Depuis la publication du premier set de licences en décembre 2002, cette généreuse et utile idée a fait son chemin sur les cinq continents, dépassant son cœur initial de cible, la culture, pour s’appliquer à d’autres domaines comme la science ou l’éducation.
Des dix années d’archives que nous avons parcourues, nous avons bien sûr retenu les étapes incontournables qui ont eu une large répercussion médiatique. Elles témoignent de l’évolution interne de l’organisation lancée par le juriste Lawrence Lessig mais aussi de sa réception et de la façon dont le public, qu’il s’agisse du milieu artistique, politique, médiatique, scientifique, etc, s’est emparé de l’outil. Pour en arriver là : plus de 100 affiliations travaillant dans plus de 70 juridictions.et 500 millions de contenus sous CC en 2011.
Hier soir, la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique Fleur Pellerin a répondu à notre question posée en guise de titre au compte-rendu d’une récente table ronde sur les fab labs : “Lui, président, implantera-t-il des fab labs ?”
Oui, nous voulons des #fablab partout en France. Et pas d’inquiétude, @nodesign, le design aura une place de choix ;) owni.fr/2012/12/06/lui…
— Fleur Pellerin (@fleurpellerin) Décembre 9, 2012
Cette table ronde fermée, organisée par Aymeril Hoang, conseiller innovation et économie numérique, avaient réuni jeudi dernier une quarantaine de participants issus du ministère, de l’industrie, comme PSA ou SEB, et du microcosme des startups du numérique.
Il semble que la promesse de la ministre était attendue si l’on en juge le nombre de RT, presqu’une centaine, et les réactions qui ont suivi malgré l’heure tardive. Où l’on a pu voir se positionner les différentes sphères qui gravitent autour de ces mini-usines collaboratives ouvertes conceptualisée au Center for Bits and Atoms du MIT.
Il y a d’abord le monde du design. Le designer Jean-Louis Fréchin, aka @nodesign cité par la ministre ci-dessus, s’est positionné depuis longtemps sur le créneau avec l’ENSCI-les Ateliers (Ecole nationale supérieure de création industrielle). Quitte à tordre un peu la réalité quand il affirme que “le fab lab de l’ENSCI [qu'il a créé] fête ses trente ans” : les fab labs datent du début des années 2000, c’est un concept encadré par une charte. Laquelle précise bien que les fab labs sont ouverts, contrairement à l’ENSCI-les Ateliers, réservé aux élèves. Le logo du réseau des fab labs n’y figure d’ailleurs pas, non plus que la charte. Ce qui ne veut pas dire que des objets beaux et utiles n’y soient pas fait, c’est juste un abus de langage. Et il y a fort à parier que l’engouement pour le concept va encore favoriser la dilution du terme, pour ne pas dire sa récupération. Si le gouvernement met la main à la poche, il faudra donc être attentif au type de lieux subventionnés.
@sabineblanc @nicolasbard @fleurpellerin @nicolasloubet @aymeril @laurentricard 100% d’accord. Ne pas confondre machines et fablab
— Emmanuelle Roux (@emmaroux) Décembre 9, 2012
Nicolas Bard, co-fondateur d’ICIMontreuil, un “Creative Space de 1.850 m2 qui fait exister les idées des artistes, créateurs, entrepreneurs et startups de la Création” s’est aussi immiscé.
@fleurpellerin : ICIMontreuil aura un Fablab de 20 postes (Imprimantes 3D + découpe laser etc) cc @sabineblanc @nicolasloubet @ouishare
— NicolasBard (@NicolasBard) Décembre 9, 2012
Sauf que là encore, le fab lab sera réservé aux adhérents du lieu. ICIMontreuil louera en effet des espaces de travail et mettra à leur disposition des labs communs, dont le futur fab lab. En septembre, la ministre avait indiqué vouloir “faire du 93 un laboratoire du numérique” et “[s]’impliquer davantage à Montreuil”. Tout en démentant lorgner sur la mairie en 2014, actuellement occupée par Dominique Voynet.
La sphère éducative a aussi donné de la voix, en l’occurrence le Fac Lab de Gennevilliers et l’une de ses co-fondatrices, qui porte aussi un projet en province, La Forge des possibles. Pour mémoire, les fab labs sont nés dans le milieu universitaire. La dimension éducative est primordiale, souligne sa charte : partage des connaissances, apprentissage par les pairs, etc.
@fleurpellerin Oui des #Fablab en France et un fort lien avec l’école tel qu’évoqué jeudi. Des espaces citoyens ouverts aux entreprises
— Forge des Possibles (@Forge_Possibles) Décembre 9, 2012
@nicolasloubet @fleurpellerin @ouishare @sabineblancNos portes sont grand ouvertes :-)
— faclabucp (@FacLabUcp) Décembre 9, 2012
L’économie collaborative a également donné du tweet, en l’occurrence le collectif OuiShare :
A quand une table ronde économie collaborative ? :) RT @fleurpellerin: Oui, nous voulons des #fablab partout en France owni.fr/2012/12/06/lui…
— OuiShare (@OuiShare) Décembre 9, 2012
Et bien sûr, les journalistes aussi ont sauté sur l’occasion :)
hum j’ai envoyé une demande de table ronde *ouverte* sur les fab labs en votre présence @fleurpellerin voilà un mois :) cc @ouishare
— sabineblanc (@sabineblanc) Décembre 9, 2012
En attendant une hypothétique table ronde et une annonce formelle de plan de développement des fab labs, on devrait au moins voir Fleur Pellerin tripoter une imprimante 3D, photogénie oblige. Et tant pis si la découpe laser est bien plus utile :
@fleurpellerin @nicolasloubet @ouishare cette obsession pour l’impression 3D… ce n’est pas l’outil le plus utilisé dans un fab lab
— sabineblanc (@sabineblanc) Décembre 9, 2012
Enfin ! Les fab labs et autres lieux dédiés à la fabrication numérique personnelle, sont arrivés aux oreilles du gouvernement français. Ce matin, une table ronde était organisée au cabinet de Fleur Pellerin sous la houlette d’Aymeril Hoang, conseiller innovation et économie numérique de la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique.
Intitulé “Développement des fab labs en France”, le séminaire avait surtout pour but de présenter deux visions de la fabrication personnelle, entre gros sous et visées moins directement lucratives. La quarantaine de participants étaient issus du ministère, de l’industrie comme PSA ou SEB et du microcosme numérique start-upers incontournable tel FaberNovel.Fabien Eychenne de la Fing a d’abord présenté les fab labs, puis Emmanuelle Roux et Laurent Ricard ont exposé un cas concret avec leur FacLab, premier fab lab porté en France par une université. Enfin, Mark Hatch, le DG de TechShop, une chaine d’ateliers géants pour bricoleurs très pointus, est revenu sur sa société. La rencontre était d’ailleurs motivée par la venue de Mark Hatch, il ne s’agissait pas d’une initiative du cabinet.
