OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’astronomie amateur, la science populaire n’est pas qu’un loisir! http://owni.fr/2011/03/26/astronomie-amateur-science-populaire-loisir/ http://owni.fr/2011/03/26/astronomie-amateur-science-populaire-loisir/#comments Sat, 26 Mar 2011 11:30:18 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=53137 Article initialement publié sur Culture Visuelle et sélectionné par OWNIsciences

Lors d’une session récente de son séminaire Esthétique de l’image numérique, André Gunthert est revenu sur la question des pratiques amateurs à propos de la parution du livre de Patrice Flichy Le sacre de l’amateur: sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique.

Les lecteurs de Culture Visuelle connaissent bien le terme amateurs. Sur cette plate-forme de blogs, il signifie pratiquement toujours photographes amateurs et se comprend de fait en rapport (et parfois en rivalité) à la photographie professionnelle. Mais le champ couvert par les pratiques amateurs est évidemment bien plus vaste, même si l’on se limite aux activités dites « de loisir » impactées par les technologies numériques .

En examinant cette question d’un point de vue historique, André Gunthert identifie plusieurs domaines où l’amateurisme s’est développé bien avant de se transformer en un système alliant reconnaissance académique et professionnalisation. Il s’agit en particulier de l’amateur d’art et du rôle de l’accumulation ostentatoire des œuvres pratiquée par les rois et princes. De la même manière, l’activité des savants n’a pu se développer que parce que ceux-ci étaient alors protégés et financés par ces mêmes puissants personnages, qui étaient également amateurs de science. Mais à côté de ce mécénat artistique et scientifique, certains savants de premier plan furent engagés par ailleurs dans une activité lucrative quelconque et pratiquaient les sciences presque « comme un loisir ». Au XVIIeme siècle, la vie et l’œuvre de Pierre de Fermat, « prince des amateurs » , sont à cet égard emblématiques.

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des sciences, il semble qu’il n’y ait plus guère de place pour ces amateurs de science éclairés et inventifs. Les sciences sont devenus bien trop complexes et spécialisées pour qu’il soit possible pour un amateur de s’y intéresser autrement qu’en spectateur. La figure de l’amateur de sciences dans le meilleur des cas serait alors celle d’un érudit ou d’un praticien approximatif de telle ou telle discipline pour laquelle il se passionne. Mais le chercheur professionnel moderne ne peut pas lui reconnaître le niveau requis pour « faire de la vraie science ». Il existerait ainsi deux continents : les véritables scientifiques qui participent de manière active à l’avancement d’un savoir et les amateurs qui ne peuvent prétendre qu’à une compréhension vulgarisée, ludique et simplifiée de ce savoir et sont alors rangés dans le rayon des « loisirs créatifs » au côté des férus du point de croix. Au mieux, on reconnaîtra dans certaines disciplines où des moyens techniques considérables ne sont pas toujours indispensables, que des autodidactes de génie puissent rivaliser ou même dépasser les professionnels. Ils sont alors, en règle générale, rapidement intégrés au système académique classique; le cas du mathématicien Ramanujan vient ici immédiatement à l’esprit.

Les pratiques amateurs dans les sciences seraient donc de facto incommensurables avec celles que l’on connait en photographie où l’on sait qu’elles sont parfois comparables sur le plan des techniques et des résultats aux pratiques professionnelles. Examinons de plus près cette idée à propos d’une discipline, l’astronomie, où d’ailleurs nous rencontrerons à nouveau la photographie.

La grande nébuleuse d’Orion (M42), par Thomas Shahan. Flickr, licence CC.

L’astronomie amateur

Plus encore peut-être que l’expression photographie amateur, la locution astronomie amateur est devenue consacrée. Elle forme un tout indissociable pour les protagonistes de l’activité. Le terme amateur n’est jamais considéré comme péjoratif, ce n’est pas le signe d’un manque par rapport à l’astronomie professionnelle. Les praticiens de la discipline se désignent d’ailleurs de plus en plus souvent par l’abréviation astram.

C’est un vocable similaire comportant le mot amateur qui est utilisé dans la plupart des langues européennes. Au États-Unis, on emploie aussi les expressions backyard astronomy (l’astronomie chez soi) et stargazing lorsque l’on ne s’intéresse pas à l’activité de construction des instruments qui fait partie intégrante de l’amateur astronomy.

Une brève histoire de l’astronomie amateur en France

Il existe en France une longue tradition de l’astronomie populaire. Elle remonte à trois ouvrages majeurs : le Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844), l’Astronomie Populaire de François Arago – édition posthume (1854) par Jean-Augustin Barral, et enfin l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion (1880) . Ces livres s’inscrivent certes dans le remarquable développement de la vulgarisation scientifique au cours du XIXème siècle , mais dans le cas de l’astronomie, ils ont aussi leur origine dans une véritable politique scientifique.

Le rapport du 7 messidor an III (25 juin 1795) rédigé par l’abbé Grégoire crée le Bureau des Longitudes. Le texte précise: « Ce Bureau fera, chaque année, un cours public d’Astronomie ». Il s’agissait grâce à ce cours de commencer à former de futurs observateurs et calculateurs pour remplir les missions dévolues au Bureau, en premier lieu améliorer la détermination des longitudes en mer – tâche évidemment très importante à l’époque tant du point de vue militaire que civil.

L’ouvrage d’Arago, en quatre volumes, est la transcription de ce cours oral public donné à l’Observatoire de Paris de 1812 à 1840 et qui rencontre un très grand succès au long de ces années. Arago veut être élémentaire et clair, il utilise dans son texte très peu de mathématiques. Mais son cours demeure un ouvrage de savant, didactique, précis et sans fioritures.

La version que donne Flammarion de l’astronomie populaire est bien différente. Son ouvrage est certes dédié à Arago, « fondateur de l’Astronomie populaire », mais son style tout en digressions romantiques n’a rien à voir avec celui du célèbre astronome.

À cette époque, un rapport précise que les observatoires d’État sont minoritaires dans les pays anglo-saxons du fait de l’importance des observatoires privés et universitaires . En France également, des observatoires privés font leur apparition. Ainsi, Flammarion n’est pas un astronome institutionnel. C’est un savant « indépendant ». Chassé de l’Observatoire de Paris par Le Verrier alors qu’il était apprenti, il a manifesté toute sa vie une certaine défiance envers la science académique tout en conservant de bons rapports avec de nombreux astronomes institutionnels. Il était en fait très soucieux de la légitimité scientifique de ses différentes activités, en astronomie comme dans les autres disciplines qu’il a abordé (dont le spiritisme). Le succès de son ouvrage majeur lui permettra de développer son observatoire privé à Juvisy-sur-Orge où il entreprendra entre autres travaux de nombreuses expériences de photographie astronomique.

Dès l’édition de 1880, l’Astronomie Populaire mentionne l’astronome amateur ou l’amateur d’astronomie. La figure de l’astronome amateur apparaît bien à cette époque et très probablement chez Flammarion. Elle s’est ensuite diffusée dans la culture populaire à travers différents canaux dont la littérature. En 1877 par exemple, le professeur Palmyrin Rosette du roman Hector Servadac de Jules Verne est encore un astronome autodidacte, probablement inspiré d’ailleurs par Flammarion lui-même. Plus tard, en 1901, ce sont explicitement des astronomes amateurs que le même auteur met en scène dans La chasse au météore.

Car « pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion » .  Il fonde en 1887 la Société Astronomique de France (SAF), diffuse la revue associée L’Astronomie, et crée ensuite un véritable réseau international d’astronomes amateurs, parallèle à celui de l’astronomie académique.

La SAF est ouverte à tous, professionnels comme amateurs, et cela mérite d’être souligné à propos d’une « société savante ». Tous les présidents de la SAF qui se sont succédés sont néanmoins des astronomes professionnels, membres de l’Institut, et la grande majorité des articles de la revue sont écrits par des professionnels. D’une certaine manière, cela légitime la place des amateurs tout en les infériorisant.

Le « creuset unique » rassemblant amateurs et professionnels est demeuré longtemps l’une des caractéristiques les plus originales de ce milieu, et de nombreux astronomes professionnels ont commencé par être amateurs et membres actifs de la SAF .

Sur le plan institutionnel également et jusqu’aux années cinquante environ, les amateurs sont parfois sollicités dans certains observatoires de façon à assurer au moindre coût un certain nombre de tâches routinières .

