

Les autorités de contrôle, en France la DGCCRF, tolèrent des traces d’OGM jusqu’à un certain seuil. Mais il est clair que sous la pression des semenciers, la Commission espère pouvoir abandonner la doctrine de “tolérance zéro” pour la contamination des semences. Ce qui revient à légaliser la contamination génétique des champs.

Que les inquiets se rassurent, les produits alimentaires ont eu droit à leur propre décret qui entrera en vigueur au premier juillet, définissant la mention “sans OGM”. Au seuil maximum de 0,1% d’OGM pour avoir droit à l’étiquette au fort pouvoir marketing : “sans OGM”.


Photos sous licences Créative Commons par Archivo de proyectos et fablibre

]]>
http://owni.fr/2012/02/22/monsanto-sous-le-feu-des-decrets/feed/ 41
Les bio-bidouilleurs s’enracinent http://owni.fr/2011/09/15/diybio-biohaklab/ http://owni.fr/2011/09/15/diybio-biohaklab/#comments Thu, 15 Sep 2011 10:46:10 +0000 Marion Wagner http://owni.fr/?p=79478 Un bain-marie, des agitateurs, une centrifugeuse, deux frigos (dont un pour les bactéries), une machine PCR (polymerase chain reaction, réaction en chaîne par polymérase, qui permet de séquencer le génome)… Tout le matériel, ou presque, accumulé par La Paillasse, le premier biohacklab français, vient de Génopôle, LE lieu de la recherche en génétique en France. Un donateur institutionnel et généreux dont la directrice de la recherche salue la « démarche citoyenne » des défenseurs du DIY (Do It Yourself, faites-le vous même) et de l’open source.

« Il nous manque encore les consommables, des enzymes, des bactéries. Je ne sais pas comment on va s’approvisionner auprès des fournisseurs, ils n’ont pas l’habitude de traiter avec des associations. C’est l’inconnu, nous sommes les premiers en France », explique Théotime, l’un des co-fondateurs de La Paillasse qui, greffés au /tmp/lab, pionnier des hackerspaces en France, est aujourd’hui accueilli par l’Electrolab, hacklab situé dans la zone industrielle de Nanterre.

DIYbio, kesako ?

Le mouvement naît à Boston, aux Etats-Unis, il y a 3 ans autour du DIY Biogroup, fondé par des chercheurs du MIT et de Harvard. Après les kits de petits chimistes, l’astronomie du dimanche, le lancement du modèle réduit de Saturne en avril 2009, les amateurs s’emparent aujourd’hui des laboratoires de génie génétique. On peut en effet  désormais, grâce aux progrès dans la connaissance de l’ADN depuis sa découverte, en 1953, imaginer créer des circuits génétiques chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple :

L’idée est que la biologie est devenue une technologie, on n’a pas fait mieux que les cellules, explique Thomas, thésard en biologie de synthèse et formé à Normale Sup et co-fondateur de la Paillasse. Cette miniaturisation est la seule nanotechnologie qui fonctionne. Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.

C’est autour de la biologie synthétique que la Paillasse est née. Une nouvelle discipline, à la croisée entre biologie, chimie, informatique et ingénierie. Elle consiste à modifier les génomes de micro-organismes, bactéries ou levures, en y introduisant des gènes supplémentaires, de manière à les détourner de leurs fonctions naturelles. Exemple : faire produire de l’artémisinine, utilisée dans la lutte contre le paludisme, à une bactérie dont les voies métaboliques ont été modifiées par la main de l’homme.

Pour ça, achetez un génome de synthèse, produit chimiquement et conçu par informatique, en quelques clics sur Internet. Comptez de 300 à 500 €. Ou, en mode Do it yourself, faites-le vous même grâce au répertoire de composants biologiques standards, open-source, de la fondation BioBricks mis au point par chercheurs et enseignants du MIT : « C’est très simple de manipuler le vivant », rappelle le thésard en biologie de synthèse.

Bien sûr, « le risque est différent en biologie qu’en électronique ou en mécanique. Une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement ».