L’entrepreneur a dévoilé ses plans de déploiement, en présence de Paul Duggan, en charge du développement en Europe : Paris, Londres, Milan… sont en ligne de mire, entre autres.
TechShop, s’il met en avant son côté communautaire – mais quelle société qui ne vit pas sur la planète Mars ne le fait pas ? – est une entreprise classique, déjà forte de six ateliers, tous aux États-Unis. Elle vise maintenant le vieux continent, forte de l’engouement pour la fabrication personnelle, dont les possibilités ont été décuplées par les machines-outils assistées par ordinateur et la force de partage et d’entraide propre à Internet. Elle se décrit ainsi :
Studio de prototypage et de fabrication, hackerspace, centre d’apprentissage, TechShop offre l’accès à de l’équipement et des logiciels d’une valeur d’un million de dollar.
Son appétit de déploiement rappelle celui des pionniers du PC dans les années 70-80. On va changer le monde, en se faisant des dollars au passage, pour votre bien et celui de l’économie en général puisque les TechShops sont des endroits idéaux pour faire du prototypage rapide et donc incuber son entreprise, entre autres. Le premier a d’ailleurs ouvert en 2006 à Menlo Park, au cœur de la Silicon Valley, où les hackers-futurs entrepreneurs tripatouillaient les machines au Homebrew computer Club. Google y serait aussi né, dans un garage bien sûr.
Devant les petits frenchies, Mark Hatch a fait la démonstration de son gros potentiel avec une présentation bien calibrée illustrée d’exemples propres à faire rêver. Une rafale de chiffres à faire pâlir en cette période de crise. Les participants ont pu voir la photo d’Obama au bureau oval tapotant sur son iPad avec une coque DODOcase. Le prototype du DODOcase a été conçu pour moins de 500 dollars et faisait cinq mois après son lancement 1 million de dollars de CA. Sans le TechShop, son idée serait restée au placard puisque sa réalisation requiert une machine qui coûte 25 000 dollars. Il a juste dû payer des frais d’entrée, 125 dollars par mois ou 1 395 dollars par an. Même parcours étincelant pour Square, un lecteur de carte de crédit que l’on branche sur son mobile ou sa tablette. Deux millions d’Américains l’utilisent maintenant, en versant au passage à chaque transaction une commission de 2,75%.
L’entreprise incarne l’état d’esprit maker, si cher aux Américains : une foi en la capacité créatrice qui a fait le succès du modèle américain, cette idée d’une nation qui se forge elle-même. Son slogan en témoigne :
Build your dream here. What do you want to make ?
En face, pour représenter les fab labs, nous avions donc Emmanuelle Roux et Laurent Ricard. Une tout autre vision, même si les deux types de lieux permettent de faire du prototypage rapide et de faciliter de façon générale l’innovation ascendante et la créativité. Déjà, c’est moins l’usine : les machines y sont plus modestes et la dimension reste humaine alors qu’un TechShop fait 1 500 m2.
Surtout, les fab labs s’appuient sur une charte où les valeurs de partage, d’ouverture, d’entraide et d’éducation sont fondamentaux. On y privilégie les formats ouverts, qu’il s’agisse du logiciel ou du matériel. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne puisse pas y faire développer un produit pour développer derrière une activité, mais ce n’est pas le but final :
Secret : les concepts et les processus développés dans les fab labs doivent demeurer utilisables à titre individuel. En revanche, vous pouvez les protéger de la manière qui vous choisirez.
Business : des activités commerciales peuvent être incubées dans les fab labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et de bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.
En théorie, les fab labs sont ouverts et gratuits, dans la réalité, c’est parfois un mix des deux, car il faut bien financer l’endroit. Au Fac Lab, c’est totalement gratuit, mais trois formations autour des fab labs vont être proposées pour assurer des revenus en ces temps de disette de fonds publics.
Nos deux intervenants ont souligné ces dimensions propres aux fab labs, explique Emmanuelle Roux, en particulier l’aspect éducatif :
J’ai insisté sur l’importance de permettre aux plus jeunes d’accéder à ce genre de lieu. Et il faut mailler tout le territoire, ne pas se cantonner à Paris.
Avis à Vincent Peillon, notre ministre de l’Education qui souhaite refonder l’école, chapitre 42. Aux États-Unis, une association comme School Factory essaye déjà depuis quelques années d’amener ce type de lieu dans l’école, pour favoriser l’apprentissage par le faire, en mode projet et dans une optique de partage des connaissances. Bref l’envers du système français actuel.
Emmanuelle Roux a attiré l’attention sur les nombreuses structures publique déjà existantes, mairies, écoles et surtout EPN (espace public numérique), qui pourrait accompagner ce développement. Incubateur de fab lab, voilà une belle reconversion potentielle pour les EPN.
Apparemment, le message est passé : “Aymeril Hoang m’a dit qu’il en parlerait à la ministre, il a évoqué la possibilité de visiter le FacLab. Il souhaite aussi avancer la réflexion sur les EPN.” Owni est ravi, qui a sollicité le cabinet de Fleur Pellerin pour une table ronde sur le sujet le mois dernier, ainsi que celui de Montebourg, sans succès.
Les préoccupations des industriels n’étaient pas forcément sur la même longueur d’onde. Non pas que ces représentants aient découvert le sujet : travaillant sur la R&D, ils étaient déjà bien sensibilisés. En revanche, les questions de propriété intellectuelle les préoccupent davantage. “Seb était inquiet à l’idée de se faire copier, je leur ai expliqué qu’ils ne pourront pas l’empêcher”.
L’exemple de MakerBot, qui a mis de l’eau propriétaire dans son vin open source, parce que des fonds ont mis gros dessus, n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : pour faire du cash, il faut fermer les modèles ont compris certains dans un raccourci erroné. Les nouveaux outils ne servent à rien si les schémas mentaux et économiques sont toujours ceux du 20e siècle.
Si la Chine ou la Russie se sont déjà engagées dans des plans de subventions à ce type de lieux, tout reste à faire en France. Plus que les sommes mises sur le tapis, l’orientation qui sera choisie sera décisive, création d’euros ou de valeur sociale.
