OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le CNN ne fait pas de fleur http://owni.fr/2012/07/06/le-cnn-ne-fait-pas-de-fleur/ http://owni.fr/2012/07/06/le-cnn-ne-fait-pas-de-fleur/#comments Fri, 06 Jul 2012 10:42:54 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=115577

Ça n’avait pas très bien commencé. Et risque de se finir en queue de poisson : la quasi totalité du Conseil national du numérique (CNN) a annoncé hier soir sa démission. Ou presque.

PKM: “Faire du CNN un aiguillon de la politique numérique”

PKM: “Faire du CNN un aiguillon de la politique numérique”

Entretien avec Pierre Kosciusko-Morizet, boss de PriceMinister en charge de donner forme au Conseil national du numérique, ...

Plus diplomatiquement, les membres de cette instance consultative mise en place par Nicolas Sarkozy, ont décidé “de remettre leur mandat à la disposition du Président de la République et du gouvernement”, peut-on lire dans le communiqué officiel. Mais sur le compte Twitter de Marie-Laure Sauty de Chalon (à la tête d’Aufeminin.com), il est bel et bien question de démission.

Plus tôt dans la journée, on apprenait via Twitter que Jean-Baptiste Soufron, conseiller de Fleur Pellerin, la ministre en charge des questions numériques, s’apprêtait à migrer de Bercy au CNN. Une information d’abord démentie, puis confirmée dans un communiqué officiel : l’ancien directeur du think tank numérique Cap Digital prendra la place de secrétaire général du cénacle. Il remplace Benoit Tabaka, juriste de formation aujourd’hui lobbyiste chez Google.

Plus qu’un simple parachutage, la décision du gouvernement se double d’une “réflexion sur la gouvernance du numérique, notamment sur le rôle du Conseil National du Numérique”, peut-on lire sur le communiqué. Une “mission” précisément confiée à Jean-Baptiste Soufron. En clair, les choses vont bouger et c’est Bercy qui est à la manœuvre.

Un désir d’ingérence manifeste qui n’a visiblement pas plu aux entrepreneurs du Conseil national du numérique. Seul Gilles Babinet, son ancien président, n’a pas suivi le mouvement. Il y a quelques semaines, Bercy le nommait “digital champion auprès de la Commission européenne.” De nouvelles fonctions qui n’ont rien à voir avec sa décision, assure-t-il à La Tribune :

Je n’ai pas démissionné car il me semblait tout à fait anormal de prendre une décision aussi extrême sans même une conversation avec Fleur Pellerin.

Dès le départ, le CNN a été frappé du sceau politique. Envisagée dans le Plan France numérique 2012, l’idée a finalement été oubliée au fond d’un tiroir, avant d’être récupérée par Nicolas Sarkozy aux alentours de fin 2010. Pour finalement se concrétiser en avril 2011, sous l’égide de l’Élysée. Et dans un format allégé : circonscrit aux seuls entrepreneurs du secteur sélectionnés par le chef de l’État, le CNN a rapidement été perçu comme le “Medef du numérique”, sorte de vaisseau amiral de l’e-sarkozysme.

L’Élysée drague le numérique

L’Élysée drague le numérique

Nicolas Sarkozy a présenté ce midi le CNN, ou Conseil national du numérique, nouvelle instance de 18 sages appelée à ...

C’est peu dire que dans ces conditions, ses membres ont eu à cœur de démontrer leur indépendance tout au long de ces derniers mois. Et le départ de Nicolas Sarkozy n’y changera rien.

Une chose est sûre, les intentions du gouvernement sur le numérique semblent enfin se préciser. Jusqu’alors, l’avenir du CNN restait incertain : suppression pure et simple ou ravalement de façade ? François Hollande s’était montré peu prolixe en matière d’Internet alors qu’il était encore candidat au fauteuil présidentiel. “Aucune ligne définitive” n’était tranchée selon Fleur Pellerin, déjà responsable du dossier lors de la campagne. Mais la ministre ne cachait pas alors son intention de rompre avec le Conseil, dont elle se disait insatisfaite. Sans toutefois nier l’utilité d’une telle instance, comme elle l’indiquait sur Rue89 :

Mais dans l’absolu, je ne trouve pas idiot qu’il existe un comité d’experts.

Finalement, la rénovation semble être préférée à la destruction de fond en combles. Reste à savoir sous quelles formes le CNN renaîtra de ses cendres. Du côté du cabinet de Fleur Pellerin, on assure que la décision épidermique des actuels membres du CNN facilite la tâche de rénovation, peut-on lire dans La Tribune. Côté Conseil en revanche, on redoute que le gouvernement n’ait aucune idée de ce qu’il veut en matière de numérique. Sentiment de “gâchis”, lisible en filigrane dans la déclaration du CNN :

Le numérique est une chance pour la France, si nous savons la saisir…

Trois petits points qui en disent long.


Illustration CC FlickR rsepulveda

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Le mauvais procès du gardien de la paix http://owni.fr/2012/05/22/le-mauvais-proces-du-gardien-de-la-paix/ http://owni.fr/2012/05/22/le-mauvais-proces-du-gardien-de-la-paix/#comments Tue, 22 May 2012 10:28:47 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=110827

68% de la population française figure dans le Système de traitement des infractions constatées (STIC), le plus gros des fichiers policiers français : 44,5 millions de personnes en tant que “victimes“, 6,5 millions en tant que “mis en cause” ou “auteurs” de crimes ou délits, et donc “suspects“, quand bien même ils aient, depuis, été innocentés (voir “Le cadeau empoisonné des fichiers policiers“).

Mais ni Nicolas Sarkozy, ni Robert Pandreau, Charles Pasqua, Patrick Balkany, Jean-Charles Marchiani ni Roland Dumas n’y sont fichés… alors même qu’ils ont tous pourtant été, soit “mis en cause” -voire même inculpés-, soit “victimes“, et qu’ils devraient donc logiquement être fichées à ce titre, et comme tout le monde, dans le STIC.

Cette étonnante découverte a été faite par Philippe Pichon, ce commandant de police de 42 ans mis à la retraite d’office pour avoir osé dénoncer les dysfonctionnements et problèmes posés par le STIC (voir “Un flic pourfend le système“).

Un flic pourfend le système

Un flic pourfend le système

Le système STIC, le plus gros des fichiers policiers, fiche la moitié de la population française, sans cadre légal. Le ...

Philippe Pichon avait plusieurs fois alerté sa hiérarchie, en vain. Il avait également “évoqué la possibilité de s’en ouvrir à la presse ou dans un cadre universitaire“. Faute de réponse, il se décida enfin à répondre favorablement à la requête d’un journaliste de Bakchich.info, Nicolas Beau, qui lui avait demandé de lui transmettre les fiches STIC de Jamel Debbouze et Johnny Halliday. Le scandale autour du fichier EDVIGE venait d’éclater, et l’opinion publique commençait à s’inquiéter des problèmes posés par les fichiers policiers.

Après avoir pris soin de contacter les agents de Jamel et Johnny, “qui n’avaient pas manifesté d’opposition” à la publication de leurs fiches, Bakchich.info publia leurs fiches STIC afin de dénoncer la présence de nombreuses données qui n’auraient jamais du, légalement, y figurer. L’article, “Tous fichés, même les potes de Nicolas Sarkozy“, s’étonnait par ailleurs de l’absence de fiche STIC pour Charles Pasqua :

La République irréprochable de Sarko est en marche. Tous égaux, tous fichés ! A une réserve près. Au STIC, les politiques semblent mieux traités. La plupart de ceux qui ont été égratignés par la justice n’apparaissent guère dans le fichier. Ainsi Charles Pasqua, entendu de nombreuses fois lors des dossiers de l’Angolagate, des casinos et autres, n’apparaît pas dans le STIC.

La liste des autres personnalités politiques étrangement absentes du fichier STIC figure dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Philippe Pichon, qu’Owni a pu consulter.

Un fichier unanimement critiqué

Le cadeau empoisonné des fichiers policiers

Le cadeau empoisonné des fichiers policiers

Truffé d'erreurs, le plus gros des fichiers policiers va être fusionné avec le plus gros des fichiers de la gendarmerie au ...

Ce mardi 22 mai 2012, la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris ne discutera pas tant de l’illégalité du STIC, mais de la mise en examen de Philippe Pichon, pour “détournement d’informations à caractère personnel“, “violation du secret professionnel” et “accès frauduleux à un système automatisé de données“.

Un an et demi plus tard, et suite à l’article de Bakchich.info, le Service central de documentation criminelle (SCDC), à même de “tracer” l’accès au STIC, identifia 610 fonctionnaires ayant interrogé le STIC au sujet de Jamel, 543 pour Johnny et, respectivement, 24 et 16 fonctionnaires ayant imprimé leurs fichiers.

Mais seuls deux policiers avaient imprimé les deux fiches concernées : Philippe Pichon, et une gardienne de la paix, qui expliqua avoir oeuvré par “ennui“, qu’elle comblait en lisant la presse à scandale, ce pour quoi elle avait consulté les fiches STIC de 80 personnalités du show biz, et imprimé 24 d’entre-elles.

Au magistrat instructeur qui l’interrogeait à ce sujet, Philippe Pichon évoqua un “geste citoyen” destiné à rendre public les nombreux dysfonctionnements du STIC. Pour William Bourdon, son avocat, il s’agirait même d’un “cri d’alarme” entraîné par le “refus de son supérieur hiérarchique de veiller à une stricte et légaliste utilisation du STIC“. Plutôt que de chercher à corriger les problèmes du STIC, sa hiérarchie avait en effet décidé d’infliger à Pichon une “mutation sanction“.