D’où le crédo affiché sur la page d’accueil de diybio.org [en], « l’institution des biologistes amateurs » : accessibilité, citoyenneté, amateurisme, ingénierie, ouverture, sécurité et code de conduite. « Il faut des autorisations pour faire modifier génétiquement des organismes, et on ne veut pas se heurter aux règlements. Mais on peut avoir des approches très intéressantes de la génétique, même sans faire de mutations actives » :

On va faire quelques manipulations, mais gentiment. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver.

Il y a un truc dans mon yaourt

Une fois la petite communauté parisienne créée autour de ce noyau dur, les premiers projets émergent : un microscope open-source, avec une lentille de téléphone portable, ou encore des yaourts dont les ferments lactiques sont génétiquement modifiés pour produire la GFP (green fluorescent protein) : éclairé par une lumière bleue, le yaourt se colore en vert, et brille… Effet garantit en boîte de nuit.

L’idée est de favoriser l’accès à l’information qui nous constitue, nous et notre environnement. Aujourd’hui la biotechnologie est devenue routinière. On établit des diagnostics à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout et personne ne peut y accéder.

Aujourd’hui la Paillasse veut être un laboratoire de biotechnologie ouvert et transparent. Les citoyens doivent avoir dans leurs mains un contre-pouvoir pour participer aux choix sociétaux concernant l’utilisation de ces technologies. D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Si elles sont complètes, ce sont des informations qui peuvent être dangereuses puisque elles nous sont propres.

Une démarche qui a tout son intérêt semble-t-il, si l’on se fie au dernier sondage Le Monde/La Recherche, intitulé « Les Français et la science » : 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies, dont les nanoparticules sont pourtant présentes dans certaines raquettes de tennis, rouges à lèvre, des crèmes solaire, produits d’entretien pour chaussures qui « nourrissent, protègent et ravivent les couleurs pour toutes les matières »… Autre constat, les Français se fient à la science, mais pas aux chercheurs. Et aux biohackers ?

Musique, maëstro

« Nous sommes ouverts aux nouveaux projets, tout le monde est bienvenu » (aux réunions hebdomadaires, à 20h tous les jeudis à la Gaité Lyrique, NDLR). L’accueil est chaleureux dans ce temple parisien des nouvelles technologies. On y parle beaucoup, et on boit quelques bières. Face à son ordi, Sam, neurohacker, à mi-chemin entre le Tmp/Lab et la Paillasse, teste son interface cerveau-machine.

Il mesure l’activité électrique de nos cerveaux grâce à un casque équipé d’une électrode, acheté 150€ sur Internet. L’infrarouge proche éclaire l’intérieur du cerveau et détermine sa consommation d’oxygène. En distinguant l’activité musculaire de notre gros muscle et ses ondes cérébrales, il peut modéliser celles-ci, en musique, grâce au programme, libre, qu’il a développé.

Cela permet de détecter les changements d’états mentaux. La suite de notes est pré-écrite, on change d’octave en fonction de l’activité du cerveau. Les sons aigus correspondent à la réflexion, les sons graves au repos.

L’idée, c’est d’interpeller les gens. On peut visualiser son état mental avec de la musique, on peut voir à l’intérieur du cerveau en quelque sorte, ce qui est interdit. Ce n’est pas le contrôle qui m’intéresse,  l’idée est de créer des choses intéressantes musicalement, de faire réfléchir les gens sur les émotions que peuvent produire leur cerveau, et réagir à celles-ci.

Allez, un petit son pour la route, avec Neurohack au repos, puis en activité :
Sleep by Owni Son
Activity by Owni Son


Images CC-BY-NC macowell et CC-BY-SA Mac, sons Neurohack /tmp/lab.

]]>
http://owni.fr/2011/09/15/diybio-biohaklab/feed/ 26
La désobéissance civile comme expression d’un nouveau besoin de démocratie http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/ http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/#comments Wed, 16 Feb 2011 15:58:54 +0000 Marc Milet (Non fiction.fr) http://owni.fr/?p=38077 Arracheurs volontaires d’OGM cultivés en plein champ, enseignants qui refusent de communiquer leurs notes, directeurs d’école qui s’opposent à renseigner des bases informatiques, autant d’actes qui se sont multipliés depuis la dernière décennie et qui ont connu des interprétations contradictoires, tantôt jugés illégaux donc illégitimes pour les uns, parfois perçus comme une forme d’engagement citoyen par les autres.