On attend avec impatience le positionnement d’Arnaud Montebourg, qui vantait la troisième révolution industrielle que les fabs labs sont censés porter. Qui sait, François Hollande annoncera peut-être lors de son grand rendez-vous avec la presse :
Moi, président, j’implanterai des fab labs sur toute la France.
Si le PC vous auditionne aujourd’hui sur les fab labs, c’est d’abord parce que Yann Le Pollotec n’a pas arrêté de nous faire chier. (rires)
Plus sérieusement, le parti s’interroge sur les rapports entre écologie et production. Pierre Laurent, notre secrétaire national, a prononcé un discours important à ce sujet à Lille récemment. On est communiste, donc on est pour le partage. On est communiste, donc on est pour la révolution, et nous avons saisi le caractère révolutionnaire de ces outils présents dans les fab labs.
Hier, j’ai passé trois bonnes heures devant une poignée de membres du Parti communiste français, dont quelques cadres, pour leur expliquer en quoi consistait les fab labs, ces espaces collaboratifs de prototypage rapide nés au MIT qui font fantasmer aussi bien à droite qu’à gauche en raison de leurs supposées vertus à répondre aux défis posés par les crises actuelles. Cette audition était organisée par le LEM, ce Lieu d’Étude sur le Mouvement des idées et des connaissances, think tank (sic) du PC, au siège parisien place Colonel-Fabien, hiératique et surréaliste bulle temporelle tout droit sorti d’un James Bond période Sean Connery.
“Enfin !”, avais-je soupiré quand Yann Le Pollotec m’avait contactée à ce sujet voilà deux mois, suite à un article que j’avais écrit dans Le Monde diplomatique. Que le PCF s’empare avec passion de ces lieux où les citoyens se réapproprient les outils de production et donc les savoir-faire, fab labs mais aussi hackerspaces et makerspaces, me semblait une évidence. Et une opportunité pour donner un coup de fouet à un appareil qui ne brille pas par son image avant-gardiste. Le papier du Monde diplo commençait d’ailleurs par un appel du pied en forme de clin d’œil :
Se réapproprier les moyens de production : Karl Marx en rêvait, un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) l’a fait.
Informaticien de profession, collaborateur de Jacky Hénin à la commission du Parlement européen sur l’industrie, et permanent du PC, Yann est un peu désolé de la mésaventure, lui qui dépense une partie de son énergie sur ces thématiques. Pour préparer l’audition, il me fait un petit historique. Le message essentiel : pédagogie.
J’ai fait une première intervention là-dessus il y a un an en comité central, la réaction a été : c’est quoi ce truc ?
En guise de métaphore sur le ton à adopter, il m’évoque l’exemple de Galilée plaidant en italien plutôt qu’en latin pour toucher un maximum de gens. Faire le même travail d’explication qu’au moment de l’arrivée de l’Internet grand public.
Lui-même débroussaille le terrain pour ses camarades, comme en témoigne l’épais dossier qu’il me tend. Il a entre autres glissé un paragraphe dans le texte qui servira de base à la discussion au prochain congrès du PC en février et qui est envoyé à tous les adhérents, soit environ 130 000 personnes :
Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec l’impression 3D, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les fab labs qui sont les moteurs de ce mouvement.
Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédite.
En bullshit langage théorique, il est temps au PC de “dépasser la vieille opposition entre les économistes portés sur la révolution informationnelle et ceux qui soutiennent la révolution scientifique et technique, s’enthousiasme Yann, c’est le cœur de la troisième révolution industrielle”.
Au MIT, ça se traduit par le “Center for bits and atoms“, structure créée en 2001 par Neil Gershenfeld pour accompagner le développement des fab labs, “une initiative interdisciplinaire explorant l’interface entre les sciences de l’informatique et les sciences physiques”.
Tâche d’autant plus ardue que le concept de troisième révolution industrielle ne fait pas consensus, y compris au sein du PC : “C’est très centré sur l’énergie, détaille Yann. Il y a aussi la question du capital en suspend. On ne peut pas vivre d’amour et d’eau fraîche, il faut une réponse au salariat.”
Malgré toutes ces bonnes précautions, il y a eu hier comme qui dirait un choc des cultures, des logiques, des démarches. Parler à des militants dans une logique de parti, je sais pô faire, contrairement à la Fing par exemple. Faire la politique se limite dans mon esprit à écrire des articles sur des sujets qui me semblent porter en germe les fondements de la société de demain, en assumant un coté militant. Passer un peu à la pratique aussi, en organisant des Open Bidouille Camp.
Pour le reste, j’ai une fâcheuse tendance à botter en touche en permanence, de préférence en mode pirouettes faciles. Bref du trolling. Chacun son tour : j’avais moi-même essayé de convaincre Okhin, de Telecomix, qu’il avait une conscience politique, il m’avait répondu dans un éclat de rire : “on est une inconscience politique !”
Après une présentation, le temps d’échange a donc parfois donné lieu à des dialogues de sourds, à l’image de la première longue question posée par Yves Dimicoli, économiste, membre de la commission économie-social-finance du PCF et impeccable moustache à la Frères Jacques. Il parle de “valeur d’usage”, de “maîtrise du processus”, pour finir par :
Et là, gros blanc, vieux souvenirs d’oraux foireux où j’ai mouliné dans ma tête les termes de mon interlocuteur pour constater avec désarroi que mes réponses en forme de Y ne rentrent pas dans sa question en forme de X. Et c’est d’autant moins le cas que :Comment fait-on pour court-circuiter le marché ?
1/ Je n’ai rien contre le marché et le capitalisme en général.
2/ Comme l’indique clairement leur charte, il n’est pas question avec les fab labs de s’en passer. Certes, Neil Gershenfeld veut “créer plutôt que consommer”, mais ça n’en fait pas pour autant un fils spirituel de Karl Marx.
3/ Il faudrait des heures pour élaborer une réponse complète.
Aussi judicieuses soient-elles, il y a beaucoup d’interventions dont je ne sais si ce sont des observations, des questions, des observations qui amènent réponses. Par exemple Claude Ginin, la soixantaine, petite veste de tweed :
Cela pose la question de la formation, il faut bien apprendre comment marchent les machines pour savoir ce qu’on peut en tirer. [...] Vous avez dit que les fab labs actuellement ne sont pas complètement coupés du marché. Mais du coup, qu’est-ce qui domine ?