Or, et pour justifier le refus de confronter Philippe Pichon à son ancien supérieur hiérarchique (qui, le décrivit comme son “ennemi personnel“), le juge d’instruction expliqua qu’elle ne serait pas utile à la manifestation de la vérité dans la mesure où “l’un et l’autre conviennent de dysfonctionnement concernant l’utilisation du STIC“…

Dans un autre article, intitulé “Le fichier STIC inquiète les patrons de la police“, Nicolas Beau et Xavier Monnier révélaient d’ailleurs le contenu de deux circulaires émanant de la Direction générale de la Police nationale (DGPN) dénonçant les “nombreuses erreurs contenus dans le STIC“.

Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction reconnait même que ce fichier “a été unanimement critiqué et l’est encore notamment par la CNIL qui avait relevé de singulières défaillances“…

Même le tribunal administratif de Melun, qui a pourtant confirmé sa mise à la retraite d’office, reconnaît le bien-fondé de son combat militant :

Il est constant que le fichier STIC comporte un nombre d’erreurs d’autant moins acceptables qu’elles sont susceptibles d’entraîner de graves conséquences pour les personnes concernées, au risque d’attenter aux libertés fondamentales, et que l’administration s’est affranchie depuis de nombreuses années des règles de gestion de ce fichier, notamment celles relatives à l’effacement des données, ceci sans qu’aucune mesure ne soit prise par les autorités concernées.

Le tribunal tenait également à souligner “le caractère illicite des actes auxquels M. PICHON a été confronté, à Coulommiers et à Meaux (…) et les graves déficiences dans la manière de servir de ses supérieurs hiérarchiques directs“. LesInrocks avaient ainsi rapporté comment, en février 2006, son supérieur hiérarchique, Jean-François M., avait proposé à Guy Drut, alors maire de Coulommiers, de lui communiquer “toute information, tout document ou tout élément procédural (qui) pourrait m’être utile en anticipation de tout contentieux avec les élus du canton de Coulommiers, le personnel de la mairie de Coulommiers ou tout administré dissident” (sic).

De l’exploitation des FacDet du journaliste

Dans un article intitulé “Le cas Pichon suivi en direct de l’Elysée par Guéant publié dans Marianne, le journaliste Frédéric Ploquin rappellait que la police avait, tout comme dans l’affaire des FacDet (factures détaillées, ou “fadettes“) du journaliste du Monde, oeuvré en marge de la légalité :

A l’époque, l’artillerie lourde avait déjà été déclenchée pour neutraliser le “traître”, notamment en recherchant les contacts téléphoniques entre le fonctionnaire et des journalistes. Et ce, dans le cadre d’une enquête préliminaire, sans l’autorisation expresse du procureur de la République.

Marianne a publié le fac similé d’un courrier signé par Claude Guéant, où celui qui était alors secrétaire général de l’Elysée écrivait qu’”il est opportunément possible de sanctionner le commandant de police Philippe Pichon“, ce que Frédéric Ploquin, journaliste d’investigation spécialiste de la police, interprète comme “une manière de couvrir, depuis le sommet de l’Etat, une enquête administrative diligentée parallèlement à une enquête judiciaire“.

Un précédent qui éclaire d’un jour nouveau les enquêtes “administratives” qui vont suivre, et notamment celles concernant les “fadettes” des journalistes.

A l’époque, Philippe Pichon n’avait pas de téléphone portable. Or, l’enquête a révélé que Nicolas Beau et lui s’était bien parlé au téléphone, mais sur le portable de sa belle-mère. Pour parvenir à cette identification, la police a donc nécessairement exploiter les fadettes du journaliste.

Empêché de travailler depuis 2009, Philippe Pichon avait porté plainte en 2011 pour “harcèlement moral et discrimination” en raison de ses opinions politiques, comme l’avait révélé Libération :

Formellement déposée contre X, l’action vise en réalité l’ancien ministre de l’Intérieur qu’est Nicolas Sarkozy et que Pichon tient responsable de l’acharnement procédural ayant abouti à un «interdit de paraître», formule administrative signifiant l’interdiction d’exercer.

La plainte a depuis été confiée à la juge d’instruction Sylvia Zimmerman, qui traite également la plainte du Monde pour violation du secret des sources.

Claude Guéant a, de son côté, le 6 mai 2012 au soir, déposé plainte contre Pichon au nom du ministère de l’intérieur pour “préjudice moral” en lui réclamant… 4 000 euros de dommages-intérêts. Le 6 mai au matin, le Journal officiel publiait le décret, signé Claude Guéant, permettant au STIC d’être fusionné avec JUDEX, son équivalent dans la gendarmerie (voir “Le cadeau empoisonné des fichiers policiers“).

Reste à savoir si Nicolas Sarkozy, Robert Pandreau, Charles Pasqua, Patrick Balkany, Jean-Charles Marchiani ou encore Roland Dumas y seront eux aussi cette fois fichés comme le sont tous les justiciables entendus comme “mis en cause” ou “victimes“… #oupas.

Mise à jour, 16h55 : le procès de Philippe Pichon a été ajourné, son avocat, William Bourdon, ayant déposé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). La première porte sur l’article 226-13 du Code pénal, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende la “révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire“, dans la mesure où “aucune norme n’établit le caractère secret des informations contenues dans les fichiers de police judiciaire :

L’article 226-13 porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et plus précisément au principe de légalité des délits et des peines ?

La seconde QPC porte quant à elle sur la légalité du STIC, qui constituerait, selon William Bourdon, une “présomption absolue de culpabilité et caractérise un obstacle majeur aux droits de la défense contrevenant ainsi à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen d’août 1789 ainsi qu’à l’article préliminaire du Code de procédure pénale“, dans la mesure où, également, il emporterait des “risques d’atteintes graves à la liberté individuelle, à l’exemple des mesures de fichage décidées à l’occasion d’une enquête de police administrative par des personnels de plus en plus nombreux à être habilités et échappant au contrôle effectif de l’autorité judiciaire“.

L’article 21 de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 (qui a légalisé le STIC, NDLR) porte-t-il atteinte aux droits essentiels de la défense et notamment aux principes généraux du contradictoire et de la loyauté de la preuve, droits et libertés garantis par la Constitution ?


Photo CC by-nc-sa Banksy kissing cops by Jan Slangen

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Bulletins de santé républicains http://owni.fr/2012/05/03/bulletins-de-sante-republicains/ http://owni.fr/2012/05/03/bulletins-de-sante-republicains/#comments Thu, 03 May 2012 10:46:48 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=108826

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat.
- Louis Aragon

Le second tour. François Hollande, Nicolas Sarkozy. Deux candidats en lice, plus un fantôme morbide et son cliquetis de chaîne : le score inédit du Front National, auquel se sont abandonnés des millions de gens qui transforment leurs souffrances et leurs angoisses en haine de l’autre. Il n’y a pas que cela bien sûr, et peut-être pas chez tous, mais aucun ne peut ignorer que ce vote est associé à cette haine. Cette maladie n’est pas nouvelle, mais elle a gagné en ampleur et surtout en banalisation.

L’actuel Président et sa garde rapprochée l’ont décomplexée en multipliant des mots et des actes à haute teneur xénophobe et parfois raciste. Ce qui signifie que les réflexes de haine, anti-républicains en leur principe même, imprègnent aujourd’hui deux électorats, celui du Front national et une fraction dominante de celui de l’UMP. Quant à ceux qui du bout des lèvres font sentir une petite différence histoire de rappeler leurs principes humanistes, auront-ils réussi autre chose que minorer plus encore aux yeux des citoyens la gravité des idées véhiculées par leur camp ?

Qu’aucun intellectuel ou presque n’ait osé soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy est à l’honneur des créateurs et penseurs de notre pays. Et aucun philosophe qui se consacre à la philosophie. Aucun. Il faut dire que pour qui cultive l’amitié aristotélicienne ou la joie spinoziste, l’universel de Rousseau ou celui de Kant, l’esprit de libération de l’œuvre effective de Marx ou le souci de bannir tout esprit de ressentiment de Nietzsche, ce second tour électoral devient d’une rare simplicité.

À défaut de trouver dans un candidat le moyen de s’attaquer en profondeur aux causes profondes de cette maladie du corps social, au moins peut-on trouver dans un rejet sévère, insolent et joyeux de l’actuel Président le remède évident à ce que cette maladie a de pire.

Une punition pour avoir identifié immigration et insécurité, pour avoir fait l’apologie d’une “identité nationale” fortement teintée de xénophobie, pour avoir organisé une chasse aux sans papiers jusque dans les classes des écoles, pour avoir osé identifier la viande hallal à une menace sur la France et associé l’immigré avec le terroriste, pour avoir inventé l’incroyable concept “d’apparence musulmane”, pour toutes ces vulgarités qui ont sali l’image même de liberté et de culture que l’histoire avait associée à quelques belles périodes de la France.

En qualifiant désormais le Front national de “parti républicain”, Nicolas Sarkozy a dépassé toutes les bornes admissibles. République signifie “chose commune”, et rien ne détruit plus violemment la communauté humaine que la haine de l’autre et le favoritisme des puissants. Vraiment, cette poussée xénophobe est une maladie qui exige de chacun une attitude claire et nette.

Soit on combat ce cancer, on agit sur ses causes sociales et l’on propose courageusement de quoi reconstruire une solidarité humaine ; ce fut le cas de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly, et François Hollande a eu aussi le mérite de proposer que l’on supprime la notion de “race” des textes constitutionnels. Ainsi que d’accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales, à défaut de proposer une politique économique et sociale en rupture avec celle qui a engendré le mal.

Soit comme Nicolas Sarkozy, pour des motifs électoraux sans principes on propose non seulement d’amplifier les traits les plus négatifs de la politique qui a développé le mal, mais on l’amplifie délibérément en faisant campagne dans le sens du courant xénophobe. Et cet odieux calcul mériterait une défaite humiliante. Les jours qui viennent revêtiront en ce sens une signification de grande portée. On devra compter dans les urnes les bulletins de santé.

Bien sûr, alors, on chantera et l’on dansera un peu partout. Mais nul ne devra oublier qu’après les bals de 1981 il y eut les déconvenues de l’après 1983, les privatisations, l’argent-roi, le retour de la droite et l’essor du Front national. Ainsi que l’affaiblissement des forces citoyennes militantes.