L’Astronomie populaire de Flammarion a été entièrement réécrite en 1955 sous la direction d’André Danjon et d’un comité de professionnels. À cette occasion, l’ouvrage a totalement perdu son esprit romantique teinté d’un positivisme suranné. Il est cependant demeuré l’un des meilleurs ouvrages d’initiation à cette science. Ce livre a incontestablement formé sous ses différentes éditions de nombreux astronomes amateurs et suscité la vocation de plusieurs professionnels.

Mais avant cette refonte du livre phare de Flammarion, d’autres auteurs ont publié des ouvrages de vulgarisation. Les plus importants furent sans doute Lucien Rudaux, qui fut aussi un artiste dont le travail préfigure celui de Chesley Bonestell, et l’abbé Moreux.

En décembre 1945, Pierre Bourge, un jeune astronome amateur, crée la Société Astronomique de Normandie et la revue Le Ciel Normand. L’année suivante, il fonde avec Jean Chauvet l’Association Française d’Astronomie Éducative, cette fois à vocation nationale, qui deviendra un peu plus tard l’Association Française d’Astronomie (AFA). L’association publie une revue qui changera plusieurs fois de nom et s’appelle maintenant Ciel et Espace.

En 1969, Pierre Bourge publie avec Jean Lacroux un guide intitulé A l’affût des étoiles – Guide pratique de l’astronome amateur. Ce livre qui en est actuellement à sa seizième édition a contribué à la formation de nombreux amateurs.

L’objectif de l’AFA est de regrouper les amateurs et de les aider directement et concrètement dans la pratique de leur passion. À travers les stages qu’elle propose et dans son magazine, l’AFA se veut beaucoup plus pragmatique que la SAF et ne propose pas de contenus théoriques ardus ou sous forme mathématique. De nombreux articles sont ainsi consacrés à la construction artisanale d’un télescope, activité « de bricolage » indispensable à une époque où les optiques professionnelles et les montures industrielles étaient hors de portée des amateurs. Des techniques d’observation et d’astrophotographie relativement faciles à mettre en œuvre sont aussi largement décrites.

Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la SAF est ainsi perçue comme une société un peu élitiste, dispensant une vulgarisation de haut niveau en astronomie et astrophysique, tandis que l’AFA regroupe les amateurs préoccupés par la fabrication de leurs instruments et leur optimisation à des fins d’observation directe ou photographique. De nombreux amateurs sont toutefois membres des deux sociétés, et la SAF ne se coupera jamais de sa « base amateur », demeurant ainsi fidèle à l’esprit de Flammarion. Elle répondra aussi de façon exemplaire aux amateurs engagés dans la fabrication de leur instrument en publiant en 1961 le livre La construction du télescope amateur par Jean Texereau , ouvrage devenu un classique dans ce milieu.

Du côté des professionnels, la Société française d’astronomie et d’astrophysique (anciennement appelée Société Française des Spécialistes d’Astronomie) est fondée en 1978 par Évry Schatzman. Comme son nom initial l’indique, elle n’est pas ouverte statutairement au monde de l’astronomie amateur.

Le développement de l’astronomie amateur au niveau mondial durant les années soixante-dix, stimulé par la médiatisation de la conquête spatiale, a incité l’édition à publier plusieurs livres de vulgarisation. Ces ouvrages étaient souvent écrits par des astronomes professionnels dans un esprit pédagogique mais ils étaient la plupart du temps très succincts et parfois même condescendants envers les pratiques amateurs. C’est à cette époque également que plusieurs entreprises japonaises et américaines s’intéressent réellement à ce marché et proposent des lunettes et télescopes enfin accessibles aux non professionnels. Deux tendances se manifestent alors parmi les astronomes amateurs. Certains estiment que la construction d’un instrument n’est désormais plus du ressort de l’amateur. Celui-ci d’après eux ne construit pas plus son télescope que l’automobiliste ne fabrique sa voiture. D’autres au contraire défendent un point de vue bien différent – que l’on qualifierait maintenant de hacker – selon lequel la maîtrise de la construction fait partie intégrante de l’amateurisme et constitue une formation très importante aux techniques d’observation, en particulier pour la photographie astronomique qui nécessite une bonne connaissance des caractéristiques optiques de son instrument.

Ce clivage est l’une des causes d’un changement d’orientation important de l’AFA. Les anciens dirigeants de l’association sont remplacés en 1981 par une nouvelle génération issue du monde de la communication. Le fondateur « historique », Pierre Bourge, est évincé. La revue Ciel et Espace devient un magazine scientifique grand public et s’ouvre largement aux sujets astronautiques. Elle parle de moins en moins d’astronomes amateurs, locution souvent remplacée par passionnés d’astronomie et d’espace. La ligne éditoriale est celle d’un magazine éducatif, axé sur la dimension culturelle de la discipline. Les aspects pratiques et actifs de l’astronomie, les techniques photographiques des amateurs, leur implication dans certains programmes de recherche accessibles, sont moins présents qu’auparavant. Une agence de photos astronomiques est créée , l’association participe à des initiatives en direction de l’éducation, l’un de ses dirigeants, Alain Cirou, devient consultant auprès de la télévision pour les questions spatiales ou astronomiques. Au final, les astronomes amateurs les plus avancés ne se sont guère retrouvés dans cette nouvelle orientation.

Quelques associations plus spécialisées comme l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes ont aussi vu le jour. Mais surtout, les clubs d’astronomie locaux et régionaux qui existaient déjà au temps de Flammarion se sont beaucoup développés. Une grande part de la formation théorique et pratique des amateurs s’effectue actuellement dans ces groupements plutôt qu’à travers les deux grandes associations nationales que sont la SAF et l’AFA et leurs magazines respectifs. En parallèle, une presse autonome, dirigée vers les amateurs et non liée à des associations, a fait son apparition. Les titres les plus connus sont Astronomie Magazine, créé en 1999, qui s’annonce comme « la revue des astronomes amateurs » et AstroSurf Magazine créé en 2003. Ces revues reprennent assez nettement une orientation hacking, bricolage, techniques d’observation et de photographie, recherche amateur, etc. un peu délaissée par les magazines « historiques » liés aux associations.

Pour terminer ce rapide panorama, on doit relever enfin que de très nombreux sites, forums et blogs d’astronomie amateur se sont créés sur le Web . Les astronomes amateurs qui sont bien souvent également compétents en informatique sont à l’aise avec Internet qui est devenu leur média favori. Le développement d’Internet et des technologies numériques dans la photographie astronomique mais aussi pour le guidage des instruments et le repérage des objets observés constituent sans nul doute de nouveaux champs d’application de cet esprit inventif qui caractérise l’astronomie amateur.

La nébuleuse du Lagon (M8), par Fred Locklear. Flickr, licence CC.

Quelques pratiques de l’astronomie amateur

L’astronomie amateur peut constituer un loisir passif, contemplatif. Mais elle est aussi souvent créative, et pas seulement au sens limité et un peu désuet que l’on donne habituellement à cet adjectif lorsque l’on évoque les loisirs. Avec des moyens qui lui sont propres et même si ses résultats demeurent modestes, elle s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Quelques exemples nous aideront à comprendre cette caractéristique.

Construction, bricolage, hacking

L’apparition d’instruments d’observation à prix abordables a réduit considérablement le nombre d’amateurs qui taillent leurs miroirs et construisent leurs télescopes. Désormais, la plupart des astronomes amateurs utilise des lunettes et télescopes fabriqués par des entreprises spécialisées. Mais de nombreuses personnalisations des outils d’observation nécessitent bien souvent des talents de bricolage en optique, mécanique, électronique et informatique. L’adaptation de dispositifs parfois complexes, le souci de tirer parti au mieux des équipements, le souhait de mener à bien telle observation difficile ou de réaliser telle photographie délicate conduisent souvent les amateurs avancés à mettre en œuvre des solutions ingénieuses. Ainsi, c’est un amateur, John Dobson, qui a mis au point la monture actuellement utilisée sur de nombreux télescopes et qui permet d’accéder à des tailles d’instruments auparavant réservées aux professionnels.

Beaucoup d’amateurs utilisent aussi des techniques qui ne leur étaient pas accessibles jadis comme la spectroscopie. Certains se sont même lancés dans la radioastronomie et il existe des associations regroupant ces observateurs de l’invisible (ici et ). De même, plusieurs amateurs ont développé l’informatisation de leurs installations jusqu’à réaliser de véritables observatoires entièrement robotisés.