Et de relever au passage que le marché n’a pas toujours existé. Il y a aussi cette remarque de Santiago Serrano, adjoint délégué au développement économique et commercial, à l’emploi et aux nouvelles technologies au Blanc-Mesnil, que ne démentiront pas les levées de fonds de Co-voiturage.fr ou MakerBot par exemple :
Il y a le danger du développement d’un marché de la valeur d’usage.
Yves Dimicoli relance :
Nous sommes à la recherche d’une nouvelle systémique. Comment on aide à développer ce potentiel ?
Je leur répète que c’est à eux de s’emparer de ces lieux pour leur faire suivre la pente qui leur parait la plus juste. Un peu lassée :
Il y a une valeur importante chez les hackers, ça s’appelle la do-ocracy, le pouvoir à ceux qui font. Organisez des visites, expérimentez, soutenez ceux qui, comme Yann, portent des projets
Parmi les soutiens de Yann, il y a Elvire. Elle souhaite mobiliser les jeunes autour du futur fab lab via la robotique. Le motto de la troisième révolution industrielle l’accroche. Avant l’audition, elle m’a expliqué avant avec franchise :
Ne pas être en retard pour une fois.
Devant ses camarades, elle précise sa démarche :
Je vois les fab labs comme une plate-forme de réflexion pour réinterroger une population en lui mettant une expérience à disposition : comment se l’approprient-ils ? Créent-ils du lien social ? La détournent-ils ? C’est une mise en abyme. Comment une population peut percevoir une mairie dirigée par un maire communiste ? Ils ne font plus la différence depuis le temps.
Et si je trolle parfois, si nous ne parlons pas la même langue toujours, c’est avec plaisir que la conversation se poursuivra autour d’une bière. Le sujet les a passionnés visiblement, les enjeux ont été compris, bref le message est passé. Je ne sais pas si l’UMP, le PS ou les écolos ont organisé de semblables débats. Et Michel Laurent, qui s’occupe du LEM, pointe avec justesse les limites de ma démarche du “juste fais-le” et des petits pas : à un moment donné, il faut passer à la vitesse supérieure.
Vous me faites penser à la chanson de Coluche : “je ne promets pas le grand soir, juste à manger et à boire.” C’est bien mais aujourd’hui, ils servent 8 fois plus de repas. Nous, on veut le grand soir.
Et force est de reconnaitre que sur ce terrain, ça se passe plutôt en Chine ou en Russie qu’en France, avec des fonds conséquents investis par l’État. En attendant que mille fab labs fleurissent dans les villes PC, je leur suggère d’en faire un mobile à la prochaine Fête de l’Huma. Au sein d’un Open Bidouille Camp ? Yann se marre :
Il y aura une recommandation du conseil national, même si ça suffit pas forcément !
La lettre de mission [pdf] de Marc Schwartz, le médiateur dans l’affaire Lex Google, confirme que le bras de fer se joue exclusivement entre Google et l’association des éditeurs de presse d‘information politique et générale (IPG). Pour mémoire, l’IPG entend faire payer Google, accusé de faire son beurre sur le dos des éditeurs de presse en vendant de la publicité sur ses services qui agrègent des liens menant vers des articles, alors que le géant américain refuse de payer pour un contenu qu’il n’héberge pas.
Le document envoyé conjointement cet après-midi par Bercy et par la société Mazars, où travaille Marc Schwartz, ne fait référence qu’à ces deux acteurs :
Nous souhaitons vous confier la mission de faciliter le dialogue et la négociation entre Google et les éditeurs de presse réunis par l’association IPG, et la conclusion d‘un accord entre ces deux parties, qui repose sur un système équitable de partage de la valeur.
Au risque de fâcher encore plus les confrères opposés à cette idée de taxer Google. Maurice Botbol, le président du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, qui comprend Mediapart, Rue89 ou Slate) avait ainsi exprimé ses doutes sur la démarche de l’IPG, ajoutant “j’espère que l’ensemble des parties prenantes seront associées aux discussions. Il serait paradoxal que seule l’IPG y participe, car il est ici question de presse en ligne.”
Johan Hufnagel, le rédacteur en chef de Slate.fr, a résumé avec son franc-parler habituel le point de vue du Spiil en alpaguant les ministres de l’Économie numérique et de la Culture sur Twitter :
Foutage de gueule de @fleurpellerin et Filippetti: tous LES éditeurs de presse ne sont représentés par l’IGP. #scandale twitter.com/johanhufnagel/…
— Johan Hufnagel (@johanhufnagel) Novembre 28, 2012
Toutefois, dans son communiqué accompagnant la lettre de mission, Marc Schwartz évoque “les éditeurs de presse” en général, sans faire référence à l’IPG. Une façon de montrer qu’il a prévu d’autres chaises autour de la table des négociations ? Outre d’autres éditeurs de presse, il serait logique que Microsoft, Yahoo!, Facebook ou Twitter, qui proposent des services similaires à Google, donnent leur point de vue.
Quoi qu’il en soit, il dispose toujours d’un délai très court pour trouver un accord, prié de “transmettre les conclusions de [sa] médiation avant la fin du mois de décembre 2012″, conformément au vœu de François Hollande. Faute de quoi, les parlementaires prendront le relais, et à charge pour eux d’élaborer une loi qui instaure un droit voisin pour la presse en ligne, dictée par l’IPG, et qui est loin de faire l’unanimité, y compris au sein du gouvernement. Et un casse-tête juridique qui pourrait faire le jeu de Google, armé de ses juristes aguerris.
Ils n’ont pas chômé les Bretons : ce samedi, ils ont organisé le second Open Bidouille Camp à Brest (OBCB) en partenariat avec Owni, soit deux petits mois après la première édition à Saint-Ouen (93) que nous avions co-organisé. Cet événement qui célèbre le bricolage et les savoirs-faire, Do It Yourself en anglais, sous sa forme traditionnelle ou boostée au numérique, a inspiré le jour-même ceux qui le suivaient à distance : “Cela a commencé avec des tweets le 22 septembre”, se souvient Antony Auffret, des Petits Débrouillards Bretagne, une association d’éducation populaire œuvrant en particulier dans les sciences.
ça a vraiment l’air bien #obcamp @mainsdoeuvres ça donne en vie pour brest !
— Antony AUFFRET (@antonydbzh) Septembre 22, 2012
“Les p’tits déb’”, comme on les appelle, nous ont très vite contacté et zou, c’était parti, d’autant plus vite que le terreau était déjà bien favorable :
Parce que des acteurs brestois agissent au quotidien dans les quartiers avec les habitants et qu’il convient de mettre en lumière ces pratiques. Parce la ville et le pays de Brest est déjà engagé depuis de nombreuses années dans l’appropriation sociale d’internet et de ces nouvelles formes de faire ensemble.