On ne devra pas oublier non plus qu’après l’accession de Lionel Jospin à Matignon en 1997 il y eu des privatisations, le mépris des enseignants, l’argent-roi, le retour de la droite et l’essor du Front national. Ainsi qu’un nouvel affaiblissement du militantisme.

Nicolas Sarkozy et le Front national ont désormais démembré des pans entiers de la société et approfondi comme jamais des souffrances humaines : rien ne serait plus grave qu’un nouveau recul devant les nécessités sociales et politiques de transformation. Ce sera, comme toujours, l’affaire de l’ensemble des citoyens.

Mais, quelles que soient leurs espérances ou leurs doutes, encore une fois, quels citoyens épris de progrès humain pourraient hésiter le 6 mai prochain ? Dans un tout autre contexte bien sûr, chacun peut réciter pour lui-même et pour les autres ces beaux vers de La rose et le réséda de Louis Aragon :

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat.

N.B : En cette année de tricentenaire de sa naissance, Rousseau demeure bien utile aussi dans notre situation électorale et institutionnelle. Relire par exemple, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, une note (n°9, ou « i ») dans laquelle Rousseau rappelle cette évidence qu’il vaut mieux choisir un bon maître qu’un mauvais. Mais il ajoute que si la santé d’un peuple ne tient qu’à la qualité personnelle d’une personne, cela signifie que ce peuple a perdu sa liberté, se trouve dépendant, et se trouve privé d’une Constitution. En effet, il n’est de constitution juste que celle qui assure la justice sociale et la liberté, sans avoir besoin d’un bon maître. Pire : les bons maîtres banalisent cette dépendance et empêchent les peuples d’agir pour recouvrer leur liberté politique. Il faut donc opter pour les personnalités politiques vertueuses, mais s’empresser de leur demander de bâtir ensemble une bonne constitution. Chiche ? À méditer pour le futur.


Illustration via Flickr par Temari09 [cc-by-nc] remixée par Ophelia Noor pour OWNI.

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http://owni.fr/2012/05/03/bulletins-de-sante-republicains/feed/ 3
Le débat Hollande Sarkozy vérifié http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/ http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/#comments Wed, 02 May 2012 23:57:09 +0000 Equipe Véritomètre http://owni.fr/?p=108795 OWNI
ont vérifié 137 références chiffrées brandies par Hollande et Sarkozy au cours de leur débat télévisé. Certaines de ces citations chiffrées étaient correctes. Quelques-unes imprécises. Et un bon nombre tout à fait fausses. Voici la synthèse de ces dernières, les quatre plus énormes citations ratées, incorrectes, plantées, pour chacun des deux candidats.]]>

À l’occasion du débat d’entre-deux-tours, l’équipe du Véritomètre, l’application de factchecking développée par OWNI-i>Télé était toute entière mobilisée pour vérifier en temps réel les déclarations des deux finalistes à l’élection présidentielle. Confiants, nous croyions être soumis à de maigres escarmouches statistiques entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais le face-à-face des candidats UMP et PS a été un déluge de données sous lequel Laurence Ferrari et David Pujadas sont restés coi.

Un chiffre toutes les 47 secondes

Durant leur temps de parole de 72 minutes et 12 secondes, les candidats ont livré une quantité considérable de chiffres : 92 pour le Président sortant et 45 pour son challenger socialiste, soit un chiffre toutes les 47 secondes pour Nicolas Sarkozy et un toutes les 1 minute et 36 secondes pour François Hollande.

Si chacun a essayé de tirer le débat sur son terrain, la majeure partie du temps de parole a été consacrée à l’emploi, notamment au chômage (10 citations pour Hollande et autant pour Nicolas Sarkozy), suivi par la croissance et les déficits ainsi que l’énergie. Si les impôts ont également occupé les deux finalistes, Nicolas Sarkozy a avancé pas moins de 13 chiffres sur l’Education nationale et l’enseignement ! A la grande surprise des vérificateurs, la question de l’industrie (en particulier la perte d’emploi industriel), pourtant récurrente dans les interventions publiques de chacun, n’est pas apparue autrement qu’au travers la question des déficits commerciaux.

Au final, voici leurs plus grosses bourdes et erreurs factuelles.

Hollande baisse les effectifs

François Hollande oublie des postes supprimés dans l’Education nationale sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy lorsqu’il déclare:

80 000 postes supprimés dans l’Education nationale depuis 2007.

Le candidat socialiste allège le bilan du président sortant sur le nombre de postes de fonctionnaires supprimés depuis 2007. Le rapport de l’Education nationale sur les statistiques indique (page 31) que le nombre des enseignants du public et du privé sous contrat ainsi que le personnel administratif, technique, d’encadrement et de surveillance s’élevait à 1 209 828 en 2007 contre 1 108 217 en 2011. La baisse des effectifs s’élève à 101 611 personnes sur cette période, soit 21 611 personnes de plus que le chiffre annoncé par le prétendant à la présidentielle.

Le candidat socialiste a aussi négligé le poids de l’immigration économique dans son intervention lorsqu’il annonce :

L’’immigration économique, c’est 30 000 par an.

Pourtant, les derniers chiffres définitifs du ministère de l’Immigration pour 2009 indiquent que 19 251 titres de séjour ont été délivrés pour des raisons économiques sur les 187 381 titres de séjour accordés en 2009. Soit 10 749 immigrants pour le travail que François Hollande oublie.

Sur la dette de la France, François Hollande a évoqué principalement deux chiffres durant ce débat :

La dette publique a augmenté de 600 milliards depuis le quinquennat de Sarkozy (…) et elle a augmenté de 900 milliards depuis 2002

Il aurait mieux fait de ne pas citer le deuxième. En effet selon l’Insee, en 2002, la dette de la France s’élevait à 912 milliards d’euros contre 1 717.3 milliards à la fin de l’année 2011 (dernières données disponibles).
Soit une augmentation de la charge de la dette de 817.3 milliards et non 900 comme le sur-estimait le candidat socialiste.

François Hollande a également buté sur le taux de chômage de l’Allemagne. Il l’estimait ce soir à 6.5 %. Des chiffres corrects, mais pas dans le bon ordre : selon Eurostat, l’institut de statistique européen de référence, le taux de chômage en Allemagne s’établissait à 5.6 % en mars 2012 (dernières données disponibles).

Sarkozy embauche des profs

Parmi les incorrections les plus énormes de Nicolas Sarkozy, on trouve cette citation :

Saviez-vous que l’Education nationale c’est la moitié de la fonction publique ?

Un chiffrage auquel le ministère de l’Education nationale est loin de se livrer. Selon des données issues d’un rapport sur les personnels de l’enseignement scolaire, les effectifs de l’éducation nationale s’élevaient à 985 573 en 2009, enseignants et personnels adminsitratifs, techniques et surveillants compris. Un chiffre à comparer avec les 5,298 millions de personnes employées dans la fonction publique au 31 décembre 2009 (dernières données disponibles), d’après le rapport annuel 2010 – 2011 du ministère de la Fonction publique.

Plutôt que de “un sur deux”, le ratio entre personnels de l’Education nationale et fonctionnaires s’affiche donc plutôt au-delà de un sur six.

Au cours de ce débat, Nicolas Sarkozy a également fait preuve de surprenants changements de chiffrage. En témoigne cette assertion sur la “multiplication” de l’éolien sous son quinquennat :

Nous avons multiplié par quatre les énergies éoliennes.

Pourtant, dans une conférence de presse tenue il y a moins d’un mois, le 5 avril, le candidat Sarkozy parlait des énergies éoliennes en ces termes :

Depuis que je suis Président de la République, les énergies renouvelables ont été multipliées par 18 pour l’éolien.

Dans les deux cas, Nicolas Sarkozy se retrouve dans le faux. Et ce, quelle que soit la définition de la “multiplication de l’éolien” retenue.

Pour le nombre d’éoliennes installées sur le territoire français, par exemple, le Syndicat des énergies renouvelables indique que le nombre d’éoliennes installées en France est passé de 1 904 en 2007 à 3 275 en 2010 (dernières données disponibles), soit une multiplication par 1,72.

Autre possibilité : que Nicolas Sarkozy ait voulu s’exprimer sur la progression de la production d’électricité d’origine éolienne en France. le Bilan énergétique de la France pour 2010 publié par le ministère de l’Ecologie et du Développement durable, la production d’électricité par les éoliennes françaises est passée de 4,14 térawatts/heure (TWh) en 2007 à 9,4 TWh en 2010 (dernières données disponibles), soit une multiplication par 2,27.

Introuvable “multiplication par quatre” des énergies éoliennes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, donc.

Nicolas Sarkozy a ressorti un autre de ses chiffres favoris lors de ce débat :

Quel est le pays qui n’a pas un connu un trimestre de récession depuis 2009 ? Y’a-t-il un pays d’Europe, de l’OCDE qui a fait mieux que la France en termes de croissance depuis 2009 ?

D’après les données OCDE, si la France a effectivement connu aucun trimestre de récession depuis 2009 (tout juste, car elle a enregistré 0 % de croissance au second trimestre 2011), elle est loin d’être la seule : la Suisse et Suède étaient également dans ce cas.

Les comparaisons avec nos voisins européens sont restées très prisées du président-candidat lors de ce grand débat. Nicolas Sarkozy n’a ainsi pas hésité à répéter par quatre fois que :

La France est le pays d’Europe avec la Suède qui a les impôts les plus lourds.

C’est un rapport de la Commission européenne sur l’évolution de la fiscalité dans l’Union européenne qui renseigne sur les taux de prélèvements obligatoires harmonisés selon les pays de la zone, le tout en pourcentage du PIB.