Astrophotographie

L’astrophotographie est pratiquée depuis longtemps par les amateurs et les images produites sont partagées et discutées par les passionnés. Flickr compte ainsi plus de 1000 groupes sur l’astronomie et près de 500 sur l’astrophotographie. Mais les techniques utilisées, argentiques d’abord et maintenant numériques, ne servent pas seulement à réaliser de belles photos. La photographie astronomique permet aussi grâce à de longs temps de pose d’enregistrer la présence d’objets inaccessibles à l’observation visuelle. À l’instar de son utilisation par les professionnels, c’est aussi avec cet objectif de découverte que l’astrophotographie est extrêmement populaire chez les amateurs.

De nombreux articles publiés dans les revues mentionnées précédemment, des livres, des stages, et surtout des études et informations disponibles sur le web – comme celles proposées par l’association Astro Images Processing créée en 2009 – permettent à l’amateur de se former aux techniques en question.

Surveillance et recherche d’objets

La surveillance d’objets instables et la recherche d’objets inconnus sont les deux domaines de prédilection où l’astronomie amateur aide l’astronomie institutionnelle.

Ainsi, les amateurs sont engagés depuis fort longtemps dans la surveillance et la mesure de la luminosité des étoiles variables. L’Association Française des Observateurs d’Étoiles Variables (AFOEV) a été fondée en 1921 et rassemble des observateurs professionnels et amateurs. La coopération entre les deux communautés est d’ailleurs inscrite dans les statuts de l’association.

La recherche d’objets nouveaux est aussi l’un des terrains où les amateurs peuvent exercer leurs talents. L’une des activités de ce type parmi les plus connue est la recherche de comètes. Chaque année en effet quelques-unes sont découvertes par des amateurs comme on peut s’en rendre compte sur ces statistiques . Le prix Edgar Wilson a d’ailleurs été institué en 1998 par l’Union Astronomique Internationale, l’organisation qui coordonne les travaux des astronomes au niveau mondial, afin de stimuler ces recherches effectuées par des amateurs.

Il existe d’autres niches de l’observation de recherche occupées par les amateurs : détection de novae et de supernovae (exemples ici ou ), chasse aux amas stellaires inconnus, aux nébuleuses planétaires (exemple ici), aux exoplanètes (exemple ici), etc.

On pourrait croire que les amateurs mis à contribution dans ces travaux de surveillance et recherche sont considérés par les professionnels comme des soutiers de l’astronomie, une sorte de main d’œuvre gratuite, tolérée seulement parce que la tâche est immense et ingrate. Les quelques témoignages que nous avons pu lire et l’existence d’associations comme l’AFOEV où la « mixité » entre les deux populations d’astronomes est de règle ne montrent pas cet état d’esprit.

Calcul distribué et crowdsourcing

L’astronomie demeure donc l’une des rares sciences où les amateurs peuvent encore produire des données d’observation utiles aux professionnels. Avec le développement d’Internet, d’autres projets qui font appel aux amateurs sont apparus. La plupart de ceux-ci reposent sur le calcul distribué. Le plus connu est SETI@home, développement du projet SETI de recherche d’une intelligence extraterrestre. On trouvera des listes d’autres initiatives basées sur le calcul distribué sur BOINC et Zooniverse.

Ces projets de volunteer computing ne nécessitent en réalité aucune connaissance en astronomie (ou dans toute autre science comme les mathématiques où de telles initiatives sont assez nombreuses). Il suffit pour le participant de s’intéresser à un sujet proposé et d’installer un logiciel qui effectue tout le travail. Nombre de tels projets s’inscrivent dans un mouvement plus large de « science citoyenne » dont l’ambition est d’impliquer le grand public dans la recherche scientifique.

De véritables projets collaboratifs qui nécessitent une [toute petite] expertise de la part du participant sont également apparus plus récemment. On peut citer parmi ces travaux de crowdsourcing scientifique, la classification de plus d’un million de galaxies avec Galaxy Zoo et la recherche d’exoplanètes avec Planet Hunters.

Nébuleuse planétaire OU1 découverte par l’astronome amateur Nicolas Outters.

Pour une socio-épistémologie des pratiques amateurs

Les amateurs ne sont pas en concurrence avec les astronomes professionnels. Ils ne sont pas organisés à cette fin et savent pertinemment qu’ils ne possèdent pas les compétences et les moyens nécessaires pour mener de véritables travaux de haut niveau. Ils ne développent pas non plus une manière alternative d’effectuer des recherches dans cette science.

Bien que de nombreuses activités en direction du grand public et certains articles de revues puissent le laisser penser, l’astronomie amateur n’est pas non plus assimilable à la vulgarisation scientifique. Les amateurs savent qu’ils pratiquent un loisir culturel, mais pour la plupart d’entre eux, il s’agit plus que de « comprendre » le ciel, les astres, l’univers; c’est pour eux un ensemble de pratiques actives stimulées par le goût de la découverte et dont nous avons donné ci-dessus quelques exemples.

Coincée entre l’astronomie institutionnelle, la vulgarisation scientifique, les loisirs culturels, l’astronomie amateur n’est cependant pas réductible aux seules caractéristiques sociologiques que l’on peut tirer de sa pratique, de ses modes de fonctionnement, de ses instances (associations, clubs), de ses productions (photos, livres, magazines, webs, blogs, crowdsourcing, etc.).

L’astronomie amateur est-elle une astronomie « en miniature » ? La construction ou la mise en œuvre d’un dispositif d’observation de taille modeste à l’échelle professionnelle ainsi que l’utilisation de méthodes qui demeurent relativement simples au regard de ce qui est pratiqué dans la discipline institutionnelle pourraient autoriser la comparaison avec le modélisme. Cette assimilation déplait en général fortement aux amateurs. Ils défendent plutôt l’idée que les amateurs et les professionnels poursuivent grosso modo les mêmes objectifs mais à l’aide de moyens différents.

Il existe de véritables enquêtes sociologiques concernant les photographes amateurs ; il ne semble pas par contre que de tels travaux concernant les astronomes amateurs aient été réalisés. Une telle enquête en tout cas devrait s’adresser à la fois aux astronomes amateurs et aux professionnels et s’intéresser à la perception des pratiques amateurs par chacune des communautés. Elle devrait chercher à comprendre la conception que les deux populations se font de leurs savoirs respectifs. Autrement dit, une véritable étude concernant le statut socio-épistémologique des pratiques amateurs mériterait d’être conduite auprès des astronomes amateurs et professionnels.

Illustration FlickR CC : write_adam

Retrouvez tous nos articles de la Une astronomie sur OWNI (Image de Une CC Elsa Secco)

- “Bulles et couleurs de l’espace

- “Sous deux soleils exactement

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Amateurs et journalistes : le grand mélange http://owni.fr/2011/03/24/amateurs-et-journalistes-le-grand-melange/ http://owni.fr/2011/03/24/amateurs-et-journalistes-le-grand-melange/#comments Thu, 24 Mar 2011 11:06:59 +0000 Erwann Gaucher http://owni.fr/?p=53130 Le Nouvel Obs publiait il y a peu un long article consacré à l’irruption des contenus amateurs dans l’info professionnelle dans lequel, une fois de plus, l’incompréhension de l’info participative de la part de certains journalistes est évidente.

Il y a le titre, Vidéos pas gag, mais je ne jetterai pas la pierre à celles et ceux qui aiment les jeux de mots, je le fais trop souvent moi-même. Le 11 mars, le Nouvel Obs revenait sur “l’affaire Galliano” à travers un long article consacré à ces vidéos amateurs qui ont fait depuis quelques années leur apparition dans l’info “professionnelle”. Signé Doan Bui et Marie Vaton, le papier commet à mon avis les mêmes sempiternelles erreurs que l’on retrouve souvent lorsque l’on se penche sur ce nouveau phénomène. Mais surtout, il mélange et compare allègrement tout et n’importe quoi.

Le web, les paparazzi, les réseaux sociaux et les vidéos volées, on mélange tout ! “Les vidéos impriment le tempo de l’actualité, créent le buzz et le scandale. Tout devient public. Pour le meilleur et pour le pire” expliquent les deux journalistes qui posent ensuite la question habituelle :

La planète est-telle devenue un gigantesque Loft Story ?

L’amalgame est récurrent mais ne signifie par grand chose. Même s’il s’agit de pointer les dérives de ces vidéos d’amateurs qui sont de plus en plus nombreuses, la comparaison n’est pas pertinente puisqu’on essaye ici de placer sur le même plan des personnes inconnues filmées de leur plein gré dans un cadre pré-défini et une personne publique dont les propos sont captés à son insu.