Quand nous, le collectif OBCB, avons vu l’évènement de Saint-Ouen et sa grande médiatisation sur le web, nous nous sommes dit que Brest avait toute légitimité pour être la deuxième ville de France à organiser un Open Bidouille Camp.
S’inscrivant dans la logique portée par la Ville illustrée par les 100 PAPIs qui maillent le territoire, le Forum des Usages Coopératifs, Brest en Bien Communs, l’Open Bidouille Camp s’adressera à toutes et tous.
Épaulés par l’Association des filières de l’électronique, de l’informatique et des télécoms (AFEIT), et la Maison du libre, les Petits Débrouillards ont rassemblé une vingtaine de stands dans le hall de la mairie. Soit autant que les Parisiens. Conformément à la philosophie d’OBC, l’événement était gratuit, entre autres grâce à une collecte sur la plate-forme de crowdfunding made in Bretagne Octopousse. En tout, plus de 1 000 personnes ont mis la main à la pâte, des jeunes, des moins jeunes, mais “peut-être pas assez de 15-25 ans”, note Antony. Autant de monde à cet endroit, “c’est rare”, souligne-t-il.
#obcb Ou comment faire blinker une GROSSE Led avec un #Arduino géant ! Yeah ! Une réalisation Totoproduite ! twitter.com/JulieLeGoic/st…
— Julie Le Goïc (@JulieLeGoic) Novembre 16, 2012
Conception de capteurs, impression 3D, fabrication de meubles design, récupération de composants électroniques, installation de logiciels libres, etc, les stands privilégiaient les ateliers pratiques. Mais pas encore assez au goût des organisateurs, et la place manquait. Du coup, ils voient plus grand pour la prochaine édition : “Nous aimerions louer un grand gymnase”, annonce Antony.
Et pourquoi pas sur un week-end, histoire que les tenanciers de stand en profitent aussi en tant que public et prennent davantage le temps d’échanger ? “Je n’ai pas vu donc la journée passer, témoigne bluedid29, “musicien bidouilleur” qui a fait un atelier logiciels libres, vers 17 heures après le rangement j’ai pu enfin faire un tour dans les ateliers et là c’était vraiment formidable toute cette créativité, ces bidouilles diverses, incroyables, que du bonheur :)” “Super expérience c’était génial tout ça. Sur les ateliers, souvent une seule personne, a renchérit Arnaud de la Maison du libre sur la mailing list. C’est compliqué de faire une pause, de profiter de la fête. Il a manqué un moment où on boit un coup tous ensemble, soit on installe la veille et on mange ensemble, soit on range le lendemain, et du coup on bouffe ensemble le soir” .
@hugobiwan #obcb plus de 1000 visiteurs ! Ambiance super genial comme d hab a #brest ! A refaire a brest et sur toute la #bretagne ;)
— Laurent (@LauFla) Novembre 18, 2012
Une édition printanière et automnale sont déjà dans les cartons. OBCB a ainsi déjà reçu l’invitation de Michel Briand, élu municipal en charge d’Internet et du multimédia, pour monter le camp pendant Brest en Biens Communs, en octobre. Et pour pérenniser cet “engouement populaire”, nos Bretons bidouilleurs ont bien l’intention de réfléchir aux différentes façons de s’inscrire dans le temps.
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Photos d’Antony Auffret des petits débrouillards (cc) Voir le portfolio ici.
À voir aussi ce reportage sur Tebeo, la télévision locale.
Titre emprunté à Julie Le Goïc /-)
Fondés en septembre 2009 par Eric Carreel et Clément Moreau, Sculpteo propose des services d’impression 3D. La petite entreprise a reçu cette semaine un Best of Innovation Awards 2013, catégorie Software & Mobile app mobile au prestigieux Consumer Electronic Show, raout annuel de l’électronique grand public qui aura lieu dans deux mois à Las Vegas. Il récompense leur 3DPcase, une application qui permet de concevoir des coques d’iPhone personnalisées. Un pied de nez à l’inquiétude sur “le désert français de l’électronique grand public” déplorée dans Le Monde au même moment, relevait Henri Verdier. Toutefois, si story il y a, pour le success complet il faudra attendre 2014 : la société espère être rentable à cette échéance. Et la France n’a pas encore mis le paquet sur cette technique en pleine croissance, contrairement aux Etats-Unis, où Barack Obama a inauguré cet été l’Institut national de l’innovation pour la fabrication additive, National Additive Manufacturing Innovation Institute (NAMII), 70 millions d’investissements dont 30 de l’État.
Retour sur la petite histoire de cette PME avec Clément Moreau, un ingénieur passé par les télécoms, où il développait les logiciels qui font tourner les box Internet ou des téléphones.
En vérité ? Le fun ! En rencontrant cette technologie dans mon ancienne vie, je me suis dit que c’était tellement fun qu’il fallait vraiment la partager avec plus de gens. Il fallait faire sortir cette petite merveille des labos des grosses sociétés, pour que plus de gens en profitent ! Pas très sage tout ça …
Chiffres-clés
Nombre de salariés : une vingtaine
Rentabilité : prévue pour 2014
Investissement R & D : 1 million d’euros par an.
Nous avons commencé par monter rapidement un site internet très simple, qui permettait juste à l’internaute d’envoyer son fichier 3D, de le visualiser et d’en commander la réalisation. C’est encore un des modes d’utilisation du site sculpteo.com.
Ce site a fonctionné, mais à notre goût il ne remplissait pas complètement la mission que nous nous étions donnée : que la technologie d’impression 3D profite à plus de gens. Pour le grand public, créer son fichier 3D restait trop long et compliqué.
Nous avons alors noué des partenariats avec des fournisseurs de solutions de création simples (Dassault, Autodesk, Tinkercad… ), et nous avons aussi réfléchi au rôle que devaient avoir les designers professionnels.
Pour les autres acteurs de l’impression 3D, la tentation est grande de les faire disparaître au profit d’une communauté d’amateurs, plus ou moins doués et exigeants. Nous pensons au contraire qu’ils ont un rôle fondamental à jouer, et nous avons voulu leur créer des outils pour qu’ils puissent utiliser toute la puissance de l’impression 3D, en proposant par exemple à leurs clients des designs modifiables (des “meta-designs”, pour Jean-Louis Fréchin, fondateur de l’agence NoDesign).
C’est comme ça que nous sommes arrivés aussi dans le développement d’applications mobiles, qui sont des moyens extrêmement simples et efficaces d’interagir avec le design personnalisable.