Verdict : Nicolas Sarkozy mentionne à juste titre la Suède mais oublie son voisin danois. Avec 50,2% de taux de prélèvements obligatoires en part du PIB en 2009 (dernières données disponibles), le Danemark était en effet le “pays d’Europe” aux “impôts les plus lourds”. Suivi de près par la Suède (49,2%). Et de bien plus loin par la France, dont les prélèvements obligatoires représentaient 42,6% du PIB en 2009.

L’intégralité des données prononcées par les deux finalistes au cours de ce débat sera vérifiée. Et publiée avant le second tour, bien sûr.

Quant au gagnant du second tour, il sera à son tour vérifié pendant cinq ans. Jusqu’au prochain débat de l’entre-deux-tours.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
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Illustrations et couverture par Loguy pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/feed/ 188 Le grand (petit) emprunt (dé)chiffré http://owni.fr/2012/05/02/le-grand-petit-emprunt-dechiffre/ http://owni.fr/2012/05/02/le-grand-petit-emprunt-dechiffre/#comments Wed, 02 May 2012 16:27:39 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=108660 OWNI.]]>

L‘écart entre les deux finalistes se resserre dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude des déclarations chiffrées ou chiffrables des candidats à l’élection présidentielle. En répétant à l’envi des chiffres (corrects) sur le score de ses prédécesseurs à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy gagne deux points en une semaine et atteint 45,6% de crédibilité. Avec 56,3% de crédibilité, François Hollande mène toujours la danse.

Ces dernières 48 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 39 citations chiffrées des candidats retenus au second tour de l’élection présidentielle. Ainsi que leurs argumentaires de campagne, qui regorgent de données. A l’image du tract socialiste décrypté la semaine dernière, OWNI vous propose une analyse de l’un des nombreux chiffres qui ponctuent la Lettre aux Français de Nicolas Sarkozy, celui du montant des “investissements d’avenir”. Et des artifices de communication qui l’accompagnent.

Parlement évincé

Trois ans durant, la communication gouvernementale s’est échinée pour “le vendre”. Lancé en 2009 en pleine période de crise, le “Grand emprunt” fait partie de ces mesures que Nicolas Sarkozy a voulu marquer d’une pierre blanche. Depuis, l’emprunt géant a été rebaptisé “Investissements d’avenir”. Des investissements qui restent un thème central de la “Lettre aux Français” du président-candidat :

Investissements d’avenir 2007 – 2012 : 22 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est plus mesuré. Une plaquette de présentation de son budget pour 2012 mentionne que les investissements d’avenir représentent 20,6 milliards d’euros pour ces deux domaines. Une somme amenée à être répartie par des “opérateurs”, c’est-à-dire des établissements publics parmi lesquels l’Agence nationale de la recherche (ANR), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou encore l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

Premier constat : le Gouvernement se fait très silencieux sur la traçabilité des fonds transférés. D’après l’annexe du Projet de loi de finances (PLF) pour 2012 sur la mise en oeuvre et le suivi des investissements d’avenir :

En 2010, les 35 conventions ont été signées entre l’État et les opérateurs ce qui a permis de transférer l’intégralité de l’enveloppe des 34,64 Md€ [montant total alloué dans le cadre des Investissements d’avenir, NDLR] sur les comptes ouverts au Trésor des opérateurs au 31/12/2010.

Les opérateurs ont donc bel et bien reçu des fonds de la part du Gouvernement sur un compte bancaire, ouvert au Trésor. Mais pour savoir où ces fonds ont été transférés, la situation est plus compliquée. Un an plus tôt, le rapport sur la mise en oeuvre et le suivi des investissements d’avenir, annexé cette fois-ci au PLF 2011, précisait d’ailleurs que :

Les opérateurs (…) assureront la gestion [des crédits] dans la durée, tout au long du processus d’instruction, de sélection des projets, de leur mise en œuvre et de leur évaluation. Il n’y aura donc plus de crédits relatifs aux investissements d’avenir sur le budget de l’État à compter de l’année 2011.

Autrement dit, en votant la loi de finances pour 2011, le Parlement a accepté le versement des fonds sur le compte des opérateurs tout en renonçant à son droit de regard sur la destination de cet argent. Cet état de fait, la Cour des comptes l’a vivement dénoncé dans son dernier rapport sur la gestion budgétaire de l’Etat :

Ce programme exceptionnel [les Investissements d’avenir, NDLR] a été mis en place par l’intermédiaire d’un montage particulièrement hétérodoxe au regard des principes budgétaires. En outre, ces crédits ont été exclus du périmètre sur lequel est apprécié le respect de la norme d’évolution des dépenses de l’État. Ainsi conçu, le mécanisme des investissements d’avenir affectera durablement la lisibilité du solde budgétaire.

Au rang des problèmes induits par ce manque de transparence vient d’abord le financement de projets anciens par de nouveaux moyens. Des moyens, écrit la Cour des Comptes, qui financent parfois “des opérations antérieurement annoncées mais qui n’avaient pas obtenu de financements” et même qui remplacent “des crédits budgétaires annulés en gestion 2010 ou devant être réduits en 2011″.

L’absence de contrôle par le Parlement des crédits alloués pose également un problème d’équité territoriale. Le Programme “Investissements d’avenir” prévoit en effet de créer “5 à 10 initiatives d’excellence”. Soit 5 à 10 pôles sur le territoire métropolitain, concentrant une université, des centres de recherche et des entreprises.

Extrait de la plaquette du grand emprunt (cliquez our télécharger le PDF)

Extrait de la plaquette Grand emprunt (cliquez sur l'image pour télécharger le PDF)

Une situation décriée par le collectif “Sauvons l’université”, dans une lettre parue le 22 juin 2011 :

Est-il légitime, sans aucune consultation politique, de sélectionner une poignée de ces universités pour leur donner moyens et notoriété aux dépens des autres établissements de même nature ? (…) Telles sont les questions que la procédure du Grand Emprunt permettait soigneusement d’éviter. Des appels d’offre – à l’apparence objective et aux allures d’élitisme républicain – sont venus se substituer à une consultation nationale sur le rôle de l’Université ainsi que sur son implantation territoriale.

Des milliards pas encore dépensés

Au-delà de la traçabilité des crédits, c’est la nature même des fonds alloués qui pose question. Sur les 34,64 milliards d’euros que représentent les investissements d’avenir, une partie importante – 15,03 milliards – est en effet non consommable. En d’autres termes, l’Etat a placé cette somme sur un compte bancaire et seuls les intérêts issus de ce placement pourront être “consommés” par les opérateurs. Le tout, à un taux de 3,4 %.

Se défendant de spéculer sur les marchés financiers, le Gouvernement se montrait à l’époque très optimiste. Il tablait alors, comme l’indique le rapport du sénateur Philippe Marini daté du 9 février 2010, sur un déblocage de fonds issus du Grand emprunt de l’ordre de :

4 milliards d’euros par an de 2010 à 2014.

Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’occasion du Conseil des ministres du 25 avril dernier, François Fillon a affirmé que dans le cadre du Programme “Investissements d’avenir” :

Près de 900 projets ont été sélectionnés à ce stade, pour plus de 25 Md€ d’engagements.

25 milliards d’euros engagés. Mais pas décaissés. C’est-à-dire toujours en sommeil sur des comptes bancaires.

Selon un rapport parlementaire sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur publié en décembre dernier, seul 1,6007 milliard d’euros avait été effectivement décaissé au titre des “Investissements d’avenir” au 30 septembre 2011. Contacté par OWNI, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’a pas été en mesure de fournir de données plus récentes.

Les “22 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche” vantés dans la Lettre aux Français s’en trouvent, quoiqu’il en soit, nettement nuancés.


Illustration véritomètre par Loguy pour Owni /-) Illustration grand emprunt par Jean Carlu via la galerie Flickr de Kitchener Lord [CC-byncnd]

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http://owni.fr/2012/05/02/le-grand-petit-emprunt-dechiffre/feed/ 6
Crédibilité: Hollande 56% Sarkozy 44% http://owni.fr/2012/04/29/credibilite-hollande-56-sarkozy-44/ http://owni.fr/2012/04/29/credibilite-hollande-56-sarkozy-44/#comments Sun, 29 Apr 2012 09:39:57 +0000 Marie Coussin http://owni.fr/?p=108369 OWNI ont vérifié 132 déclarations chiffrées de Nicolas Sarkzoy et François Hollande prononcées au cours de leurs derniers débats ou discours. Voici le bilan détaillé de leurs erreurs et approximations. En passant par l'Espagne et le RSA (pour lequel les deux se trompent). Au classement de crédibilité OWNI i>Télé, François Hollande creuse l'écart avec Nicolas Sarkozy, avec 56% de déclarations exactes contre 44% pour le président sortant.]]>

Depuis quelques jours, les deux candidats, Nicolas Sarkozy et François Hollande abreuvent à nouveau leurs discours ou interviews de références chiffrées. Avec un sens de l’exactitude très relatif. Au classement du Véritomètre, l’application web qui vérifie l’exactitude des déclarations chiffrées des deux candidats à la présidentielle, l’écart se creuse : François Hollande reste en tête avec 56 % de crédibilité, quand Nicolas Sarkzoy se situe à près de 12 points derrière lui, à 44,3 %.

Durant cette dernière semaine, l’équipe du Véritomètre a vérifié 132 citations chiffrées de ces deux candidats. Résumé des quelques faits qui ont retenu notre attention (l’intégralité des 132 vérifications est accessible ici, sur les pages du Véritomètre).

Le président et son bilan

Les Français ont été mieux protégés de la crise que leurs voisins européens : c’est l’un des arguments phare de la campagne de Nicolas Sarkozy. Sauf qu’il exagère parfois nettement l’impact de ses mesures. Ainsi affirmait-il sur France Info le 25 avril :

Le RSA a permis à 600 000 familles de sortir de la pauvreté.