Et nos deux confrères du Nouvel Obs de multiplier les exemples prouvant combien tout cela est plus ou moins néfaste : “Demi Moore et son jeune mari, s’exhiber 24h sur 24h sur Twitter”, Eric Clapton au Lavomatic ! Miley Cyrus fumant de la marijuana ! Britney Spears gifle un photographe (…) Charlie Sheen a ouvert son compte Twitter et attiré en un jour 1.3 million de “followers.” Avec un point commun selon eux à tout cela : ” ils font le régal des internautes.” On appréciera au passage la capacité de mélanger tout avec n’importe quoi et de mettre dans le même panier les paparazzi, les réseaux sociaux et les internautes !

Quel rapport entre la présence volontaire et assumée de Demi Moore sur un réseau social et la vidéo “volée” de John Galliano ? J’ai beau chercher, je ne vois pas. Mais cela a le mérite de noyer tout cela dans le grand égout du web duquel il ne peut, bien entendu, que sortir des immondices plus ou moins graves, et de jouer sur la fameuse peur de big brother qui est ici appelé ” le contrôle social”.

Si c’est dans le papier, ce n’est pas sale

Ce n’est pas sale si c’est sur du papier…

 Si l’on avait mauvais esprit, on pourrait d’ailleurs s’étonner que les deux auteurs de cet article utilisent les procédés qu’ils entendent dénoncer : “Et l’escroc qui voulait faire chanter Julie Depardieu avec une séquence compromettante filmant leur nuit ensemble – il a été arrêté la semaine dernière – n’aurait vraisemblablement pas pu vendre son enregistrement à des médias people français.” Julie Depardieu pourra envoyer un petit mot de remerciement au Nouvel Obs. Elle qui pensait que l’escroc en question avait échoué à mettre sa vie privée au grand jour a le plaisir de voir l’anecdote relatée dans les colonnes de l’un des plus grands hebdos de France. Mais ce n’est pas sale, c’est du papier, pas de la vidéo sur le web…

Les infos volées et la fin du off n’ont pas attendu Internet et les smartphones

. Plus sérieusement, ce qui me paraît révélateur dans cet article, c’est l’oubli, volontaire ou non, d’un critère pourtant essentiel pour expliquer la diffusion des vidéos de John Galliano ou de Nicolas Sarkozy et de son fameux “Casse-toi pauv’ con”. Elles sont signifiantes. 
Oui, voir le président de la République insulter un quidam veut dire quelque chose et nous donne une information sur l’état d’esprit du premier magistrat de France. Oui, entendre John Galliano, couturier star de l’une des plus grandes maisons de haute-couture française tenir des propos antisémites, tombant sous le coup de la loi, est une information sur ce personnage public et sur l’état de l’antisémitisme dans une partie de la population.

Placer ces vidéos sur le même rang que Loft Story ou des images d’Eric Clapton au lavomatic est, à mon avis, intellectuellement erroné. Si comparaison il faut faire, je pense plutôt aux images de François Léotard et Étienne Mougeotte, le 6 juin 1994, bavardant gaiement sur un plateau de télévision avant une émission en direct et pendant laquelle le vice-président de TF1 tente une opération de lobbying auprès du ministre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Est-ce une vidéo volée ? Oui, les deux hommes ne savent pas qu’ils sont filmés. Constitue-t-elle une information ? Oui. Doit-on pour aborder ce débat faire appel à la télé réalité, à l’appétit des internautes pour les ragots et aux réseaux sociaux ? Non, et pour cause, ils n’existaient pas à l’époque.
 Même chose pour les vidéos de Rachida Dati expliquant qu’elle “s’emmerde” au Parlement européen ou lisant le journal pendant le conseil de Paris et que l’article cite également. Oui, elles sont à mon sens signifiantes, et ce n’est pas parce qu’elles sont captées par les équipes du Petit Journal (auquel j’ai consacré il y a peu un billet) et non par un JRI d’une rédaction classique qu’elles ne constituent pas un matériau pour une information.

Les amateurs ne font pas l’info, mais ils peuvent en fournir le matériau de base. C’est bien là l’incompréhension de fond que révèle ce nouvel article. Pour bon nombre de journalistes, une vidéo, une photo, ne sont crédibles que si elles sont captées par un journaliste professionnel dûment encarté. Pourquoi ? L’info ne se limite pas à la captation.

Un matériau de départ à partir duquel les journalistes font leur travail

L’info participative, qui fait si peur à de nombreuses rédactions, ce n’est pas ouvrir la vanne à tout et n’importe quoi. C’est ne pas limiter le matériau de départ à celui que les journalistes seuls peuvent récolter. 
Les amateurs qui proposent la vidéo de John Galliano ne fournissent pas une info mais un matériau de départ à partir duquel les journalistes peuvent et doivent ensuite faire leur travail : vérifier, recouper, contextualiser. Le 13 mars, Matthieu Stéfani, co-fondateur de Citizenside, publiait un billet intitulé Amateurs, du travail de pro dans lequel il revenait sur la vidéo de Galliano et sur les nombreuses images amateurs en provenance du Japon :

” Ces deux événements marquent l’intérêt de la collaboration entre amateurs et professionnels. Ils sont complémentaires pour 2 raisons:
•    L’amateur peut révéler des informations qui ne seraient jamais sorties sans lui (Galliano aurait-il continué a nier?)
•    Le professionnel peut doit désormais compter sur documents amateurs pour agrémenter son travail.
 Les événements du Japon, si tragiques soient-ils, montrent un travail professionnel remarquable, avec des prises de vues d’hélicoptères qui nous marqueront à vie, au même titre que le 11 septembre. En y ajoutant les vidéos amateurs, nous pouvons ressentir l’événement vu de l’intérieur. Je passe sur les événements de ce début d’année en Afrique du Nord, qui ont vu l’amateur témoigner avec des documents incroyables une fois de plus. 2011 est un tournant dans l’image d’information, et c’est une bonne chose. “

Il est légitime et même passionnant de se pencher sur ce phénomène de dés-intermédiation qui frappe de plein fouet les médias, et sur l’irruption de contenus amateurs de plus en plus nombreux se diffusant largement grâce aux outils du web social. Mais il faut le faire sans tout mélanger. Sous peine de quoi, de nombreux journalistes continueront de se couper des usages du grand public.

Billet publié initialement sur le site d’Erwann Gaucher sous le titre : Amateurs et journalistes : et si on arrêtait de tout mélanger ?

Illustrations Flickr CC TechCrunch et Hamed

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Les pratiques amateurs en astronomie http://owni.fr/2011/01/03/les-pratiques-amateurs-en-astronomie/ http://owni.fr/2011/01/03/les-pratiques-amateurs-en-astronomie/#comments Mon, 03 Jan 2011 09:43:37 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=33753 Lors d’une session récente de son séminaire Esthétique de l’image numérique, André Gunthert est revenu sur la question des pratiques amateurs à propos de la parution du livre de Patrice Flichy Le sacre de l’amateur: sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique.

Les lecteurs de Culture Visuelle connaissent bien le terme amateurs. Sur cette plate-forme de blogs, il signifie pratiquement toujours photographes amateurs et se comprend de fait en rapport (et parfois en rivalité) à la photographie professionnelle. Mais le champ couvert par les pratiques amateurs est évidemment bien plus vaste, même si l’on se limite aux activités dites « de loisir » impactées par les technologies numériques .

En examinant cette question d’un point de vue historique, André Gunthert identifie plusieurs domaines où l’amateurisme s’est développé bien avant de se transformer en un système alliant reconnaissance académique et professionnalisation. Il s’agit en particulier de l’amateur d’art et du rôle de l’accumulation ostentatoire des œuvres pratiquée par les rois et princes. De la même manière, l’activité des savants n’a pu se développer que parce que ceux-ci étaient alors protégés et financés par ces mêmes puissants personnages, qui étaient également amateurs de science. Mais à côté de ce mécénat artistique et scientifique, certains savants de premier plan furent engagés par ailleurs dans une activité lucrative quelconque et pratiquaient les sciences presque « comme un loisir ». Au XVIIeme siècle, la vie et l’œuvre de Pierre de Fermat, « prince des amateurs » , sont à cet égard emblématiques.