Parallèlement, nous avons amélioré nos matériaux : plastiques, plâtre coloré, plastiques teintés ou métallisés, résines haute définition (maintenant aussi en finition peinte), plastiques polis, et même des céramiques !
Les matériaux s’améliorent encore, deviennent de plus en plus nobles. Mais ce qui nous passionne le plus actuellement, c’est de voir que de plus en plus d’acteurs veulent utiliser nos outils et notre technologie pour les intégrer dans leurs business (existant ou naissants), et se mettre à commercialiser rapidement des lignes de produits en impression 3D, ou contenant de l’impression 3D, comme des opérateurs téléphoniques, des spécialistes d’objets de décoration ou de l’ameublement, etc. C’est ça la troisième révolution industrielle !
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Peut-être, mais rien de comparable avec les dotcoms des années 1999-2000. Par ailleurs, le business d’impression 3D est un business d’objets physiques : des objets imprimés, des imprimantes … tout cela a les pieds bien sur terre, peu enclin aux grosses envolées possibles quand des startups se revendaient les unes aux autres des “visiteurs uniques” !
Les gouvernements successifs nous aident déjà bien à travers les statuts de Jeune Entreprise Innovante et le Crédit Impôt Recherche, qui sont deux dispositifs extraordinairement sains : si vous faites de la recherche, l’État en prend un pourcentage à sa charge. Pourcentage suffisamment élevé pour que ça change vraiment la donne, et suffisamment faible pour éviter les labos dont le seul objectif est de ramasser de la subvention, comme cela peut exister avec d’autres dispositifs.
L’accès aux fonds propres des startups doit être par ailleurs facilité et encouragé. C’est vraiment le nerf de la guerre, et l’une des plus grosses différences avec nos amis américains.
Inscrire la propriété intellectuelle dans la Constitution tunisienne, en voilà une idée saugrenue et inquiétante qui mobilise le Parti Pirate local, T’Harrek et Fi9, deux groupes autonomes œuvrant pour renouveler la démocratie, et HackerScop, la coopérative de travailleurs montée par le hackerspace de Tunis. Ce samedi, ils organisaient une table ronde de sensibilisation avec des cinéastes et des vendeurs de DVD. Elle fait partie de leur contre-opération, baptisée “el fikr mouch milk”, “l’idée n’est pas une propriété”.
Actuellement, le pays est en transition. Suite au départ du dictateur Ben Ali en janvier 2011, une assemblée a été désignée pour rédiger une nouvelle Constitution, avec le 23 octobre dernier comme date butoir. Si l’objectif n’est pas complètement atteint, une partie a déjà été dévoilée. L’article 26 est clair :
La propriété intellectuelle et littéraire est garantie.
Cet été, les Tunisiens ont vu surgir une “campagne nationale de sensibilisation sur la contrefaçon en Tunisie”, Bidoun taklid, littéralement “sans contrefaçon”. Mais ce n’est pas un plagiat de la chanson de Mylène Farmer. Empreinte de main rouge sang en guise de logo, fond noir et gris anthracite, musique du spot radio dramatisante (on s’est permis de l’embedder sans leur autorisation), la Tunisie a aussi peur que la France de Bruno Gicquel :
Azza Chaouch, membre de hackerspace.tn et étudiante en droit, se souvient :
On ne comprenait pas d’où ça venait, en Tunisie, la contrefaçon fait vivre plein de monde, veulent-ils plus de chômeurs ? Et ils ont mis les moyens : il distribuait des tracts à la gare, avec du beau papier, ils ont un site. On sentait que ça venait de l’extérieur.
De fait, ça vient en partie de l’extérieur. Lancée officiellement par le Centre des jeunes dirigeants de Tunisie (CJDT), a reçu le soutien du bureau méditerranéen du Middle East Partnership Initiative. Le MEPI, qui n’a pas répondu à nos questions, tout comme le CJDT, est un outil du soft power américain financé par le Départment d’État américain. Logique, selon Slim Amamou, l’emblématique figure de la révolution tunisienne, membre du Parti Pirate :
La propriété intellectuelle est une politique d’État pour les États-Unis. Les ambassadeurs américains sont tenus de présenter un rapport chaque six mois sur l’avancement du pays dans lequel ils sont en termes de propriété intellectuelle.
Et de pointer vers un des câbles diplomatiques fuités par WikiLeaks sur le climat de l’investissement début 2010. Il souligne les efforts de la Tunisie pour rentrer dans le rang :
Bien que le concept et l’application de la protection de la propriété intellectuelle en soient encore à leurs débuts, le gouvernement fait des efforts pour susciter une prise de conscience et a accru son effort de régulation dans ce domaine.
Car la Tunisie est un pays où la contrefaçon de biens matériels fleurit, ce qui lui vaut d’être sous la pression depuis plusieurs années de la part de l’OMC. Le pays est en effet membre de l’Organisation mondiale du commerce depuis 1995, organisme international où les États-Unis pèsent de tout leur poids. La législation a déjà évolué dans son sens avec une batterie de lois en 2001.
Et son soutien direct n’est pas nouveau. Le câble évoque “une initiative soutenue par le gouvernement américain, mise en œuvre par le ministère du Commerce, en lien avec le United States Patent and Trademark Office (USPTO) [qui] fournit une formation aux fonctionnaires dans le champ du renforcement de la régulation de la propriété intellectuelle.” Et d’enchainer sur l’annonce d’une nouvelle législation dans le sens des États-Unis.La chute de Ben Ali ne semble pas avoir diminué l’influence états-unienne dans le domaine. L’argumentaire rappelle celui d’ACTA, le traité anti-contrefaçon initié par les États-Unis et le Japon, négocié en secret, jugé liberticide et rejeté à ce titre par le Parlement européen cet été. De façon habile, la culture n’est pas pour le moment dans leur collimateur : “notre campagne s’intéresse seulement a la contrefaçon de marques mais pas encore à la contrefaçon des autres matières de la propriété intellectuelle.”
En revanche, il met en avant les dangers pour la santé et la sécurité des consommateurs, plus à même de toucher le quidam :
Pour le consommateur la contrefaçon présente de grands dangers notamment sur sa sante et sa sécurité en fonction des produits contrefaits qu’il consomme ces produits peuvent aller des médicaments contrefaits aux jouets et pièces de rechange automobiles aux produits cosmétiques, d’électroménagers, d’habillement ou alimentaire qui ne respectent aucune norme de qualité.