Faute de référent clair, la “pauvreté” évoquée par Nicolas Sarkozy correspond sans doute aux personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté – fixé à moins de 60 % du revenu national médian, soit 956 euros en 2010. Selon le rapport final du Comité national d’évaluation du RSA publié en décembre 2011, 78 000 foyers ont dépassé le seuil de pauvreté en raison de l’apport induit par le RSA.
Le candidat de l’UMP prend donc de fortes libertés avec les chiffres, en multipliant par 7,7 le nombre de familles sorties de la pauvreté grâce au RSA.

Autre exagération sur une autre radio du service public. Jeudi 26 avril, invité de la matinale de France Inter, Nicolas Sarkozy évoque son bilan en matière de retraites :

J’ai veillé à augmenter la pension de réversion, qui avant que je ne sois Président de la République était à 54 % et qui maintenant est à 60 %.

Pas tout à fait : la pension de réversion correspond à la fraction de la pension qu’un(e) retraité(e) peut toucher à la mort de son(sa) conjoint(e). Comme l’indique le Haut conseil à la famille dans une note du 8 juillet 2010, le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 a institué une hausse dans le montant de la pension de réversion du régime général, qui est passée de 54 à 60 % du montant de la pension du conjoint décédé. Si ce taux de 60 % a été effectivement atteint le 1er avril 2012, comme le précise le site Internet du ministère du Travail, cette majoration n’est accessible qu’à certaines conditions : pour les personnes de 65 ans et plus et ne touchant pas plus de 841,45 euros de réversion par mois. Au-delà de ce montant, la majoration de la pension de réversion est diminuée proportionnellement, ce qui implique que tous les retraités ne profitent pas d’une majoration à “60 %”.

La formulation utilisée par Nicolas Sarkozy est floue : elle sous-entend que la pension de réversion a été “augmentée” pour tous les retraités, alors que seule une part d’entre eux profite effectivement de cette majoration.

François Hollande taxe Nicolas Sarkozy

Le candidat socialiste s’est attaqué à l’une des promesses de Nicolas Sarkozy en 2007, qui consistait à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires durant son quinquennat. François Hollande comptabilise cependant, lors de son passage à “Des paroles et des actes” sur France 2 le 26 avril :

Y’a eu 40 taxes qui ont été créées [par le Président sortant].

Nos confrères du Monde ont recensé, dans un article datant du 25 octobre 2011, le nombre de taxes créées, de hausses de taxes et de niches fiscales supprimées durant le mandant de Nicolas Sarkozy. Pour ce qui concerne les taxes uniquement, ils arrivent à un total de 31, y compris en comptant les taxes votées mais non encore appliquées (comme l’éco-taxe poids lourds qui sera généralisée dans tout le pays en 2013). Il reste encore un peu de marge avant d’atteindre le nombre de 40 taxes créées.

Décidément, le RSA ne réussit pas aux candidats. Alors que Nicolas Sarkozy exagérait considérablement le montant des personnes sorties de la pauvreté grâce à cette mesure, François Hollande surestime le montant de cette allocation, ou tout du moins manque de précision dans sa formulation. Il évoquait, toujours à “Des paroles et des actes” :

Le RSA, c’est 700 euros.

Or, comme de nombreuses allocations, le montant du RSA est calculé en fonction de la situation familiale des personnes. Selon les montants valables pour 2012 publiés sur le site Internet de la CAF, une personne en couple avec un enfant ou une personne seule avec deux enfants vont effectivement toucher 712,40 euros, mais une personne en couple peut monter jusqu’à 997,36 euros alors qu’une personne seule sans enfant ne touchera que 474,93 euros. Les propos de François Hollande sont donc imprécis car ils supposent que l’allocation du RSA est de 700 euros pour tout personne bénéficiaire.

Le retour des favoris

On pourrait l’appeler le “kit-chiffres de survie” ou le “set des données chéries”. Tant le candidat PS que le candidat UMP ont leur série de démonstrations chiffrées favorites, qu’ils ont ressortie très régulièrement pendant la première semaine de l’entre-deux-tours.

Le candidat socialiste a ainsi évoqué à Lorient le 23 avril, sur TF1 le 24 avril ou encore lors de l’émission “Des paroles et des actes” sur France 2 le 26 avril :

“Il (Nicolas Sarkozy) avait dit que si le chômage atteignait 5 % c’était la réussite de son quinquennat, c’est le double (…) il laisse un pays avec un taux de chômage de 10 % de la population active.

Les dernières données publiées par Eurostat, l’institut de statistiques européen, donnent raison au candidat socialiste : en janvier et février 2012, le taux de chômage en France s’établit à 10,0%.

Durant cet entre-deux-tours, Nicolas Sarkozy parle beaucoup de l’Espagne, incarnation, dans son argumentaire, de ce qu’aurait pu être la France sans sa présence à l’Élysée pendant la crise.

Il évoque ainsi, à Saint-Cyr-sur-Loire, le 23 avril :

220 % d’augmentation du chômage chez nos amis espagnols après sept années de gouvernement socialiste.

Invité des “Quatre vérités” sur France 2 le 24 avril :

Savez-vous combien de chômeurs en Espagne ? 23 %.

Lors du JT de 20 heures de TF1 le 25 avril :

Monsieur Zapatero, qui vient d’appeler à voter pour M. Hollande, 220 % d’augmentation (du chômage) en Espagne.

Et à “Des paroles et des actes” sur France 2 le 26 avril :

22 % de chômage [en Espagne].

Or, la réalité du chômage en Espagne décrite par les données officielles est légèrement différente de celle assénée à longueur de discours par Nicolas Sarkozy. Eurostat publie pour le mois de février 2012 un taux de chômage de 23,6 % en Espagne.

De plus, José Luis Zapatero, Premier ministre du Parti socialiste espagnol a été élu en mars 2004. Après un renouvellement, son mandat s’est terminé le 21 décembre 2011. Selon les données d’Eurostat, le taux de chômage harmonisé en Espagne est passé de 11,2 % en mars 2004 à 23 % en décembre 2011, soit une augmentation de 105,4 %. Même si la hausse du chômage en Espagne entre 2004 et 2007 est considérable, elle est donc loin de 220 %.

L’écart des résultats

Les deux candidats ont également régulièrement commencé leurs discours ou interviews par des calculs ou analyses faites sur les résultats du premier tour, comme “La Gauche est à son plus haut niveau depuis très longtemps, 44 %. ou encore presque “18 % (de suffrages exprimés en faveur) de Marine Le Pen (…) c’est 6 millions et demi de Français”.

Les résultats officiels étant publiés par le ministère de l’Intérieur, on ne s’attendait guère à trouver des incorrections dans ces citations. Et pourtant, un abus de langage peut jouer des tours, comme pour le candidat de l’UMP lors de son discours de Saint-Cyr-sur-Loire le 23 avril :

les Français sont allés voter à plus de 80 %.

Un “plus de” de trop : les résultats officiels publiés par le ministère de l’Intérieur évoque un taux de participation au premier tour de 79,47% des inscrits.

Ou un excès de zêle pour décrire la situation de son adversaire, comme François Hollande à Paris, le 25 avril :

Le candidat sortant qui arrive cinq points en-dessous de ce qu’avait été son résultat en 2007.

Toujours selon les données officielles du ministère de l’Intérieur en 2007, Nicolas Sarkozy avait obtenu 31,18 % des suffrages exprimés contre 27,18 % au premier tour de l’élection présidentielle 2012, soit une différence de 4 points.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Illustrations et couverture par Loguy pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/04/29/credibilite-hollande-56-sarkozy-44/feed/ 16
Hollande Sarkozy Internet compatibles http://owni.fr/2012/04/26/hollande-sarkozy-internet-compatibles/ http://owni.fr/2012/04/26/hollande-sarkozy-internet-compatibles/#comments Thu, 26 Apr 2012 18:03:26 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=108181

“Mais au fond, qu’est-ce qui vous oppose ?” La question s’est imposée au terme d’un débat organisé aujourd’hui entre Fleur Pellerin et Nicolas Princen. À l’invitation du Collectif du numérique, groupement de 21 associations et syndicats du secteur, les e-cautions de François Hollande (pour l’une) et Nicolas Sarkozy (pour l’autre) ont défendu le programme de leur poulain sur Internet. Sans qu’apparaissent des lignes de fracture réelles.

Consensus apparent

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Tout deux se sont d’abord accordés sur “l’importance du numérique” – d’usage. À les en croire, Internet “infuse dans tout le programme de François Hollande” d’un côté, tout en étant au cœur d’un “investissement personnel fort de Nicolas Sarkozy” de l’autre.

Même consensus sur le fond, dominé par des échanges portant sur l’économie, l’éducation et la formation. Favorables à la constitution d’un écosystème numérique compétitif, fondé sur le soutien aux PME (Petites et Moyennes Entreprises), Fleur Pellerin et Nicolas Princen ont également plaidé en faveur de l’enseignement d’Internet dès le lycée. “Il faut aider [les élèves] à coder et décoder cet univers” a indiqué la responsable socialiste, que son rival n’a pas cherché à contredire, ajoutant que la formation constituait le “projet central de Nicolas Sarkozy”.

Divergences

Les silences ont été les premiers révélateurs des divergences. Grande oubliée du débat, la question de la liberté sur Internet a ainsi été évacuée par l’ancien conseiller Internet de l’Élysée. Pas un mot sur le filtrage, le traité Acta ou la surveillance, quand la responsable PS a rappelé l’attachement de son parti aux questions de neutralité du réseau ou de protection des données personnelles sur Internet. Fleur Pellerin a ainsi évoqué le projet d’institution d’un “Habeas corpus numérique”, pierre angulaire du projet numérique de François Hollande.

L’intervention de Nicolas Princen n’a pas débordé le cadre fixé par le Collectif du numérique autour de “l’innovation, la compétitivité, la croissance et les emplois”. Pourtant, dans sa réponse au questionnaire adressé quelques semaines plus tôt par ce même collectif, l’équipe de Nicolas Sarkozy avait fait le choix d’aborder des sujets annexes à l’économie, telle que la sécurité sur Internet.