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation des sciences, il semble qu’il n’y ait plus guère de place pour ces amateurs de science éclairés et inventifs. Les sciences sont devenus bien trop complexes et spécialisées pour qu’il soit possible pour un amateur de s’y intéresser autrement qu’en spectateur. La figure de l’amateur de sciences dans le meilleur des cas serait alors celle d’un érudit ou d’un praticien approximatif de telle ou telle discipline pour laquelle il se passionne. Mais le chercheur professionnel moderne ne peut pas lui reconnaître le niveau requis pour « faire de la vraie science ». Il existerait ainsi deux continents : les véritables scientifiques qui participent de manière active à l’avancement d’un savoir et les amateurs qui ne peuvent prétendre qu’à une compréhension vulgarisée, ludique et simplifiée de ce savoir et sont alors rangés dans le rayon des « loisirs créatifs » au côté des férus du point de croix. Au mieux, on reconnaîtra dans certaines disciplines où des moyens techniques considérables ne sont pas toujours indispensables, que des autodidactes de génie puissent rivaliser ou même dépasser les professionnels. Ils sont alors, en règle générale, rapidement intégrés au système académique classique; le cas du mathématicien Ramanujan vient ici immédiatement à l’esprit.

Les pratiques amateurs dans les sciences seraient donc de facto incommensurables avec celles que l’on connait en photographie où l’on sait qu’elles sont parfois comparables sur le plan des techniques et des résultats aux pratiques professionnelles. Examinons de plus près cette idée à propos d’une discipline, l’astronomie, où d’ailleurs nous rencontrerons à nouveau la photographie.

La grande nébuleuse d'Orion (M42), par Thomas Shahan. Flickr, licence CC.

L’astronomie amateur

Plus encore peut-être que l’expression photographie amateur, la locution astronomie amateur est devenue consacrée. Elle forme un tout indissociable pour les protagonistes de l’activité. Le terme amateur n’est jamais considéré comme péjoratif, ce n’est pas le signe d’un manque par rapport à l’astronomie professionnelle. Les praticiens de la discipline se désignent d’ailleurs de plus en plus souvent par l’abréviation astram.

C’est un vocable similaire comportant le mot amateur qui est utilisé dans la plupart des langues européennes. Au États-Unis, on emploie aussi les expressions backyard astronomy (l’astronomie chez soi) et stargazing lorsque l’on ne s’intéresse pas à l’activité de construction des instruments qui fait partie intégrante de l’amateur astronomy.

Une brève histoire de l’astronomie amateur en France

Il existe en France une longue tradition de l’astronomie populaire. Elle remonte à trois ouvrages majeurs : le Traité philosophique d’astronomie populaire d’Auguste Comte (1844), l’Astronomie Populaire de François Arago – édition posthume (1854) par Jean-Augustin Barral, et enfin l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion (1880) . Ces livres s’inscrivent certes dans le remarquable développement de la vulgarisation scientifique au cours du XIXème siècle , mais dans le cas de l’astronomie, ils ont aussi leur origine dans une véritable politique scientifique.

Le rapport du 7 messidor an III (25 juin 1795) rédigé par l’abbé Grégoire crée le Bureau des Longitudes. Le texte précise: « Ce Bureau fera, chaque année, un cours public d’Astronomie ». Il s’agissait grâce à ce cours de commencer à former de futurs observateurs et calculateurs pour remplir les missions dévolues au Bureau, en premier lieu améliorer la détermination des longitudes en mer – tâche évidemment très importante à l’époque tant du point de vue militaire que civil.

L’ouvrage d’Arago, en quatre volumes, est la transcription de ce cours oral public donné à l’Observatoire de Paris de 1812 à 1840 et qui rencontre un très grand succès au long de ces années. Arago veut être élémentaire et clair, il utilise dans son texte très peu de mathématiques. Mais son cours demeure un ouvrage de savant, didactique, précis et sans fioritures.

La version que donne Flammarion de l’astronomie populaire est bien différente. Son ouvrage est certes dédié à Arago, « fondateur de l’Astronomie populaire », mais son style tout en digressions romantiques n’a rien à voir avec celui du célèbre astronome.

À cette époque, un rapport précise que les observatoires d’État sont minoritaires dans les pays anglo-saxons du fait de l’importance des observatoires privés et universitaires . En France également, des observatoires privés font leur apparition. Ainsi, Flammarion n’est pas un astronome institutionnel. C’est un savant « indépendant ». Chassé de l’Observatoire de Paris par Le Verrier alors qu’il était apprenti, il a manifesté toute sa vie une certaine défiance envers la science académique tout en conservant de bons rapports avec de nombreux astronomes institutionnels. Il était en fait très soucieux de la légitimité scientifique de ses différentes activités, en astronomie comme dans les autres disciplines qu’il a abordé (dont le spiritisme). Le succès de son ouvrage majeur lui permettra de développer son observatoire privé à Juvisy-sur-Orge où il entreprendra entre autres travaux de nombreuses expériences de photographie astronomique.

Dès l’édition de 1880, l’Astronomie Populaire mentionne l’astronome amateur ou l’amateur d’astronomie. La figure de l’astronome amateur apparaît bien à cette époque et très probablement chez Flammarion. Elle s’est ensuite diffusée dans la culture populaire à travers différents canaux dont la littérature. En 1877 par exemple, le professeur Palmyrin Rosette du roman Hector Servadac de Jules Verne est encore un astronome autodidacte, probablement inspiré d’ailleurs par Flammarion lui-même. Plus tard, en 1901, ce sont explicitement des astronomes amateurs que le même auteur met en scène dans La chasse au météore.

Car « pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion » .  Il fonde en 1887 la Société Astronomique de France (SAF), diffuse la revue associée L’Astronomie, et crée ensuite un véritable réseau international d’astronomes amateurs, parallèle à celui de l’astronomie académique.

La SAF est ouverte à tous, professionnels comme amateurs, et cela mérite d’être souligné à propos d’une « société savante ». Tous les présidents de la SAF qui se sont succédés sont néanmoins des astronomes professionnels, membres de l’Institut, et la grande majorité des articles de la revue sont écrits par des professionnels. D’une certaine manière, cela légitime la place des amateurs tout en les infériorisant.

Le « creuset unique » rassemblant amateurs et professionnels est demeuré longtemps l’une des caractéristiques les plus originales de ce milieu, et de nombreux astronomes professionnels ont commencé par être amateurs et membres actifs de la SAF .

Sur le plan institutionnel également et jusqu’aux années cinquante environ, les amateurs sont parfois sollicités dans certains observatoires de façon à assurer au moindre coût un certain nombre de tâches routinières .

L’Astronomie populaire de Flammarion a été entièrement réécrite en 1955 sous la direction d’André Danjon et d’un comité de professionnels. À cette occasion, l’ouvrage a totalement perdu son esprit romantique teinté d’un positivisme suranné. Il est cependant demeuré l’un des meilleurs ouvrages d’initiation à cette science. Ce livre a incontestablement formé sous ses différentes éditions de nombreux astronomes amateurs et suscité la vocation de plusieurs professionnels.

Mais avant cette refonte du livre phare de Flammarion, d’autres auteurs ont publié des ouvrages de vulgarisation. Les plus importants furent sans doute Lucien Rudaux, qui fut aussi un artiste dont le travail préfigure celui de Chesley Bonestell, et l’abbé Moreux.

En décembre 1945, Pierre Bourge, un jeune astronome amateur, crée la Société Astronomique de Normandie et la revue Le Ciel Normand. L’année suivante, il fonde avec Jean Chauvet l’Association Française d’Astronomie Éducative, cette fois à vocation nationale, qui deviendra un peu plus tard l’Association Française d’Astronomie (AFA). L’association publie une revue qui changera plusieurs fois de nom et s’appelle maintenant Ciel et Espace.

En 1969, Pierre Bourge publie avec Jean Lacroux un guide intitulé A l’affût des étoiles – Guide pratique de l’astronome amateur. Ce livre qui en est actuellement à sa seizième édition a contribué à la formation de nombreux amateurs.

L’objectif de l’AFA est de regrouper les amateurs et de les aider directement et concrètement dans la pratique de leur passion. À travers les stages qu’elle propose et dans son magazine, l’AFA se veut beaucoup plus pragmatique que la SAF et ne propose pas de contenus théoriques ardus ou sous forme mathématique. De nombreux articles sont ainsi consacrés à la construction artisanale d’un télescope, activité « de bricolage » indispensable à une époque où les optiques professionnelles et les montures industrielles étaient hors de portée des amateurs. Des techniques d’observation et d’astrophotographie relativement faciles à mettre en œuvre sont aussi largement décrites.

Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la SAF est ainsi perçue comme une société un peu élitiste, dispensant une vulgarisation de haut niveau en astronomie et astrophysique, tandis que l’AFA regroupe les amateurs préoccupés par la fabrication de leurs instruments et leur optimisation à des fins d’observation directe ou photographique. De nombreux amateurs sont toutefois membres des deux sociétés, et la SAF ne se coupera jamais de sa « base amateur », demeurant ainsi fidèle à l’esprit de Flammarion. Elle répondra aussi de façon exemplaire aux amateurs engagés dans la fabrication de leur instrument en publiant en 1961 le livre La construction du télescope amateur par Jean Texereau , ouvrage devenu un classique dans ce milieu.

Du côté des professionnels, la Société française d’astronomie et d’astrophysique (anciennement appelée Société Française des Spécialistes d’Astronomie) est fondée en 1978 par Évry Schatzman. Comme son nom initial l’indique, elle n’est pas ouverte statutairement au monde de l’astronomie amateur.

Le développement de l’astronomie amateur au niveau mondial durant les années soixante-dix, stimulé par la médiatisation de la conquête spatiale, a incité l’édition à publier plusieurs livres de vulgarisation. Ces ouvrages étaient souvent écrits par des astronomes professionnels dans un esprit pédagogique mais ils étaient la plupart du temps très succincts et parfois même condescendants envers les pratiques amateurs. C’est à cette époque également que plusieurs entreprises japonaises et américaines s’intéressent réellement à ce marché et proposent des lunettes et télescopes enfin accessibles aux non professionnels. Deux tendances se manifestent alors parmi les astronomes amateurs. Certains estiment que la construction d’un instrument n’est désormais plus du ressort de l’amateur. Celui-ci d’après eux ne construit pas plus son télescope que l’automobiliste ne fabrique sa voiture. D’autres au contraire défendent un point de vue bien différent – que l’on qualifierait maintenant de hacker – selon lequel la maîtrise de la construction fait partie intégrante de l’amateurisme et constitue une formation très importante aux techniques d’observation, en particulier pour la photographie astronomique qui nécessite une bonne connaissance des caractéristiques optiques de son instrument.

Ce clivage est l’une des causes d’un changement d’orientation important de l’AFA. Les anciens dirigeants de l’association sont remplacés en 1981 par une nouvelle génération issue du monde de la communication. Le fondateur « historique », Pierre Bourge, est évincé. La revue Ciel et Espace devient un magazine scientifique grand public et s’ouvre largement aux sujets astronautiques. Elle parle de moins en moins d’astronomes amateurs, locution souvent remplacée par passionnés d’astronomie et d’espace. La ligne éditoriale est celle d’un magazine éducatif, axé sur la dimension culturelle de la discipline. Les aspects pratiques et actifs de l’astronomie, les techniques photographiques des amateurs, leur implication dans certains programmes de recherche accessibles, sont moins présents qu’auparavant. Une agence de photos astronomiques est créée , l’association participe à des initiatives en direction de l’éducation, l’un de ses dirigeants, Alain Cirou, devient consultant auprès de la télévision pour les questions spatiales ou astronomiques. Au final, les astronomes amateurs les plus avancés ne se sont guère retrouvés dans cette nouvelle orientation.

Quelques associations plus spécialisées comme l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes ont aussi vu le jour. Mais surtout, les clubs d’astronomie locaux et régionaux qui existaient déjà au temps de Flammarion se sont beaucoup développés. Une grande part de la formation théorique et pratique des amateurs s’effectue actuellement dans ces groupements plutôt qu’à travers les deux grandes associations nationales que sont la SAF et l’AFA et leurs magazines respectifs. En parallèle, une presse autonome, dirigée vers les amateurs et non liée à des associations, a fait son apparition. Les titres les plus connus sont Astronomie Magazine, créé en 1999, qui s’annonce comme « la revue des astronomes amateurs » et AstroSurf Magazine créé en 2003. Ces revues reprennent assez nettement une orientation hacking, bricolage, techniques d’observation et de photographie, recherche amateur, etc. un peu délaissée par les magazines « historiques » liés aux associations.

Pour terminer ce rapide panorama, on doit relever enfin que de très nombreux sites, forums et blogs d’astronomie amateur se sont créés sur le Web . Les astronomes amateurs qui sont bien souvent également compétents en informatique sont à l’aise avec Internet qui est devenu leur média favori. Le développement d’Internet et des technologies numériques dans la photographie astronomique mais aussi pour le guidage des instruments et le repérage des objets observés constituent sans nul doute de nouveaux champs d’application de cet esprit inventif qui caractérise l’astronomie amateur.

La nébuleuse du Lagon (M8), par Fred Locklear. Flickr, licence CC.

Quelques pratiques de l’astronomie amateur

L’astronomie amateur peut constituer un loisir passif, contemplatif. Mais elle est aussi souvent créative, et pas seulement au sens limité et un peu désuet que l’on donne habituellement à cet adjectif lorsque l’on évoque les loisirs. Avec des moyens qui lui sont propres et même si ses résultats demeurent modestes, elle s’inscrit dans le même mouvement de curiosité et de recherche que l’astronomie institutionnelle. Quelques exemples nous aideront à comprendre cette caractéristique.

Construction, bricolage, hacking

L’apparition d’instruments d’observation à prix abordables a réduit considérablement le nombre d’amateurs qui taillent leurs miroirs et construisent leurs télescopes. Désormais, la plupart des astronomes amateurs utilise des lunettes et télescopes fabriqués par des entreprises spécialisées. Mais de nombreuses personnalisations des outils d’observation nécessitent bien souvent des talents de bricolage en optique, mécanique, électronique et informatique. L’adaptation de dispositifs parfois complexes, le souci de tirer parti au mieux des équipements, le souhait de mener à bien telle observation difficile ou de réaliser telle photographie délicate conduisent souvent les amateurs avancés à mettre en œuvre des solutions ingénieuses. Ainsi, c’est un amateur, John Dobson, qui a mis au point la monture actuellement utilisée sur de nombreux télescopes et qui permet d’accéder à des tailles d’instruments auparavant réservées aux professionnels.

Beaucoup d’amateurs utilisent aussi des techniques qui ne leur étaient pas accessibles jadis comme la spectroscopie. Certains se sont même lancés dans la radioastronomie et il existe des associations regroupant ces observateurs de l’invisible (ici et ). De même, plusieurs amateurs ont développé l’informatisation de leurs installations jusqu’à réaliser de véritables observatoires entièrement robotisés.

Astrophotographie

L’astrophotographie est pratiquée depuis longtemps par les amateurs et les images produites sont partagées et discutées par les passionnés. Flickr compte ainsi plus de 1000 groupes sur l’astronomie et près de 500 sur l’astrophotographie. Mais les techniques utilisées, argentiques d’abord et maintenant numériques, ne servent pas seulement à réaliser de belles photos. La photographie astronomique permet aussi grâce à de longs temps de pose d’enregistrer la présence d’objets inaccessibles à l’observation visuelle. À l’instar de son utilisation par les professionnels, c’est aussi avec cet objectif de découverte que l’astrophotographie est extrêmement populaire chez les amateurs.

De nombreux articles publiés dans les revues mentionnées précédemment, des livres, des stages, et surtout des études et informations disponibles sur le web – comme celles proposées par l’association Astro Images Processing créée en 2009 – permettent à l’amateur de se former aux techniques en question.

Surveillance et recherche d’objets

La surveillance d’objets instables et la recherche d’objets inconnus sont les deux domaines de prédilection où l’astronomie amateur aide l’astronomie institutionnelle.

Ainsi, les amateurs sont engagés depuis fort longtemps dans la surveillance et la mesure de la luminosité des étoiles variables. L’Association Française des Observateurs d’Étoiles Variables (AFOEV) a été fondée en 1921 et rassemble des observateurs professionnels et amateurs. La coopération entre les deux communautés est d’ailleurs inscrite dans les statuts de l’association.

La recherche d’objets nouveaux est aussi l’un des terrains où les amateurs peuvent exercer leurs talents. L’une des activités de ce type parmi les plus connue est la recherche de comètes. Chaque année en effet quelques-unes sont découvertes par des amateurs comme on peut s’en rendre compte sur ces statistiques . Le prix Edgar Wilson a d’ailleurs été institué en 1998 par l’Union Astronomique Internationale, l’organisation qui coordonne les travaux des astronomes au niveau mondial, afin de stimuler ces recherches effectuées par des amateurs.