L’impact économique est aussi souligné : “La contrefaçon se traduit par une perte de chiffre d’affaire et de bénéfice et par conséquent elle se traduit par une baisse de la rentabilité et la perte de certains marchés”, etc.
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Par principe, le Parti Pirate est hostile à la notion de propriété intellectuelle. Slim martèle :
D’abord la propriété intellectuelle comme concept c’est une aberration. Ils veulent faire passer des gens qui copient pour des voleurs. La copie est un droit humain depuis le début de l’humanité. Point.
Quant à l’argument économique, encore faut-il connaître la nationalité des entreprises concernés. Pour les opposants au projet, cette inscription dans la Constitution ne ferait qu’aggraver l’économie déjà en berne :
Il est difficile de dénombrer le nombre exact des familles touchées par cette loi, mais nous savons qu’un minimum de 100 000 familles sont dépendantes de ses petits commerces qui vivent de la vente de DVD, ou de la vente des démodulateurs TV, ou encore des produits dérivés à bas prix venus de Chine reproduisant des technologies autrement trop coûteuses pour le marché tunisien.
Plus largement, les étudiants n’ont pas les moyens d’acheter des livres et apprennent grâce aux photocopies, et le public tunisien n’a pas les moyens de s’offrir les DVD originaux des grandes multinationales vendus à un prix exorbitant.
Pour échelle, le kebab vaut là-bas quatre fois moins cher qu’en France, alors acheter des titres sur iTunes… Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que le centre commercial Galerie 7 et ses boutiques fleurant bon la copie de DVD ait pignon sur rue.
“Je ne m’habille plus, je ne regarde plus rien, ironise Azza. On gère notre quotidien grâce à la contrefaçon. Déjà aux États-Unis, ce n’est pas logique, alors ici… Comme dit Godard, ‘pour faire des films, il faut voir des films.” La citation ne déplairait pas à JLG, grand pourfendeur de la Hadopi.
Ses confrères tunisiens sont les premières cibles de cette contre-campagne, “parce que c’est le plus médiatique et parce que les cinéastes sont les plus virulents défenseurs de la propriété intellectuelle, justifie Slim Amamou. Nous avons commencé par faire du porte-à-porte chez les vendeurs de DVD. Nous leur avons fait signer une pétition contre la propriété intellectuelle”.
De la journée d’échange, il est sorti “une recommandation pour le secteur qui satisfait les cinéastes et évite la propriété intellectuelle”, se félicite l’activiste. Azza renchérit :
Il faut penser la Tunisie et pas imposer un modèle étranger.
“Introduire la notion de Propriété Intellectuelle dans la Constitution à pour unique but de faire disparaitre ce tissu économico-culturel, renchérit Slim, pour mettre en place un nouveau tissu sous le contrôle des multinationales.”
Durcissement ou pas, une chose est sûre : le site de Bidoun ne risque pas d’être pompé. Sauf à être fan de l’esthétique web des années 90.
]]>“Vente d’armes électroniques : la fête est terminée”, se réjouissaient mercredi nos confrères de Reflets.info. Ils saluaient “l’adoption par le Parlement Européen d’amendements destinés à encadrer plus strictement l’exportation d’armes électroniques. Ces amendements au règlement (CE) n° 428/2009 (Format PDF) sont le fruit des travaux de la parlementaire néerlandaise Marietje Schaake.”
Suite aux révélations sur la vente d’outils d’espionnage des communications aux dictatures syriennes et libyennes par des entreprises occidentales comme Amesys ou Siemens, l’Union européenne ne pouvait pas rester immobile : le Printemps arabe a fait souffler un vent d’auto-critique sur nos institutions. Citant Numerama, Reflets se félicite encore : “un règlement en droit européen est obligatoire et d’application immédiate.”
#Censorware : ” La fête est terminée” pour @bluetouff is.gd/xjlWWJ. Mais beaucoup reste à faire pour un contrôle plus musclé.
— Felix Treguer (@FelixTreguer) Novembre 7, 2012
De là à sortir le champagne, il y a un pas, le mousseux est pour l’heure plus de circonstance, comme le signalait Félix Tréguer, de La Quadrature du Net. Il nuance :
Cette modification du règlement est le fruit de ce qui s’est passé à l’automne dernier. Cela interdit le principe d’une autorisation générale d’exportation, mais n’instaure pas non plus de contrôle a priori.
En septembre de l’année dernière, des eurodéputés ont en effet “obtenu l’accord du Conseil de l’UE pour modifier l’instrument communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage civil et militaire, afin d’y inclure les technologies d’interception et d’analyse des communications électroniques”, expliquait-il dans une tribune sur Le Monde.
Certes, un progrès puisqu’avant, les technologies duales n’étaient pas soumises à une autorisation, laissant les États-membres libres. Toutefois, la mesure est surtout cosmétique, soulignait-il :
Les pressions du gouvernement allemand ont amené les eurodéputés à renoncer à un système de contrôle a priori des technologies de censure. Les entreprises pourront ainsi déclarer leurs exportations jusqu’à trente jours après la livraison du matériel. En outre, il incombera aux seuls États membres de s’assurer du bon respect de ces règles, et il y a fort à parier que les considérations commerciales l’emporteront sur les engagements moraux.
De même, la “Strategy No disconnect”, initiée par la Commission européenne en décembre 2011, n’a pas de quoi faire vraiment trembler les entreprises visées. Il n’est pas question de contrainte. Dans son discours de présentation, la vice-présidente de la CE en charge de l’agenda numérique Neelie Kroes avait ainsi parlé de “stimuler les entreprises européennes pour qu’elles développent des approches d’autorégulation (ou d’en rejoindre des existantes, telles que la Global Network Initiative), de façon à ce que nous cessions de vendre aux dictateurs des armes de répression numériques”.
La CE travaille aussi sur un projet de surveillance de la censure sur Internet. L“European Capability for Situational Awareness” (ECSA), “essayera d’assembler, d’agréger et de visualiser des informations mises à jour sur l’état de l’Internet à travers le monde”. Bref, pas grand chose d’innovant susceptible de faire bouger le dossier.
Le renforcement du contrôle dépend désormais de l’attention que portera la Commission européenne à un rapport [pdf] de la commission des affaires étrangères (AFET), “sur une stratégie pour la liberté numérique dans la politique étrangère de l’UE”, conduit sous la houlette de Marietje Schaake de nouveau.