Soulevée par une intervention du public, la question a mené Fleur Pellerin à dénoncer la vente de technologies de surveillance “à des dictatures” par des entreprises françaises, quand Nicolas Princen s’est contenté de saluer “l’existence de champions nationaux” dans ce domaine à fort “enjeu stratégique.”

Tranchées

Il aura finalement fallu attendre la dernière question (“Mais au fond, qu’est-ce qui vous oppose ?”) pour voir les débats s’animer et les tranchées se creuser. Fleur Pellerin a fait valoir la “une vision d’Internet” différente, estimant que dans le cas de Nicolas Sarkozy, le réseau demeurait “une zone de sauvageons, de pirates et de terroristes en puissance.” “La cybercriminalité existe” a répliqué Nicolas Princen, affirmant qu’il ne fallait pas “nier” le problème du terrorisme sur Internet et tâclant sa rivale sur son manque d’expérience : “vous n’avez peut-être pas suivi l’actualité du numérique comme j’ai pu le faire ces dernières années.”

L’occasion d’évoquer l’autre grande absente du débat : Hadopi. Un sujet dont on a déjà trop parlé au détriment d’autres plus intéressants” a déploré Fleur Pellerin. “Nous n’avons toujours pas compris ce que vous vouliez faire dans ce domaine” s’est empressé de rétorquer Nicolas Princen, pointant du doigts les errements du candidat socialiste concernant le sort à donner à la Haute autorité.

Saluant la qualité du débat, certains membres du Collectif numérique ont néanmoins indiqué “rester sur leur faim” :

“Il faut que les candidats l’intègrent à leur discours. Tant qu’il n’y aura pas appropriation, cela ressemblera à une déclaration d’intention.”

Et c’est là que le bât blesse. Au-delà de la compétence et de l’enthousiasme des personnes en charge du numérique, joue aussi et surtout leur capacité à influencer les présidentiables en personne. Or François Hollande et Nicolas Sarkozy ne se sont pas positionnés sur Internet durant cette campagne. Et un intervenant de conclure : “je pense qu’on aura un Président numérique dans 40 ans.” Pas avant.


A lire sur le sujet : Partis en ligne. Les politiques attaquent Internet
Photo par Ophelia Noor pour Owni

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Candidat Nicolas Président Sarkozy http://owni.fr/2012/04/26/candidat-nicolas-president-sarkozy/ http://owni.fr/2012/04/26/candidat-nicolas-president-sarkozy/#comments Thu, 26 Apr 2012 13:23:14 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=107851

“C’est plus un sujet président qu’un sujet candidat.” L’expression, que nous a adressée un membre de l’équipe de Nicolas Sarkozy, résume bien l’étrange schizophrénie qui a traversé la campagne de ce dernier. Côté pile, il y a Nicolas Sarkozy Président de la République. Côté face, Nicolas Sarkozy candidat. Deux visages d’un drôle de Janus que le droit électoral tente d’identifier et de distinguer, afin “de veiller au respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne.” Avec plus ou moins de succès.

Double face 2012

La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

La distinction n’est pas aisée. Sur les sujets numériques, l’exercice a pris des allures de casse-tête. Pénalisation de la consultation des sites terroristes ? Sujet Président, nous informe son équipe. L’avenir d’Hadopi ? Sujet candidat avec des petits bouts de Président à l’intérieur. Et il y a plus subtil. Ainsi quand le fondateur de Twitter Jack Dorsey passe à Paris en mars dernier, il rend à la fois visite au chef de l’État et au candidat en campagne. Le site de l’Élysée s’occupant de relayer un communiqué officiel d’un côté, les communicants du candidat alimentant les comptes Facebook et Twitter dédiés à la campagne de l’autre. Quitte à s’emmêler les pinceaux en faisant campagne… au sein même du Palais présidentiel !

“Instantané de campagne: rencontre avec Jack Dorsey, fondateur de Twitter, au Palais de l’Elysée.”

(Légende d’une photo de la rencontre postée sur le compte Facebook de Nicolas Sarkozy)

Un gloubi-boulga qui se corse quand les anciens conseillers du Prince migrent de l’Élysée au QG, tout en assurant le suivi des affaires courantes. Olivier Henrard (conseiller culture) et Nicolas Princen (conseiller Internet) animent par exemple les thématiques numériques du candidat Nicolas, tout en assistant toujours à des réunions du Président Sarkozy.

Le cul entre deux chaises, trône et siège éjectable, Nicolas Sarkozy n’a cessé de balancer entre son costume régalien et ses habits de conquête durant cette campagne, bien au-delà de la seule thématique numérique : la “parenthèse” électorale qui a suivi la tragique affaire Merah en est la preuve la plus criante. “Le problème c’est que le Président est élu pour un certain temps, qui comprend le temps de la campagne” commente Stéphane Beaumont, professeur de droit constitutionnel à l’Université des sciences sociales de Toulouse. Et que la continuité de l’État doit être assurée.

“Mêmes facilités pour la campagne”

Une ambiguïté qui ne poserait pas tant de problèmes si le droit ne s’était fixé pour objectif de “veiller au respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne.” Sur son site, le Conseil constitutionnel n’y va pas par quatre chemins, abordant la question de front dans sa FAQ : “les candidats exerçant une fonction officielle ne disposent-ils pas d’avantages indus ?” Que nenni répondent les Sages, dans la mesure où la loi s’assure que “tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle.” Reste à identifier ces “facilités”, en particulier dans le cas du candidat qui garde un pied à l’Élysée.

Or en l’occurrence, difficile d’obtenir une réponse claire. La gardienne de ce principe est la Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), cénacle composé de membres du Conseil d’État, des Cours des Comptes et de Cassation, installée le temps de la campagne pour en assurer le bon déroulement. A plusieurs reprises, nous avons fait appel à ses lumières, histoire de savoir si Nicolas Sarkozy et ses équipes s’exposaient à une sanction en confondant fonctions présidentielles et électorales. Et si l’emploi des salles et communiqués de l’Élysée rentrait dans la case des “facilités”. Sans grande réussite : le rapporteur général de la Commission Jacques-Henri Stahl n’a pas donné suite à nos appels. L’un des responsables des services administratifs a toutefois fini par nous répondre, nous indiquant avec difficulté que “rien n’[était] remonté des autres candidats” sur le sujet. La procédure ne peut donc pas s’engager. Elle ne s’enclenche que si la commission “considère comme irréguliers des faits ou des agissements portés à sa connaissance”, écrit le Conseil Constitutionnel.

La CNCCEP a un rôle de passeur, elle n’a aucun pouvoir de sanction. En cas de signalements suspects, elle doit “transmettre d’office” le dossier à une seconde commission, à l’acronyme tout aussi étriqué : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Car en matière de droit électoral, c’est d’abord le porte-monnaie qui trinque. Et c’est la commission des comptes de campagne qui actionne le couperet financier, évaluant si les irrégularités constatées sont “susceptibles d’affecter le compte de campagne du candidat concerné.”

En d’autres termes, si les candidats sortent des clous, le juge va d’abord chercher à évaluer si cela a un coût. Or dans le cas d’une éventuelle inéquité en faveur du Président sortant, ainsi la réception d’une personnalité comme Jack Dorsey à Élysée en période de campagne, également reçu dans les QG des outsiders François Bayrou et François Hollande, “rien ne prouve qu’il ait coûté quoi que ce soit en termes pécuniaires”, explique un spécialiste du droit électoral interrogé par OWNI. Si ce n’est “des petits fours pour la réception de ‘Jack’.”

Plus encore, rien ne prouve que ce mélange des genres, dont les Sages tentent pourtant de se préserver, ne constitue un avantage électoral. Pour trancher ce second aspect, le juge se pose une deuxième question : le président-candidat l’aurait t-il fait en d’autres circonstances ? “Si l’action de l’élu candidat s’était déroulée même en l’absence de campagne électorale, alors c’est une opération de communication politique mais pas nécessairement -ou pas principalement- électorale. Si à l’inverse, elle est guidée par des considérations liées à la campagne, alors elle est électorale” poursuit notre expert, qui souhaite garder l’anonymat. Le traitement égalitaire des candidats est donc subordonnée à l’appréciation des juges :

Ça dépend ! Du contexte, de la prestation, du support…

Leurre

Pour Philippe Blanchetier en revanche, l’avocat qui représente Nicolas Sarkozy devant le Conseil Constitutionnel et les commissions de contrôle -également membre de l’association en charge du financement de sa campagne-, les termes se posent plus simplement. Le principe d’égalité de traitement des candidats ne renvoie selon lui qu’à “l’égalité médiatique et l’égalité de financement : chaque candidat dispose du même temps de parole dans l’audiovisuel et du même plafond en campagne”. En dehors de ces considérations, le principe ne joue pas et “l’étanchéité a été faite” :

il n’y a aucune interférence entre les fonctions.

Dans le cas des conseillers de campagne passés par l’Élysée, l’avocat nous explique qu’une partie est en “disponibilité de l’Elysée” : ils dépendent désormais de l’association de financement pour la campagne de Nicolas Sarkozy. D’autres en revanche restent “en double poste.” Le calcul se complique alors, puisque leurs activités sont alors à la fois prises en charge par l’association et par Élysée. Simple question de pro rata.

D’autres juristes se font en revanche moins catégoriques, estimant que la confusion des rôles présidentiels et électoraux devraient davantage entrer dans le giron du droit, au-delà des seuls aspects financiers et médiatiques. En particulier sur Internet, où de nouvelles formes de communication apparaissent, sans que les gardiens de l’élection aient le temps de s’adapter. Le tollé provoqué par l’annonce anticipée des résultats du premier tour sur Twitter en est la dernière preuve. “On est confronté à des difficultés”, finit-on par lâcher du côté du CNCCEP. “On fait avec les textes qu’on a ! En 2007, seules 200.000 personnes étaient sur les réseaux sociaux !”
En théorie, le principe d’égalité, et en particulier le devoir de neutralité auquel “tout service officiel de communication est [...] légalement astreint” devraient également se déployer sur le réseau. En théorie seulement.