Il existe d’autres niches de l’observation de recherche occupées par les amateurs : détection de novae et de supernovae (exemples ici ou ), chasse aux amas stellaires inconnus, aux nébuleuses planétaires (exemple ici), aux exoplanètes (exemple ici), etc.

On pourrait croire que les amateurs mis à contribution dans ces travaux de surveillance et recherche sont considérés par les professionnels comme des soutiers de l’astronomie, une sorte de main d’œuvre gratuite, tolérée seulement parce que la tâche est immense et ingrate. Les quelques témoignages que nous avons pu lire et l’existence d’associations comme l’AFOEV où la « mixité » entre les deux populations d’astronomes est de règle ne montrent pas cet état d’esprit.

Calcul distribué et crowdsourcing

L’astronomie demeure donc l’une des rares sciences où les amateurs peuvent encore produire des données d’observation utiles aux professionnels. Avec le développement d’Internet, d’autres projets qui font appel aux amateurs sont apparus. La plupart de ceux-ci reposent sur le calcul distribué. Le plus connu est SETI@home, développement du projet SETI de recherche d’une intelligence extraterrestre. On trouvera des listes d’autres initiatives basées sur le calcul distribué sur BOINC et Zooniverse.

Ces projets de volunteer computing ne nécessitent en réalité aucune connaissance en astronomie (ou dans toute autre science comme les mathématiques où de telles initiatives sont assez nombreuses). Il suffit pour le participant de s’intéresser à un sujet proposé et d’installer un logiciel qui effectue tout le travail. Nombre de tels projets s’inscrivent dans un mouvement plus large de « science citoyenne » dont l’ambition est d’impliquer le grand public dans la recherche scientifique.

De véritables projets collaboratifs qui nécessitent une [toute petite] expertise de la part du participant sont également apparus plus récemment. On peut citer parmi ces travaux de crowdsourcing scientifique, la classification de plus d’un million de galaxies avec Galaxy Zoo et la recherche d’exoplanètes avec Planet Hunters.

Nébuleuse planétaire OU1 découverte par l'astronome amateur Nicolas Outters.

Pour une socio-épistémologie des pratiques amateurs

Les amateurs ne sont pas en concurrence avec les astronomes professionnels. Ils ne sont pas organisés à cette fin et savent pertinemment qu’ils ne possèdent pas les compétences et les moyens nécessaires pour mener de véritables travaux de haut niveau. Ils ne développent pas non plus une manière alternative d’effectuer des recherches dans cette science.

Bien que de nombreuses activités en direction du grand public et certains articles de revues puissent le laisser penser, l’astronomie amateur n’est pas non plus assimilable à la vulgarisation scientifique. Les amateurs savent qu’ils pratiquent un loisir culturel, mais pour la plupart d’entre eux, il s’agit plus que de « comprendre » le ciel, les astres, l’univers; c’est pour eux un ensemble de pratiques actives stimulées par le goût de la découverte et dont nous avons donné ci-dessus quelques exemples.

Coincée entre l’astronomie institutionnelle, la vulgarisation scientifique, les loisirs culturels, l’astronomie amateur n’est cependant pas réductible aux seules caractéristiques sociologiques que l’on peut tirer de sa pratique, de ses modes de fonctionnement, de ses instances (associations, clubs), de ses productions (photos, livres, magazines, webs, blogs, crowdsourcing, etc.).

L’astronomie amateur est-elle une astronomie « en miniature » ? La construction ou la mise en œuvre d’un dispositif d’observation de taille modeste à l’échelle professionnelle ainsi que l’utilisation de méthodes qui demeurent relativement simples au regard de ce qui est pratiqué dans la discipline institutionnelle pourraient autoriser la comparaison avec le modélisme. Cette assimilation déplait en général fortement aux amateurs. Ils défendent plutôt l’idée que les amateurs et les professionnels poursuivent grosso modo les mêmes objectifs mais à l’aide de moyens différents.

Il existe de véritables enquêtes sociologiques concernant les photographes amateurs ; il ne semble pas par contre que de tels travaux concernant les astronomes amateurs aient été réalisés. Une telle enquête en tout cas devrait s’adresser à la fois aux astronomes amateurs et aux professionnels et s’intéresser à la perception des pratiques amateurs par chacune des communautés. Elle devrait chercher à comprendre la conception que les deux populations se font de leurs savoirs respectifs. Autrement dit, une véritable étude concernant le statut socio-épistémologique des pratiques amateurs mériterait d’être conduite auprès des astronomes amateurs et professionnels.

>> Article initialement publié sur Culture Visuelle

>> Illustration FlickR CC : write_adam

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Comment lisons-nous les photographies ? http://owni.fr/2010/02/26/comment-lisons-nous-les-photographies/ http://owni.fr/2010/02/26/comment-lisons-nous-les-photographies/#comments Fri, 26 Feb 2010 17:30:23 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=9103 IMG_8376

Le magazine Le Chasseur d’images propose une rubrique régulière de critique des photos envoyées par les lecteurs, intitulée “L’Album des lecteurs”. Le journal ajoute quelques indications techniques, notamment l’appareil utilisé. Entretenu sur la durée, un tel échantillon constitue un corpus précieux pour étudier l’évolution de la pratique des “amateurs experts”.

Mais les appréciations rédigées par la rédaction peuvent elles aussi apporter d’utiles enseignements. Composée d’une quinzaine de photographies qui sont autant de “cas”, la sélection publiée suscite logiquement un commentaire élogieux. Mais celui-ci est systématiquement balancé par une critique, dont l’expression est justifiée par le caractère pédagogique de la rubrique. Le rédacteur, photographe professionnel, gratifie l’amateur – et les lecteurs du journal – d’une leçon d’autant plus efficace qu’elle s’effectue par l’exemple.

Dans le numéro de mars 2010, nous pouvons ainsi découvrir le commentaire suivant d’une photographie envoyée par Patrick Barbazan: «Certes, ces trois dos tournés et leurs tresses blondes ne manquent pas d’intérêt. Mais comme votre courrier ne donne aucune explication sur la photo, on se demande ce que vous voulez montrer. Avec cette profondeur de champ, vous accréditez l’idée que les enfants sont en admiration devant le monument. Si vous vouliez donner l’impression d’une bouderie à l’égard du photographe, il fallait que seuls les enfants soient nets» (p. 163).

Patrick Barbazan n’a pas joué le jeu. Sa photographie, réalisée au Nikon Coolpix 4300, ne porte aucune précision de titre qui permettrait à l’observateur de situer une circonstance, et donc de préciser la signification de l’image. Réduit au jeu des devinettes, Guy-Michel Cogné suggère une interprétation de l’image comme mise en scène d’une “bouderie à l’égard du photographe”, qui le conduit à critiquer une profondeur de champ trop importante.

J’aime bien cette image, sa composition comme son caractère énigmatique. Face à cette photographie, je ne peux m’empêcher de me livrer à mon tour une tentative de décodage. L’absence de titre comme l’appareil utilisé m’aiguillent vers une prise de vue familiale qui a dévié, plutôt que vers une mise en scène soigneusement préparée. J’imagine l’occasion d’une photographie de groupe, modifiée de façon impromptue lorsque l’auteur remarque que les fillettes portent toutes trois une coiffure similaire. Il s’agirait alors d’un “portrait avec tresses”, dont la spontanéité relative est compatible avec la profondeur de champ ordinaire d’un compact à petit capteur.

Peu importe que cette interprétation soit ou non la bonne. Dans la plupart des cas de photographie familiale, il n’y a pas “une” signification définitivement stabilisée, mais plutôt une ouverture à des lectures diverses, construites a posteriori à partir des contextes d’usage des images. Ce qui est important, c’est que j’ai besoin d’une option de lecture: je ne peux pas apprécier cette photographie indépendamment de l’interprétation qui lui donne sens, et qui revient en dernière instance à identifier l’intention de l’auteur.

Se proposant d’établir la définition sociale de la photographie, Pierre Bourdieu avait lui aussi collecté une série de réactions interprétatives (malheureusement déconnectées des images sources) auprès de ses témoins: «Une mèche de cheveux, une chevelure, elle est jolie, celle-là aussi; elle est loupée, c’est fait exprès; il a joué sur les défauts pour ne laisser voir que les cheveux. Un tour de force, ça! C’est un artiste qui a fait ça?» «Une chose qui manque, c’est d’avoir fait de la photo. On ne peut pas savoir ce qui est loupé» (Un art moyen, Minuit, 1965, p. 131).