Dans Pourquoi désobéir en démocratie ? Albert Ogien, sociologue, chercheur au CNRS, et Sandra Laugier, universitaire, professeure de philosophie, ont choisi de mettre en commun leur savoir-faire respectif afin de présenter et de mieux cerner la nature de ces formes publiques d’action présentées par Henry David Thoreau, dès le milieu du XIXème siècle, comme des actes de « désobéissance civile » (DC). La forme interrogative du titre énonce l’apparent paradoxe de ceux qui, selon l’heureuse formule employée, décident de « se mettre volontairement en illégalité ».

Le dilemme citoyen pourrait se présenter en ces termes : pourquoi donc opérer un choix relativement risqué en démocratie, alors même que nous vivons dans un régime de liberté qui offre mille et une manières et opportunités de contester la politique menée et les lois votées, qu’il s’agisse du recours, cyclique, au vote, ou encore de l’usage devenu ordinaire des formes d’action collective telle que la manifestation ? Albert Ogien et Sandra Logier récusent l’appréciation qui ferait de la DC la perception d’une faiblesse interne ou d’une dégénérescence de la démocratie. Ils énoncent, au delà même de la désobéissance civile, dans quelle mesure « la résistance » se révèle consubstantielle à la démocratie.

D’une désobéissance «civile» à une désobéissance «civique»

Cette thèse, forte, selon laquelle « la désobéissance civile est une forme d’action politique constitutive de la démocratie » (p.199) est défendue et assénée tout au long de l’ouvrage. La désobéissance civile contribue au perfectionnement démocratique par l’extension continue de droits qu’elle appelle, le contrôle citoyen qu’elle exerce, la manifestation d’une société ouverte dont elle témoigne. En ce sens, l’ouvrage offre une analyse des formes contemporaines de l’action collective alliée à une réflexion profonde sur l’essence même du politique. Les auteurs nous montrent ainsi notamment comment s’opère un déplacement du champ d’action, du champ politique au champ judiciaire dans lequel intervient la figure du juge appelé à trancher le litige démocratique. Même si l’on disposait déjà d’analyses centrées sur certains aspects de la question (citons les travaux de la juriste Daniel Lochak, du politiste Daniel Mouchard, de la sociologue du droit Liora Israël), l’alliance de deux approches, sociologique et philosophique, permet de disposer, une fois n’est pas coutume, d’une lecture relativement exhaustive du phénomène. En témoigne le plan retenu qui, après un cadrage des principaux enjeux, propose une enquête avant de revenir à une interrogation sur le statut même du politique.

Pour qui souhaite disposer d’un panorama historique des idées, l’ouvrage offre en premier lieu une présentation synthétique, claire et très utile de la pensée des principaux auteurs qui, de Thoreau, à Hanna Arendt, en passant par John Rawls, ont conceptualisé ou étayé la théorie de la désobéissance civile. Loin de s’en tenir à une pure reprise des théories évoquées, les auteurs s’engagent dans le débat, refusent de voir dans la désobéissance, devenue « civique » sous la plume d’Etienne Balibar, les prémices d’un grand soir, là où il s’agit avant tout de contester l’illégitimité des politiques menées.

Ils choisissent en ce sens aussi de bien distinguer les « désobéissants », professionnels ou militants de la contestation renouvelée, des « désobéisseurs », qui mettent en acte les quatre attributs définis par les deux auteurs comme aux conditions mêmes de l’acte : une rupture d’allégeance à l’Etat qui soit ainsi de caractère public, personnel, général et établi au nom de principes ou d’impératifs moraux supérieurs.

Les quatre domaines retenus – ceux de la médecine libérale, de l’hôpital, de l’école, et de l’université – contreviennent à la présentation devenue l’idéal typique du faucheur d’OGM, et nous montrent une autre réalité moins connue alors même qu’elle se révèle sans doute plus significative d’un phénomène qui, sans être majoritaire, s’est largement répandu. Les agents de l’Etat qui subissent une « dépossession » de leur activité au profit d’une culture du rendement aux résultats parfois absurdes s’engagent dans de multiples actions en désobéissance à travers le refus individuel ou collectif de remplir leurs obligations légales, pour l’essentiel sous forme d’un refus de transmission de données administratives.