Ce qui pousse certains à la conclusion que le principe d’égalité est au mieux un mirage, au pire une vaste hypocrisie. “Il est impossible de l’obtenir”, concède Stéphane Beaumont. “On a simplement une législation pour éviter les excès.” En ce sens, l’égalité de traitement est plus “un objectif à atteindre” qu’un “fait à constater” ajoute notre spécialiste en droit électoral. De même, “on ne peut nier que la personne qui détient un mandat ou une fonction est plus ‘visible’ – essentiellement par l’intermédiaire des médias – que celle qui n’en détient pas”, poursuit-il. Une prime au sortant bien réelle mais qui n’est pas forcément synonyme de victoire : de la Présidence de la République aux plus petites mairies, les candidats à leur réélection n’ont pas systématiquement (re)décroché la timbale.

Il n’empêche qu’elle reste le joker, difficilement quantifiable, du président sortant. Qui peut aboutir à des situations ubuesques : revenant sur l’affaire Merah, Stéphane Beaumont critique l’artifice des parenthèses alors mises en place pour distinguer la parole présidentielle de la parole du candidat :

Les parenthèses sont illusoires car Nicolas Sarkozy était plus que jamais dans le champ de l’autorité politique, face à quelqu’un qui a violé la Constitution et les droits élémentaires de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Pour le juriste, “l’idéal serait de trouver un autre système”. “Par exemple que la Constitution prévoit le remplacement du Président de la République par le Président du Sénat”, dès que le premier se lance en campagne. Histoire de couper court à toute ambiguïté. Et mettre un terme à ce grand jeu de dupes.


Illustration originale par Hossam Et Hamalawy [CC-bync] Remix par O. Noor pour Owni /-)

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Le meilleur du pire des dépenses de l’Elysée http://owni.fr/2012/04/24/le-meilleur-du-pire-des-depenses-de-lelysee/ http://owni.fr/2012/04/24/le-meilleur-du-pire-des-depenses-de-lelysee/#comments Tue, 24 Apr 2012 12:44:26 +0000 Loguy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=106927 OWNI a dessiné un quinquennat d'explosion des dépenses de l’Élysée, à partir du dernier livre de René Dosière L'argent de l’État : augmentation faramineuse des dépenses de communication et de déplacements, salaires qui ne connaissent pas la crise, etc. Une infographie très bling bling. ]]>

De même que monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le député René Dosière fait de l’open data sans le savoir. Cet élu de l’Aisne apparenté socialiste s’est fait une spécialité d’aller fouiner dans les comptes obscurs de l’État français. Il y a consacré deux ouvrages, dont le dernier en date L’argent de l’État est paru au mois de février. Ce travail de longue haleine lui a au passage permis de sortir de son anonymat de parlementaire provincial.

Tout journaliste avec une fibre data ressent un triple sentiment à sa lecture. Le premier, de la joie mêlée d’admiration : à force d’opiniâtreté, René Dosière a récupéré une foule de chiffres d’intérêt public sur la façon dont le Président de la République et le Premier ministre gaspillent gèrent leur budget. Entre 2002 et 2012, il a posé plus de 400 questions. Il lui aura fallu quatre ans pour connaitre le coût réel de la garden party. Certes, il ne consacre pas tout son temps à ça, mais ce délai est symptomatique d’une tendance à trainer les pieds quand il s’agit de répondre à certaines questions.

Le second, de l’énervement : comment l’ouvrage peut-il ne pas contenir la moindre visualisation de données et se contenter d’une poignée de tableaux peu attrayants ? Le troisième, c’est de la joie tout court : chouette j’ai un merveilleux graphiste pour me mettre tout ça en images. À partir des principaux chiffres issus du livre, Loguy a tiré un joli poster : on a augmenté René Dosière.

Si cette infographie vous déprime, consolez-vous : la législation en matière de transparence du budget de l’État s’est un peu renforcée ces dernières années.


Illustration et design par Loguy pour Owni /-)

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Les mauvais chiffres du premier tour http://owni.fr/2012/04/22/les-gamelles-chiffrees-du-premier-tour/ http://owni.fr/2012/04/22/les-gamelles-chiffrees-du-premier-tour/#comments Sun, 22 Apr 2012 18:38:06 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=107408 OWNI en partenariat avec i>TÉLÉ. ]]>

Lancé en partenariat avec i>TÉLÉ pour vérifier les déclarations chiffrées des six principaux candidats à l’élection présidentielle, le Véritomètre a vu voltiger des centaines statistiques en deux mois de factchecking. Après ce premier tour, nous vous livrons un condensé des plus grosses erreurs des prétendants à l’Élysée, rangées par type de bourdes. Un panorama synthétique des libertés prises avec les statistiques officielles au travers duquel perce, peut-être, une certaine vision des Français et du genre de pilule que les équipes de campagne veulent leur faire avaler. Expliquant, peut-être, les surprises des résultats du suffrage de ce dimanche.

L’arrondi qui tue

Parmi les reproches les plus courants que nous ont adressés les membres des équipes de campagne des candidats, il y a la question des arrondis : selon eux, nous étions “trop sévères” avec les pauvres politiques essayant par un gros chiffre qui tombe juste de faire la démonstration que la France va mal. Une remarque étonnante, surtout venant d’un candidat comme François Bayou, lequel a fait du “discours de vérité” le point d’orgue de sa communication politique. Champion du redressement des finances publiques, c’est pourtant le même candidat du Modem qui sous-estimait de 8,7% le budget de l’Etat un matin sur Europe 1 :

L’argent que dépense l’État, les collectivités locales et la Sécu, c’est 1000 milliards, 1000 fois 1000 millions par an.

L’estimation était révisée à la hausse de 5% par le même candidat, trois semaines plus tard sur RTL cette fois-ci :

La France dépense un peu plus de 1000 milliards de dépenses publiques par an, mettons 1050 milliards.

Le vrai chiffre est encore 44 milliards au dessus : 1094 milliards d’euros en 2011 selon l’Insee. Cet arrondi serait, nous a-t-on assuré dans l’entourage du candidat, “au service d’une démonstration”. Mais pourquoi, alors, François Bayrou reproche-t-il quelques dizaines de milliards de surcoût dans le programme d’un de ses concurrents quand lui-même en oublie une centaine ?

À ce petit jeu, le président sortant lui-même a fait très fort puisque la première mesure de sa campagne, présentée en direct sur TF1 le 15 février, s’appuyait, elle-aussi, sur un chiffre incorrect mais bien rond :

Aujourd’hui, il y a seulement 10 % des chômeurs qui sont en formation.

Pointilleuse, notre équipe de data-journalists s’est penchée sur les derniers chiffres disponibles du ministère du Travail : vieux de 2009, ils indiquaient seulement 8% de demandeurs d’emplois en formation, soit 20% de moins qu’annoncés par le chef de l’État. Un arrondi, nous ont reproché de nombreux internautes, trouvant ce “0% de crédibilité” injuste pour “2%” de plus. Pourtant, ces deux points de chômeurs en formation représentent la modeste foule de 140 000 et quelques demandeurs d’emplois non inscrits à des formations, soit l’équivalent de l’agglomération de Clermont-Ferrand.

Derrière des arguments de forme, selon lesquels il serait trop long de donner “le chiffre complet”, se cache plus souvent le désir d’un “bon chiffre”, frappant l’esprit au détour d’une phrase et facile à mémoriser.

Question d’échelle

Mais il n’y a pas que dans les chiffres que la recherche du raccourci fait des ravages. À cause d’une mauvaise documentation, les candidats ont parfois énoncé des énormités y compris sur leur propre domaine d’expertise. Par exemple, ce n’est pas sur l’immigration ou la sécurité qu’Eva Joly nous a offert sur Canal + son plus gros écart, mais sur le logement, un des points phares de son programme :

Il y a 2 millions de logements vacants en région parisienne.

Le chiffre officiel le plus récent que nous ayons trouvé fait en réalité état de… 329 000 logements vides en Île-de-France ! Il existe bien deux millions de logements vides, mais dans toute la France.

De son côté, le candidat de l’UMP s’avançant sur le terrain des énergies vertes a de beaucoup surestimé les investissements dans la filière renouvelable lors de la conférence de presse de présentation de son programme :

Vous dites qu’on a bien du mal à affecter le chantier éolien. Ah bon ? Le chantier éolien c’est 12 milliards d’euros.

Avec un tel budget, les rotors auraient remplacé les réacteurs nucléaires sur les côtes normandes. Sauf que, s’il y a bien 12 milliards d’euros d’investis dans l’énergie éolienne, ce n’est pas en France, mais dans toute l’Europe ! Et le chiffre ne vient pas d’un obscur think tank mais du ministère de l’Écologie lui-même (lequel sous estimerait légèrement l’effort financier, selon le groupement des industriels européens du secteur). En réalité, c’est plutôt 1,2 milliard d’euros qui auraient été injectés par la France dans l’éolien, là où l’intégralité des investissements n’ont atteint depuis la première éolienne en 1991 que 7,164 milliards.

Derrière ces énormités, le raccourci semble évident : un gros chiffre trouvé au détour d’un rapport, mettant en valeur un atout ou une faiblesse structurelle. Las, pas le temps dans une interview ou un discours de finasser.

Sauf que ce sont généralement dans des sujets de niche que les terminologies sont les plus importantes : quand François Bayrou prétend qu’il ne subsiste que 100 000 emplois dans la “filière textile” dans Des paroles et des actes avant de parler du “sportswear”, il ne semble pas savoir que l’on ne parle de “textile” que pour les métiers de préparation du tissu et que “l’habillement” est, au sein des instances représentatives de ces industries, compté totalement à part. Et que, loin de ces 100 000 salariés, ils n’étaient déjà plus que 70 527 à travailler à la préparation des tissus en France en 2010.