Selon Bourdieu, en cherchant ce que la photographie devait signifier, ces commentaires manifestent un «goût barbare». «La lisibilité de l’image elle-même, explique-t-il, est fonction de la lisibilité de son intention (ou de sa fonction).» En observant que «l’attente du titre ou de légende qui déclare l’intention signifiante» est le seul critère permettant «de juger si la réalisation est conforme à l’ambition explicite», le sociologue porte un regard sévère sur cette esthétique populaire, incapable de s’élever vers une perception non strictement fonctionnelle.

En réalité, notre appréciation d’une œuvre d’art n’est pas moins tributaire de la connaissance des intentions de l’auteur. La principale différence est que le contexte indiqué par les conditions d’exposition diminue largement l’incertitude sur ce caractère. Ce que trahit le retour insistant de la question de l’intention dans l’interprétation photographique n’est pas le caractère conventionnel de la prise de vue, mais au contraire une ouverture trop importante du spectre des possibles – non pas un signifié rabattu de force sur le signifiant, mais au contraire un caractère flottant de la signification.

Que nous montrent ces trois paires de tresses? Des enfants absorbées dans l’observation d’une vieille batisse – photo de reportage? La “bouderie à l’égard du photographe” – mise en scène volontaire? Un portrait à l’envers de trois coiffures semblables – impromptu formaliste? Ou encore aucune de ces trois lectures? En l’absence de légende, il est impossible de trancher, et il n’est même pas certain qu’une intention univoque ait préexisté à la lecture de l’image.

Contrairement au message linguistique, élaboré afin de réduire l’ambiguïté de la communication, l’image ne relève pas d’un système de codes normalisés qu’il suffirait d’appliquer pour en déduire le sens. Comme celle d’une situation naturelle, sa signification est toute entière construite par l’exercice de lecture, en fonction des informations de contexte disponibles et des relations entre eux des divers éléments interprétables.

Un aspect révélateur de la nature du signe linguistique est sa traductibilité. C’est parce qu’il repose sur un ensemble de codes externes – alphabet, vocabulaire, grammaire – qu’un message peut être traduit d’une langue à l’autre. La lisibilité d’une image s’appuie au contraire sur l’universalité de la perception visuelle – et simultanément sur le capital culturel individuel de l’observateur. Ce qui explique qu’il puisse y avoir plusieurs lectures d’une image, alors même que celle-ci ne peut faire l’objet d’une traduction au sens strict.

C’est parce l’image n’est pas un signe (au sens où celui-ci représente l’unité identifiable d’un système normalisé) qu’elle présente un degré élevé d’ambiguïté – ce que nous appelons souvent “polysémie” de l’image. Réduire cette ambiguïté est la condition de la reconnaissance d’une signification. En l’absence d’un titre ou d’une légende suffisamment explicite, l’identification de l’intention de l’auteur fournit apparemment la clé la plus efficace de ce processus.

» Article initialement publié sur Culture Visuelle

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Le miroir aux alouettes de l’auto-édition (numérique ?) http://owni.fr/2010/02/24/le-miroir-aux-alouettes-de-l%e2%80%99auto-edition-numerique/ http://owni.fr/2010/02/24/le-miroir-aux-alouettes-de-l%e2%80%99auto-edition-numerique/#comments Wed, 24 Feb 2010 15:26:32 +0000 Jean-Francois Gayrard http://owni.fr/?p=8969 ecrivain

Nous accueillons sur la soucoupe Jean-François Gayrard, écrivain et blogueur français installé à Montréal au Québec. Son blog Numerikbook est consacré à l’actualité de l’édition numérique.

L’auto-édition est à la littérature ce que Kodak a été à la photographie: à trop vouloir démocratiser un art, à trop vouloir le populariser, à trop vouloir le rendre accessible au plus grand nombre, on finit par le désacraliser, on finit par lui enlever toute son essence, toute sa raison d’être.

Depuis toujours l’auto-édition est un concept qui me hérisse le poil sur les bras. Et ça empire avec l’avènement de la numérisation du livre.  Je suis un fervent défenseur de la numérisation du livre. Pas un militant, pas un évangéliste. Non, parce que ce qui me motive avant tout, c’est d’encourager la lecture, quelque soit le support de lecture, papier ou électronique et surtout c’est d’encourager les générations futures à lire, tout en étant bien conscient que ces générations là n’auront pas du tout le même rapport avec le papier que nous connaissons. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’elles ne liront pas, bien au contraire.

Revenons à l’auto-édition. Les sites Internet pour publier un livre soi-même, généralement moyennant un prix substantiel, pullulent ces derniers temps. C’est un des avantages de la numérisation; on peut facilement télécharger son manuscrit et le mettre en vente sur une plate-forme. Et là, ça y est, je suis auto-proclamé auteur ! Génial. Un mois, deux mois, trois mois passent et je me rends compte que je n’ai vendu qu’une petite dizaine d’exemplaires, avec un peu de chance. Bienvenu, dans le monde merveilleux de l’auto-édition; un beau miroir aux alouettes, ni plus ni moins.

Citez-moi un auteur célèbre contemporain qui a connu un vrai succès d’édition grâce à l’auto-édition ? Citez-en moi juste un seul ?

Comme me l’expliquait un ami éditeur tout récemment, “ce n’est pas parce que je fais du jogging tous les matins que je suis assuré de gagner le marathon“. Ce n’est pas parce que j’aime le vin qu’il faut absolument que j’achète un vignoble demain, ce n’est parce que je suis un passionné de cinéma que demain, je serai réalisateur, ce n’est pas parce que je suis un amateur de bonne bouffe que demain j’ouvrirai un restaurant gastronomique.

Ce n’est pas parce que j’écris que je serai forcément demain un auteur ou un écrivain. Bien des auteurs, qui se sont auto-proclamés eux-mêmes auteurs, ne comprennent pas pourquoi les maisons d’édition refusent leur manuscrit. Frustrés et surtout convaincus que leur manuscrit est le meilleur au monde – et c’est peut-être le cas – ils se tournent vers l’auto-édition ou de la pseudo auto-édition.  Mais ce n’est pas parce qu’un manuscrit est auto-édité qu’il est forcément diffusé puis lu. Parce que finalement qui décide, en bout de ligne, qu’on est auteur ou qu’on ne l’est pas: c’est le lecteur, celui qui achète ou pas votre livre. Et qui est le plus structuré, le plus organisé, qui possède le savoir-faire pour donner toutes les chances à un manuscrit qu’il soit numérique ou papier de trouver son lectorat? L’éditeur et sa maison d’édition, quelque soit la taille de celle-ci.

L’auto-édition est un miroir aux alouettes, le polaroid de la littérature, le Prozac de l’auteur déprimé de ne pas être publié. Tout le travail éditorial que fait une maison d’édition est précieux et indispensable, sans oublier tout le marketing de mise en marché et la promotion qu’elle va déployer pour donner une chance à un auteur d’être connu.

Pour conclure, je reprendrais les propos de Eric Simard, responsable de la promotion aux Editions Septentrion, parus sur son  blog: “de nos jours, beaucoup de gens écrivent et rêvent d’être publiés. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi (il y a pire motivation dans la vie), mais très peu y arriveront. Je ne crois pas ce que ce soit dramatique. Combien ont rêvé d’être astronautes et combien y sont parvenus?

Article initialement publié sur Numerikbook

Photo Carl M. sur Flickr

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Star Wars Uncut : un mash-up délirant http://owni.fr/2009/10/05/star-wars-uncut-un-mash-up-delirant/ http://owni.fr/2009/10/05/star-wars-uncut-un-mash-up-delirant/#comments Mon, 05 Oct 2009 17:42:26 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=4246 Le projet initié par Casey Pugh , qui a l’air d’être pas mal allumé, consiste en la récréation du premier volet de la saga de Lucas par des fans.

Star Wars : Uncut, c’est 473 scènes de 15 secondes, toutes reproduites par environ 500 amateurs, avec les moyens du bord. Certains se prennent au sérieux, d’autres préfèrent adopter un ton parodique mais tout le monde bidouille : figurines légo, détournements d’objets à n’en plus finir, vieux effets spéciaux, moins vieux effets spéciaux …

Au vu de la bande-annonce qui suit, l’ensemble risque d’être foutraque et chaotique, mais tellement original et rafraîchissant : une allégorie de la créativité sur le web ?

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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