Une réponse à l’émergence de la performance dans la sphère publique

Les pages sans doute les plus intéressantes de la partie empirique de l’ouvrage, dans la continuité d’une sociologie économique établie par Max Weber, montrent alors le lien étroit entre l’esprit du capitalisme et la dynamique bureaucratique. Au tournant de ce nouveau siècle, celui-ci prend la forme d’un impératif d’efficacité qui établit la culture de résultat en forme de gouvernement, impose désormais les critères de performance d’entreprise à l’action publique et politique, fait de la quantification (le recours aux chiffres afin d’évaluer l’écart par rapport aux objectifs) le nouvel étalon de la bonne gouvernance. Même si le détour par un chapitre complet consacré aux processus de chiffrage, éloigne quelque peu du propos, c’est pour mieux démonter les arcanes de ce processus : les buts secondaires (les moyens) se substituent aux objectifs, dont il est aussi rappelé dans quelle mesure leur définition même, loin d’être aisée, renvoie à de multiples problèmes et méconnaît les luttes sur les différents critères de finalité à retenir.

Dans la lignée cette fois-ci des travaux sociologiques français sur la fabrique des risques, il apparaît que c’est l’Etat en définitive qui contribue à créer lui-même la DC (l’orientation des politiques d’immigration est définie comme le point d’orgue de cette logique) ; dans les pages parmi les plus convaincantes de l’ouvrage, l’on comprend ainsi mieux le renouveau de ce type de pratiques. En guise de deuxième face d’un même miroir, le retrait de l’Etat de la sphère sociétale conduit aussi à rogner immanquablement sur l’espace de la désobéissance civile.

Le titre du livre ne rend toutefois pas pleinement compte du champ investi, car de ce fait, les cas traités demeurent centrés quasi-exclusivement (hormis la médecine libérale mais encore s’agit il d’un secteur en lien avec les subsides publiques) sur les actes de désobéissance civile dans les organismes de Service Public.

L’apport d’une double analyse de sociologue et de philosophe rencontre (seulement) sur ce point sa limite, dès lors que l’exercice s’apparente bien plus à une juxtaposition des approches qu’à un véritable regard croisé. Dans la lignée de la littérature existante, on peut aussi déplorer l’absence de confrontation avec le « cas limite » que constitue le positionnement de certaines associations anti-avortement qui aiment à se placer sous le sceau de la désobéissance civile. Les actions collectives d’empêchement de la pratique des avortements menées par des militants radicaux pose l’aporie que constitue l’autolégitimation de la mobilisation (j’énonce un principe que je pose comme universellement accepté, en l’espèce « le droit à la vie »). De notre point de vue, l’intégration dans le débat des ces formes de révolution conservatrice, offrirait une interrogation intéressante sur la nature même des attributs de la désobéissance civile.

On est en effet loin de penser que cette interrogation offrirait un cadre justificatif de ces actions, pas plus qu’elle ne saperait les fondements légitimes de la DC. Une telle comparaison aurait le mérite de contrevenir à l’idée selon laquelle la désobéissance civile ne servirait qu’à légitimer certains mouvements de protestation vis-à-vis des politiques gouvernementales menées. Albert Ogien doit d’ailleurs lui-même concéder que le cas des protestations des médecins « ne tomb[e] pas formellement sous la définition de la désobéissance civile ».

L’ouvrage publié dans une collection engagée de « philosophie pratique » entend bien répondre à la question posée. Pour le moins, quel que soit le point de vue adopté par le lecteur, il trouvera dans ces pages une aide à la réflexion citoyenne et un éclairage théorique des plus stimulants sur la question démocratique

Titre du livre : Pourquoi désobéir en démocratie ?
Auteur : Sandra Laugier , Albert Ogien
Éditeur : La Découverte
Collection : Textes à l’appui
Date de publication : 30/11/99
N° ISBN : 2707165409

Article publié à l’origine sur Non-fiction.fr sous le titre Sur le retrait d’allégeance en démocratie.

Photos FlickR CC : Cmic Blog ; Cicilie Fagerlid.

]]>
http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/feed/ 1