Ce texte est un appel du pied à la CE pour qu’elle modifie davantage encore la loi, dont elle a seule l’initiative. Mardi, le rapport a été adopté par l’AFET. Les points 12 à 19, dans la partie “commerce”, sont une incitation claire et forte à aller plus loin :
13 – se félicite de l’interdiction visant l’exportation à destination de la Syrie et de l’Iran de technologies et de services utilisés à des fins de répression ; estime que cette interdiction devrait constituer un précédent pour la mise en place de restrictions structurelles, telles qu’une clause “fourre-tout” applicable à l’échelle de l’Union ou l’établissement de listes spécifiques par pays dans le cadre réglementaire relatif aux biens à double usage ;
14 – souligne la nécessité de contrôles plus rigoureux de la chaîne d’approvisionnement et de régimes plus stricts de responsabilité des entreprises en ce qui concerne la commercialisation des produits – depuis les équipements jusqu’aux dispositifs mobiles – et des services pouvant être utilisés pour restreindre les droits de l’homme et la liberté numérique ;
15 – considère certains systèmes et services ciblés de brouillage, de surveillance, de contrôle et d’interception comme des biens à usage unique dont l’exportation doit être soumise à autorisation préalable ;
Le vote aura lieu en session plénière en décembre. Libre ensuite à la Commission européenne d’entendre cet appel. Ou de continuer de tendre une oreille attentive aux lobbies.
Cette semaine, les opposants au projet d’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes (NDDL) en Loire-Atlantique, ont reçu deux nouveaux soutiens : l’un assez attendu, de Stéphane Hessel, l’iconique ancien résistant ; plus étonnant, des membres du collectif Telecomix, en l’occurrence plutôt des “agents”, comme ils se nomment, bretons. Ils ont expliqué cet engagement hier, lors d’une conférence de presse en ligne, sur un pad, un éditeur de texte collaboratif.
D’un côté, nous avons les habitants de la ZAD, Zone d’Aménagement Différé, ou Zone À Défendre, selon le bord. Cette zone d’autogestion squattée de façon pacifique depuis trois ans rassemble écolo, décroissants, anti-capitalistes, alter-mondialistes, anarchistes, bref tout ce qui aurait fait frémir Michèle Alliot-Marie quand la chasse aux anarcho-autonomes était une priorité du renseignement français. Une centaine de personnes sur un territoire de 1800 hectares que la préfecture de Loire-Atlantique essaye en vain de déloger depuis le 16 octobre à grands renforts de CRS, en prévision du début des travaux par Vinci, une opération au doux nom de “César”.De l’autre côté, nous avons Telecomix, qui s’”hacktive” depuis 2009. Ils se sont fait connaître avec des opérations de contournement de la censure en Syrie ou en Égypte, montées via un mode d’organisation particulier, ou plutôt une “désorganisation”, pour reprendre l’expression de Peter Fein, un de ses agents. Ils se définissent ainsi :
Un cluster télécommuniste féministe sociocyphernetique de gens et de bots qui aiment internet et les données, s’efforçant toujours de protéger et d’améliorer l’internet et de défendre le flux libre des données. Telecomix, tout comme l’internet, ne connait pas de frontières techniques ou territoriales.
Un organisme siphonophorique transmettant son génome à travers des mèmes et l’imitation plutôt que des règles et la régulation.
Un mème par définition a des variants et des invariants. Alors qu’est-ce qui relit ces deux univers ? BaN, un des “breizhou” impliqué, avec sa compagne Élodie, donne son point de vue :
La ZAD a un mode de fonctionnement très proche de celui qu’on peut expérimenter dans un cluster comme Telecomix :
- c’est une autre école du hack. Toutes les constructions y sont DIY avec du matériel de récup.
- c’est également une autre forme d’autogestion.
- la moyenne d’age et le côté international est également très proche.
Du coup pas mal de liens se sont créés. En fait nous (Elodie et moi-même principalement) avons été très bien accueillis et on a vite sympathisé. Des projets communs se sont montés, comme monter un WiFi sur la ZAD.
Certains d’entre nous, Kheops, TelecomixDA, n3b…, avons donc assez mal vécu les premiers témoignages de l’opération César.
Élodie renchérit :
Nous avons une volonté d’aller vers l’autogestion, et je me suis pris une grosse claque à la ZAD. Et puis j’aime la philosophie qui règne dans les squats de manière générale – tout le monde participe à la vie commune, les tâches sont réparties sans prise de tête, tout le monde est serviable, poli, les gens sont souriants.
Sachant que ces réponse n’engagent que leur auteur et pas le collectif, participe qui veut : “Ce n’est pas un soutien officiel de Telecomix, martèle BaN, ça n’existe pas et n’existera sûrement jamais. Mais signaler que des agents Telecomix soutiennent les zadistes, ça touchera peut-être des gens qui ne se sentaient pas concernés.”
Un invariant qu’Okhin, un agent parisien avait déjà rappelé :
@oobanoo (et bon, oublies pas que, téhoriquement, Telecomix does nothing. Agent does.)
— Okhin (@okhin) November 2, 2012
Les actions de soutien mêlent numérique et IRL, communication et soutien logistique, mains sur le clavier et pieds dans la gadoue :
Nous mettons à disposition nos ressources (serveurs) et réseaux aux militants dans et en dehors de la ZAD. Nous les formons les militants à la cryptographie, comme à Nantes le week-end prochain et aux pads. Nous les aidons aussi à créer le buzz pour toucher plus du monde.
De façon très concrète, nous collectons et nous apportons des vêtements ou la nourriture sur place.
Le tout avec une connexion pourrie, en attendant que Kheops, le grand blondinet sorti de son anonymat lors des opérations du Printemps arabe, mette en place d’un réseau WiFi meshé. Pour l’instant, les attaques DDoS et le défaçage, armes classiques de leurs cousins les Anonymous, ne font pas partie de leur palette d’outil. En revanche, le lulz, le refus de se prendre au sérieux, de s’ériger en militant politique traditionnel ennuyeux, oui :
Il n’y a pas de ligne, il n’y a que du datalove. Je vois pas pourquoi il faudrait systématiquement “faire bouger les lignes” en fait. Faisons ce qui nous éclate, parce que ça nous éclate. Le reste suivra. Ou pas.
Et on sauve des chatons.
Avec les Anons, Telecomix partage aussi son côté fluctuant, corollaire de son mode de fonctionnement : focalisé sur les bit(e)s avant de se pencher sur les atomes, d’Occupy Wall Street à l’Afrique.
Et nos Telecomix bhz ont bien l’intention de poursuivre cette évolution : ils préparent leur voyage au prochain Forum social mondial à Tunis, fin mars. Dans leur valise, du data love et un hackerspace improvisé. Mais ils ne prendront pas l’avion à Nantes.
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