Des chômeurs toujours prêts à rendre service

Mais les candidats font souvent mine de ne pas comprendre un sujet bien moins pointu et étroit que l’industrie des tissus : les questions d’emploi. Alors que le chômage est l’une des principales préoccupations des Français et qu’il constitue un sujet de débats permanents entre le sortant et les prétendants, aucun des candidats n’a pris le temps de décrire les différentes catégories de demandeurs d’emplois, à la notable exception de François Bayrou qui évoquait à Perpignan :

Un pays qui a presque 5 millions de chômeurs à temps complet ou à temps partiel.

À d’autres reprises, le candidat du Modem et ses concurrents n’ont pas eu ce soucis de précision. Entre les cinq catégories de demandeurs d’emplois, désignées par les lettres A à E (A, désignant les personnes sans aucune activité, B et C avec une activité partielle et D et E, ceux n’étant pas inscrit au début ou à la fin du mois à Pôle emploi), il leur est arrivé même de jongler dans une même intervention ! Sur TF1, le 27 février, François Hollande tire ainsi un bilan quelque peu réducteur du chômage :

dans une période de chômage, telle que nous la connaissons, trois millions de chômeurs

Par “bonne foi”, l’équipe des vérificateurs d’OWNI a considéré qu’il fallait vérifier une déclaration en supposant que le candidat se rangeait à la définition du chômage la plus proche du chiffre avancé, en l’occurrence, de la catégorie A des chômeurs à temps plein qu’il surestimait d’un peu moins de 5%… mais cinq minutes plus tard, il change de définition pour critiquer le bilan du président sortant :

Avoir eu pendant le dernier quinquennat un million de chômeurs supplémentaires, c’est un échec.

Y avait-il seulement deux millions de chômeurs sans activité en 2007 ? On en est loin : selon la Direction des études statistiques du ministère du Travail (Dares), l’augmentation n’a pas dépassé les 750 000. En revanche, ce chiffre est bien atteint pour une autre définition du chômage (catégorie A, B et C).

De l’Outre-Mer à l’oubli

Les chiffres officiels du chômage contiennent en eux-même un biais considérable : ils écartent purement et simplement les départements d’Outre-Mer ! Les chiffres de la Dares pour février 2012 recensent ainsi 4 278 600 demandeurs d’emplois de catégorie A, B et C en métropole. Mais ils sont 4,47 millions en comptant les chômeurs de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion, soit près de 270 000 de personnes ignorées par la statistique de référence !

Dans la dernière île seulement, le Pôle emploi recense 20 200 inscrits, soit plus que dans toute la région Poitou-Charentes pour une population de 60% inférieure. Épisode pittoresque par excellence des tours de France des candidats, le passage par les départements ultra-marins (notamment les Antilles) ne laisse généralement que peu de souvenirs dans les chiffres évoqués en métropole. Loin des yeux, loin du coeur, deux mois après avoir rendu visite aux Français des Caraïbes, François Hollande les oubliait déjà pour flatter les jeunes réunis autour de lui à Bondy pour son discours du 16 mars :

La Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France.

Entre l’Atlantique et la Méditerranée, l’Insee donne raison au candidat socialiste : avec 440 865 habitants de moins de 20 ans en 2010 sur 1,527 million d’habitants, la Seine-Saint-Denis détient le taux record de 28,86% de jeunes. Mais seulement en métropole. Car, un océan plus loin, tous les territoires français affichent une population plus jeune encore : 29,5% de moins de 20 ans en Guadeloupe, 34% à la Réunion et, record de la France entière, 44,4% pour la Guyane. Un record auquel s’ajoute un taux de chômage de 45,1% chez les jeunes de moins de 24 ans. Une performance rarement évoquée dans les discours.

L’ivresse des records

Pour jouer aux réformateurs, en revanche, les candidats, et notamment le président sortant, stigmatisent à tout va la France comme le pays dernier de la classe, y compris en direct dans l’émission Parole de candidat face à quelques millions de téléspectateurs :

La France est le seul pays au monde où lorsqu’il y a une crise, le prix de l’immobilier augmente.

L’effet escompté est évidemment de dénoncer un archaïsme honteux ou bien un système grippé que tous les régimes précédents auraient protégé jusqu’à ce jour et que l’impétrant compte bien renverser une fois au pouvoir (quand bien même il l’est déjà). Sauf que, le monde est vaste et il y a toujours un pays pour écorner la démonstration : dans le cas de l’immobilier, il a suffi aux vérificateurs du Véritomètre de passer en revue les États européens pour en trouver trois – Suède, Finlande et Norvège – où les prix de l’immobilier avaient également augmenté ces quatre dernières années.

En dehors de la sortie de Marine Le Pen, correcte à Nice quand elle déclare que le taux de syndicalisation français est “le plus bas du monde occidental”, rares sont les tirades de ce genre qui résistent à la vérification. Spécialiste des classements en tout genre (des forêts jusqu’aux salles de classe), François Bayrou a bien essayé pour interpeller son auditoire d’exagérer la situation française :

Nous sommes le seul pays dans notre situation en Europe (…) qui soit devant un épouvantable déficit du commerce extérieur.

C’était sans compter les bases de données d’Eurostat, lesquelles nous ont appris qu’il y avait bien pire que nous. Et, cette fois-ci, nul besoin d’aller chercher en Pologne ou dans les pays scandinaves pour savoir qui surclasse Paris en matière de déficit commercial : avec 117,4 milliards d’euros de déficit commercial en 2011, c’est la Grande-Bretagne qui arrive première en UE, avec près de 50% de dépendance économique extérieure de plus que la France.

En dehors de l’efficacité de la formule, permettant d’assurer que “la France s’est mieux sortie de la crise que quiconque” et autres superlatifs, ce type de comparaison excessive a l’avantage de frapper l’esprit d’une formule sans obliger le candidat à avancer un chiffre ou à détailler les raisons expliquant un retard.

Maths

À l’extrême opposé de ces “chiffres chocs”, il arrive que le citoyen spectateur d’un meeting ou d’une interview se voit infligé une interminable démonstration bourrée de chiffres censée révéler une vérité cachée à grands coups de maths. En la matière, le champion toutes catégories reste François Bayrou, lequel s’est à plusieurs reprises (Angers, Besançon, Parole de candidat…) autoproclamé “président, trésorier et fondateur de l’association pour la défense du calcul mental”. Sa plus célèbre démonstration, restée gravée dans la mémoire de nos journalistes de données, reste la comparaison entre les voitures produites sur le territoire français par Renault et celles fabriquées en Allemagne par Volkswagen :

Je suis très frappé par ces chiffres-là : en 2005 toujours, Volkswagen produit en Allemagne 1 200 000 véhicules par an et, au même moment, Renault produit en France 1 200 000 véhicules par an, le même chiffre. Cette année, sept ans après, Volkswagen va produire en Allemagne 2 200 000 véhicules, presque le double, et chez nous Renault va produire en France 440 000 véhicules, trois fois moins que ce qu’il produisait en 2005.

À la sortie de ce tunnel, ceux qui auront réussi à suivre l’enchaînement des chiffres (malgré le débit plutôt modéré du candidat du Modem) auront saisi la question sous-jacente : pourquoi Renault produit moins sur son territoire alors que l’Allemagne produit plus ? Sauf que, dans le détail, tous les chiffres évoqués ici sont incorrects. Selon les sources officielles : en 2005, déjà, la marque allemande affichait 40% de production en plus sur son territoire que le leader français (1,913 millions de véhicules produits côté Volkswagen contre 1,318 millions chez Renault). Quant aux derniers chiffres, s’ils “renforcent le constat”, comme nous l’avait rétorqué François Bayrou sur le plateau de i>TÉLÉ où nous lui avons présenté le graphique, ils n’en étaient pas moins tout aussi éloignés de la réalité.

L’autre grand classique est le calcul “à la volée” de l’impact d’une taxe. Invitée de Radio France Politique, Eva Joly a ainsi vanté les sommes mirifiques que récupérerait l’Union européenne en imposant une “taxe Tobin” :

Un taux de 0,005% pour la taxation des transactions financières dans la zone euro produit 172 milliards

Malheureusement pour la candidate d’Europe écologie-Les Verts, le calcul avait déjà été fait et à un taux bien supérieur : avec 0,1% d’imposition sur les mêmes transactions financières, la Commission européenne n’entrevoyait ainsi que 57 milliards par an de collecte, soit trois fois moins pour un taux vingt fois supérieur.

Vieilles de 12 ans

Les candidats ne vont parfois pas chercher aussi loin. Parfois, ils se contentent d’utiliser un “vieux chiffre à la mode”, répété à tort et à travers dans les enquêtes et les études sur un sujet. Bien que candidat le plus précis de la campagne de premier tour, Jean-Luc Mélenchon n’échappe pas à la règle quand il déclare sur France info :

80% des Smicards sont des smicardes !

Cette statistique, elle circule dans toutes les directions et depuis longtemps. Très longtemps. Au moins en 2000, puisque la source première de ce chiffre (rarement citée) est l’ouvrage de la sociologue et directrice de recherche au CNRS, Margaret Maruani, “Travail et emploi des femmes”, paru en mars 2000 aux éditions La Découverte. Or, il existe des études plus récentes dont les conclusions sont différentes. La dernière en date que nous ayons pu trouver remonte à 2006, mais peint un portrait fort différent des salariés payés en Smic : elle constate également une prépondérance de “smicardes”, mais elles représentent 56,% des salariés au Smic contre 43,6% pour les hommes. Au regard de cet écart, les chiffres vieux d’une année cité par Jean-Luc Mélenchon à Marseille quant aux accidents du travail suivis d’une incapacité permanente relèvent du petit oubli de mise à jour.


Illustration par Loguy pour Owni /-)

Posters réalisés par l’équipe du Véritomètre via le Motivator.

Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
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Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

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